Lettre de Henri Desgrées du Loû à sa bru Jeanne Hamonno - 15/05/1893 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publié le 26/06/2023]

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[transcription]

Vannes le 15 Mai 1893.

Non, ma chère enfant, je ne ris pas car je suis aussi emballé que vous, et je trouve que vous n'êtes que juste au point qu'il faut... Mais vous y êtes, et vraiment je continue à me rendre bien compte et à remercier Dieu de la part qu’il vous a faite dans la mission d'Emmanuel. Oh! Vous avez bien raison de vous attacher à lui de toutes les fibres de votre cœur, mais qu'il a raison lui aussi de vous donner le sien tout entier, sans partage, de s'appuyer sur vous, d'emprunter vos élans pour aider à l'insuffisance des siens. Voilà qui va tout-à-fait bien. Cette campagne Meunier a été parfaite pour lui. L'impression a été partout favorable. Ceux-là même qui ne me parlaient plus d’Emmanuel que pour me demander de ses nouvelles le louent aujourd’hui de son toupet, disons le mot, de son courage. Croiriez-vous que Fravalo se vante d’être son coiffeur! Fravalo m’a dit qu’Emmanuel était si bon enfant! avec ça… et qu’il aimait tant causer de ses affaires avec lui, Fravalo! Il m’a conté toute l’histoire de Meunier; il la sait de première main, ayant rasé Mr Fraguineau juge à Angers qui la lui a racontée. Nul doute qu’il n’ait raconté à Mr Fraguineau l’histoire d’Emmanuel et l’histoire d’Emmanuel enjolivée par un coiffeur doit être quelquechose d’intéressant, un joli morceau comme dit l’Oncle Charles. Il était là, L'Oncle Charles avec la pauvre tante et Marthe lorsque le facteur m'a apporté votre lettre, et je la lui ai lue séance tenante, de confiance. C'était hardi, avouez-le, mais je ne m'en suis pas repenti, et je ne crois pas qu'il y ait en France de beau père aussi fier de leur belle-fille que moi de la mienne! J’ai d'abord laissé voir qu'il y avait 32 pages. Quant à la façon dont c'était tourné, je n'étais pas inquiet. Et quelle magistrale écriture! Une écriture qui va de l'avant et ne recule jamais! Et maintenant, entendons-nous bien. J'ai tremblé en assistant aux délibérations de la dernière heure. Si vous y aviez cédé, Emmanuel et la cause qu’il défend eurent subi à Brest un échec dont ils eussent eu bien de la peine à se relever. On ne comprend pas un demi dévouement à la cause de N.S. Jésus-Christ. C'est tout ou rien. Emmanuel a choisi une noble tâche, et je l'en félicite, mais ce jour-là, il a pris l'engagement de la remplir jusqu'à l'héroïsme. Il n'y a pas danger qui tienne, il faut avoir le cœur haut et marcher. C'est dans un autre ordre d'idée l'engagement pris par Xavier. Il aurait pu se tailler une existence paisible dans quelque garnison à l'ombre; au lieu de cela, il a voulu la guerre. C'est beau, mais cela engage et pour un oui, pour un non, il lui faut à l’occasion affronter les balles avec moins de souci qu’il n’en????ait des épaulettes neuves à une [averse?] s’il était en France. Que voulez-vous, c’est ainsi, et je vous assure que c’est terriblement émotionnel de n’avoir pour enfants que des héros. Le moindre des deux ne sera pas Emmanuel s’il continue comme il a commencé. Il passera à Brest pour un homme de cœur, un homme de courage. C’est ainsi que je l’entends juger autour de moi et en France c’est encore la première de toutes les illustrations. Allons, bravo, mes chers enfants mais je vous admire vous-même plus que je ne puis le dire et de votre courage et de votre entrain. Je lirai avec le plus vif intérêt les renseignements donnés par les journaux de Brest, mais je vous remercie de m'avoir donné la vraie note. L'Univers, le Monde, La Croix, le Petit-Journal, l'Autorité, le Soleil ont à ma connaissance parlé de cette conférence. En somme, je suis content de Mr Dubois. Il nous rend vraiment service, et Emmanuel fera bien de ne pas lui ménager à l'occasion les petites satisfaction d'amour-propre qu'il a le droit d'ambitionner. Il a senti un moment de faiblesse qui l'a su dominer. Il y a là un grand mérite, et j'ai lu que Turenne était ainsi. Au premier coup de canon, il tressauter comme une jeune fille et s’apostrophant lui-même, il se disait: tiens-toi donc misérable carcasse; que vas-tu dire là où je vais te conduire tout à l’heure si tu trembles dès à présent? Que dire de l’excellent abbé Hameury? En voilà un que j’aime pour l’intérêt qu’il vous porte. Dans le camp qui est le nôtre, nous devons tous nous estimer nous même, nous soutenir en ce bon Maître pour lequel nous travaillons. Pour finir, quelques nouvelles. Les Charles vont bien puisque voilà Rosette qui sort. Marthe est la plus abattue; soit qu’elle manque de ressort; soit qu’elle manque de point d’appui, elle reste anéantie et je la trouve très à plaindre. Hier au soir l’oncle Auguste était très inquiet de notre tante. Celle ci ne digère pas ou digère mal, avec souffrance. Ce matin, la nuit s’est trouvée excellente et l’effet meilleur. Il y a un mieux réel, et l’oncle Auguste jardine. Je jardine moi aussi. Il y avait là une rose, hier, vraiment délicieuse. Pendant une matinée, elle vous a ressemblé. Quelle délicieuse fleur! Ce n’était point une rose rose, point une rose thé, mais une rose chair avec les tons nuancés du blanc au rose très tendre. C’était merveilleux. Adieu, chère enfant et mille choses autour de vous, je vous aime et vous embrasse bien fort.

Henri

C’est beau, 32 pages pour moi tout seul!

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