Lettre réponse de Pierre Martin à François Desgrées du Loû - 12/08/1944

Publié le par Pierre Martin

[publié le 29/11/2022]

[lettre de François Desgrées du Loû]

[Réponse de Pierre Martin à François Desgrées du Loû]

[enveloppe]

Monsieur Desgrées du Loû

Château du Loû

[1]

Pierre Martin

Mauron

Samedi 12-8-44

Cher Monsieur Desgrées du Loû

Je regrette vivement et déplore, comme vous, le malentendu d’hier matin. Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi d’abord de vous dire qu’il n’est pas possible de se moquer de l’opinion publique.

Je suis le plus grand ennemi des révisions hâtives. Je connais telle commune où des erreurs extrêmement regrettables ont été commises, grâce à des sanctions exercées au moment même de l’arrivée des Américains.

Mais, je suis aussi l’ennemi des lenteurs trop prolongées. Or, il y a 10 jours que les américains sont arrivés à Mauron. Depuis 10 jours, qu’a-t-on fait pour donner seulement un semblant de satisfaction aux Mauronnais? Rien.

Je ne parle pas du simulacre de coupes de cheveux d’avant-hier soir. Quelques filles seulement ont eu les cheveux coupés, et si peu, paraît-il, que cela ne se verra même pas. Cela n’a fait qu’augmenter le mécontentement, parce que incomplet.

[2] Revenons maintenant à nos moutons.

Ainsi que vous le savez, nous avons été convoqués au Loû, pour y recevoir des instructions du Général de la Morlais.

Au sortir de cette réunion, nous avons cru - à tort paraît-il - que nous étions chargés de procéder à une enquête sommaire sur les trafiquants, profiteurs et autres mauvais Français.

Nous nous sommes mis aussitôt à la besogne de la façon suivante:

Prenons, par exemple, l’affaire [Dufont?]. Nous avons convoqué les personnes que nous savions susceptibles de nous donner des renseignements sur les agissements de cet individu. Les déclarations écrites des témoins constituaient un dossier d’une grande utilité pour les autorités qualifiées pour prendre les justes sanctions.

Dès qu’elle a été connue, notre manière d’opérer a reçu l’approbation générale.

Enfin! Quelque chose allait être fait à Mauron!

Plusieurs des personnes que nous avons entendues, ont manifesté leur satisfaction de trouver en face d’eux, non pas des jeunes gens, mais des hommes d’âge mûr, expérimentés, impartiaux.

Je ne crains pas de dire que le trio Duclos, Leprince, Martin, en imposait.

[3] Le général nous a dit qu’il avait seulement demandé des noms. Pour les connaître, point n’est besoin de désigner une commission. La rumeur publique parle assez haut pour que chacun puisse entendre ces noms.

Mais alors, la place est libre à toutes les petites rancunes personnelles. Ce que nous voulions éviter, en donnant une base solide à chaque accusation.

Enfin, le mécontentement est général dans les rangs des patriotes. Leur principal grief est la présence, parmi eux, de certains indésirables, arrivés “bravement” le 4 août, ou même le 3 au soir;

Ces indésirables qui, avant le 4 août, n’ont jamais eu à redouter les visites de la Gestapo, portent maintenant brassard, mitraillette et revolver.

Ils ont, paraît-il, rendu des services à la Résistance! En ce qui me concerne, si j’avais gagné une demi-douzaine de millions de 40 à 44, j’en donnerais un, très volontiers, pour me blanchir et vivre en paix avec les cinq autres millions. Pour cela, point n’est besoin de faire montre d’un grand courage.

[4] Un autre grief est l’absence de sanctions contre les filles qui, pendant 4 ans, ont été femmes d’Allemands.

Dans ces conditions, il semble possible que, en présence de cette carence, certains actes soient accomplis sans ordre, ce qui serait infiniment regrettable.

Je ne sais quelle attitude vont prendre mes camarades. Quant à moi, je reste à la maison, où j’ai du travail.

Enfin, pour conclure, le Chef de la Résistance à Mauron semble ne plus me connaître. C’est normal. II n’a plus besoin, ni de moi, ni de mon local, où se tenaient les réunions, alors qu’il y avait danger.

Cette sorte de brimade mesquine ne m’empêchera pas de revendiquer l’honneur d’avoir semé les premiers germes de la Résistance à Mauron.

C’est moi qui ai recruté les premiers éléments, aidé en cela par Duclos, et sous l’inspiration de l’Adjudant de Gendarmerie, mandataire du Commandant de Gendarmerie de Vannes.

C’est moi qui ai indiqué Laurivain au Cmt de Compagnie, comme étant susceptible de prendre le commandement de la section. Etc, etc.

Ma conscience de Français est donc bien tranquille.

Je vous prie, Cher Monsieur Desgrées du Loû, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus cordialement dévoués.

[signature]

 

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