A nos enfants

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 11/04/2018]

[manuscrit non daté]

 

Voici quelques souhaits de votre Papa. Je demande à Dieu de nous laisser encore longtemps parmi vous s'Il le juge bon, car nous avons encore beaucoup à faire, et de me rappeler le premier.

 

Tout d'abord, je tiens à ce que votre Maman reste le centre et le coeur de la famille, comblée de votre tendresse et assurée de votre aide. Elle est la moitié de mon âme " dimidinum animae meae ". Un mariage d'amour et tant d'années dans les épreuves comme dans les joies, dans une totale fidélité, cela compte plus que tout. Sa Foi, sa générosité, son détachement des intérêts et des vanités sont un exemple pour moi et pour vous. Je ne puis en dire plus : Dieu soit béni !

 

Restez unis, quoi qu'il arrive. La diversité des opinions, même les heurts des caractères, dont notre faiblesse est la cause, sont peu de chose au regard des affections familiales. Si j'ai bonne mémoire, ma grand-mère HAMONNO et Papa, à dix ans de distance, après le sacrement des malades, dans un de ces moments où l'âme reçoit paix et réconfort, nous ont dit que les vraies joies étaient celles de la famille. Rien ne doit distendre ces liens. Et dans cette pensée je ne distingue pas nos enfants et nos beaux-­enfants, chaque ménage (et chaque célibataire s'il en reste) ayant droit à une part de notre cœur, ou mieux à notre cœur tout entier, comme mes chers petits-enfants.

 

Que ceux d'entre vous qui seront favorisés par la fortune ou la notoriété aident ceux qui ne le seront pas. Que ceux qui seront mêlés à des débats intellectuels et politiques n'oublient pas "les principes conservateurs du Bien", selon l'expression de Chateaubriand à la veille de son départ de ce monde, et ne voient dans leurs activités que le service de la Patrie, auquel tant des nôtres se sont consacrés, et l’œuvre indispensable des artisans de paix. Que ceux qui seraient occupés d'affaires temporelles sachent refuser toutes les tentations de la vie terrestre.

 

Vous êtes héritiers d'une longue tradition. Vous n'avez pas à en rougir, car vos ancêtres dans la politique et dans les armes, dans l'humble vie quotidienne comme dans les travaux des champs ou sur les mers, ont été fidèles. Ils ont su servir les humbles et les pauvres.

 

Toutes les classes sociales sont égales en dignité. La nôtre a été souvent appelée à exercer de lourdes responsabilités. Chacune doit rendre compte des valeurs spirituelles et morales qu'elle a reçues. L'honneur du nom en fait partie. Mon père qui n'était pas prodigue de solennelles recommandations - son exemple et celui de votre Bonne-Maman nous suffisaient - m'a dit un jour qu'à aucun prix cet honneur ne devait être atteint. Je vois encore l'endroit où j'ai été frappée de cette insistance inaccoutumée. L'honneur c'est quelque chose de quasi indéfinissable : La loyauté sans détours - précepte évangélique - et la fidélité à toute promesse, le respect de la femme, l'attention aux déshérités, le refus de transiger sur le Droit, la délicatesse dans les relations humaines, et ce je ne sais quoi par lequel un homme d'honneur inspire la confiance sans réserve et reste lui-même dans les succès comme dans les revers.

 

Je vous demande aussi de ne pas oublier la Bretagne, même si vous en êtes éloignés. Nous savoir bons Bretons et bons Français ne nous empêche nullement d'étendre nos horizons au monde entier, en ce temps surtout où la charité passe toutes les frontières.

 

Enfin sachez être accueillants et disponibles. C'est parfois le plus difficile, quand ce devoir dérange nos plans les mieux étudiés. Je m'en suis aperçu plus d'une fois et je regrette que mes petits efforts en ce sens ne m'aient pas acquis plus de mérites !

 

En effet, je ne suis pas plus qualifié qu'un autre pour vous laisser tant de bons conseils. Malgré les épreuves, j'ai été comblé de joies, dans ma jeunesse heureuse puis dans ma vie familiale : il est bon d'aimer et d'être aimé. Quand à ma vie professionnelle et politique, j'ai beaucoup accordé à ma vocation d'écrivain, peut-être trop, car je n'avais qu'à suivre mon inclination naturelle. J'ai vécu de grands moments de notre histoire : en 1918 comme enfant, en 1940-1944, en 1958 et 1968 comme citoyen. Cela m'a permis de ressentir ce que signifient le patriotisme et l'amour de la Liberté. Mais j'ai toujours attaché moins d'importance à ma carrière qu'à mon foyer, source de réconfort. Quand à mes adversaires, j'ai du moins conscience de ne les avoir jamais haïs ni salis. Je n'y ai pas eu grand mérite.

 

"Au soir de la vie, l'amour seul demeure ", a dit, si j'ai bonne mémoire, Sainte Thérèse d'Avila. Mon patron Saint François d'Assise, qui vivait trois siècles plus tôt, n'aurait certes pas démenti ce propos de la grande carmélite, ni celui de Maman : dans 12 vie on n'a que le temps d'être bon. C'est le message de Jésus-Christ crucifié et ressuscité. Respectez ceux-là même qui paraissent avoir perdu toute dignité.

 

Vos Grands-parents, des deux côtés, ont obéi à cette loi malgré les faiblesses humaines. Ne l'oubliez pas et priez pour tous ceux qui nous ont quitté.

 

Vivez intensément. Soyez bons, soyez libres, ne méprisez personne, soyez accessibles à la pitié, soyez droits, soyez purs, soyez confiants, espérez toujours, quoi qu'il arrive. Et que Dieu vous garde ! Il est Notre Père.

 

 

François

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