Lettre de Henri Desgrées du Loû à son fils Emmanuel - 13/09/1892 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publié le 13/01/2023]

[lettre précédente]

[transcription]

Nogent le 13 septembre 1892.

Mon cher enfant, la jolie lettre de Jeanne nous a amusés et réjouis. Elle non plus, je le vois n’engendre pas la mélancolie; elle sait même la dissiper quand elle existe quelque part. Elle a été attendue comme le Messie, cette lettre; annoncée dès 4h nous ne l'avons eue qu'à 7 heures. C'était long à attendre. C'est Jacques qui à trois heures Dimanche l'avait prise à la poste avec le courrier. Il devait tout rapporter ici mais ayant rencontré son père et sa mère qui allaient du côté de Montbard il leur remet tout le paquet et nous rapporte seulement la nouvelle d'une lettre à l'adresse de ta maman, lettre d'une écriture peu ordinaire (il voulait dire distinguée) Ta tant maman peste un peu et à 5h à l'arrivée de la voiture court au devant d'Elisabeth; celle-ci avait remis le courrier à Charles qui était allé au [Fain?] à pied faire une visite à [Maleyrie?]. Ta maman devient fiévreuse d'impatience. Enfin, à 7h Charles nous remet la missive. Je constate immédiatement qu'elle est à l'adresse de Monsieur: désappointement de ta maman point. Henri constate non moins immédiatement qu'elle est à son adresse: désappointement pour ton serviteur; au moment où Henri allait l'ouvrir, la cloche du dîner sonne: désappointement d'Henri. Après dîner, nous l'avons tous lue dans l'ordre inverse Henri ayant jugé qu'il pouvait nous en confier la lecture et tous les désappointements se sont dissipés comme par enchantement. Remercie-la donc bien cette chère Jeanne du plaisir qu'elle nous a fait et dis-lui qu'elle pourra le renouveler toutes les fois qu'elle voudra. Je ne t’apprendrai rien si je te dis que je pense beaucoup à elle; un peu plus peut-être depuis ses dernières confidences; je pense à elle et aussi à toi mon cher enfant dont je partage tout le bonheur et dont j'aime à scruter en ce moment les pensées les plus secrètes. Dernièrement, lisant l'histoire navrante de Marie Antoinette j'y ai trouvé une anecdote gaie et que tu connais peut-être. Elle était dans la situation dans laquelle se trouve Jeanne, situation longtemps attendue; elle ne ????ait sans [mesure?], et un jour (ce jour là n’est pas encore arrivé pour vous, mais il viendra) un jour, elle put dire à Louis XVI: Sire je vous dénonce un sujet de votre majesté qui a poussé l’audace jusqu’à me donner des coups de pied dans le ventre. Je pense que vous tiendrez compte l'un et l'autre de cette situation; nous n'irons plus à Plougastel à pied, encore moins en voiture, je pense; il y a des précautions qui s'imposent et que d'autres pourront vous décrire en détail, mais tu n'es pas à sans avoir entendu dire que beaucoup ont regretté toute leur vie les imprudences commises pendant une première grossesse. Je ne sais si je t'ai donné des dernières nouvelles de Xavier retour du tir de combat. Tout allait bien; le débit des sources, abondant, le temps superbe et la vie en plein air vraiment enchanteresse; tu vas en juger... de cette vie spéciale qui consiste à sortir de bon matin, à bien déjeuner, à dormir de 12h à 4h, à faire un peu de toilette, se montrer 10 minutes à sa compagnie et finir sa journée en plongeant vers 5h du soir un nez grillé par le soleil dans un verre d’[herbe sainte?] en attendant le dîner et le sommeil réparateur. Il ajoute: Il est évident que ce genre de vie n'est pas fait pour relever énormément les inqui aptitudes intellectuelles; mais c'est excellent pour la bête et en somme c'est ce qu'il y a de meilleur chez les trois quarts des gens. Ce passage prouve au moins que ton frère est de bonne humeur; il est tout frémissant à la pensée de coucher pendant six semaines à la belle étoile tout en appuyant du côté de Geryville. Je sais maintenant que Geryville a pris le nom d'un des héros de la conquête le colonel Gery mort avant d'être arrivé à la gloire comme les Lamoricière, les Changarnier les Bedeau les Bugeaud etc. Très intéressante, cette histoire de Camille Bonnet et non moins intéressante une autre page d'histoire publiée dans la revue par Mr de Broglie sous le nom d'Etudes diplomatique. C'est le récit comme il sait les faire de la lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse. Ça et là j'ai lu des bluettes intéressantes. Je te recommanderai pour considérer les salons deux proverbes d’Octave Feuillet le Voyageur du 1er Janvier 84 et Charybde et Scylla du 1er Décembre 87. J'ai remarqué encore sous le nom de: Une âme simple les mémoires d'un soldat anglais absolument illettré sur les campagnes qu'il a faites, le Brésil et surtout le Portugal, l'Espagne et la campagne de France jusqu'à la chute de Napoléon. C'est très curieux comme état d'esprit surtout si on le compare à ce que nous étions à la même époque. Ce brave homme ne savait trop contre qui ni surtout pourquoi il se battait; je me rappelle que la victoire des Anglais à Vittoria qui leur ouvrit notre frontière fut surtout remarquable pour lui en ce qu’il put se procurer une paire de bottes, ce dont il était privé depuis longtemps. Ce serait l’idéal pour Xavier, non le vrai mais pour l’autre. Tu n’y vas pas de main morte! Tu consentirais à plaider à l'œil pour les quatre jeunes gens de Cambrai, ceux que tu appelles les quatre jeunes gens de La Rochelle, peut-être en souvenir des quatre sergents. Mais sais-tu bien malheureux qu'un avocat en renom donnerait 10000 f. pour plaider un procès comme celui-là. Ce sera plaidé, mais à la chambre. Je souhaite que ce soit par Mr de Mun car le sujet en vaut la peine et bien que nous sachions à n'en pas douter comment cela finira, ce sera bon d'entendre dévoiler une fois de plus l'hypocrisie de nos ????? Tartuffes. Ne t'emballe pas trop cependant à la suite des Drumont, [Moris?] et autres et ne te fie pas aveuglément en leurs reliques; tu pourrais un jour te trouver plus engagé qu’il ne conviendrait à la suite de [connaisseurs?]. Reste surtout toi-même; il fait bon quelque obscur que l'on soit demeurer toujours son maître, comme il fait bon être chez soi quelque modeste habitation que l'on ait. Figure-toi que nous nous occupons ici d'un très beau mariage pour Jean; pour Jean, parce qu'il y a démission à donner et qu'il faut quelqu'un aimant à vivre à la campagne. J'attends sa réponse et si elle est favorable, cela peut aller très vite. Je t'en reparlerai dans ma prochaine lettre, mais ne m’en parle pas jusqu’à ce que je te l’ai annoncé officiellement. Cela va occuper nos 15 derniers jours, après quoi nous reprendrons la route de Montjay, puis de Vannes, la vraie. J'aimerais bien prendre aussi celle de Brest mais mais mais. Ce qui coûte moins cher, c'est d'écrire; écrivons donc et convenons de loin autant que le permettent nos facultés intellectuelles morales et physiques. Adieu, mon cher enfant, ne m'oublie pas près de ta belle mère et embrasse tendrement Jeanne pour moi en l'appelant maman. 

Henri 

Sans oublier bonne maman; bien entendu 

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