Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à sa marâtre Claudine de Chatellus - 05/08/1890 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 26/12/2021]

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[transcription]

Mardi 5 août 1890

Je vous remercie, ma chère Maman, de m’avoir appris vous-même l’issue de cet examen, si triste qu’elle soit, ou plutôt si décevante, car il ne faudrait pas se décourager ni même redouter un nouveau malheur. Avec les bons élèves, ces choses-là n'arrivent pas deux fois, et le raisonnement de M. Lehir me semble fort juste tout en étant d’un brave homme. Dans les versions d'aspect facile, dans celles de Tite-Live par exemple, il est très fréquent d'apercevoir un sens dès le début et de lui trouver jusqu'à la dernière ligne une continuation. Si j'ai bien compris, c'est ce qui est arrivé à Pierre. Un garçon inintelligent est incapable de se tromper de cette façon là qui suppose un esprit habitués à relier logiquement ses idées les unes aux autres. Il est plus facile de trouver le sens de l’auteur que de lui en prêter un qu’on est obligé d’inventer. Ceci est peut être un peu paradoxal, mais dans bien des cas très réel. Quoiqu’il en soit, ce qui m’afflige dans cette aventure ce n’est pas tant le petit froissement d’amour-propre que Pierre a dû ressentir un instant, que l’obligation où il va se trouver de ne pas fermer complètement ses livres pendant les vacances. Pour le mois de novembre je lui souhaite une version difficile et je suis sûr qu’il réussira. La bonne philosophie qu’il fera ensuite! J’ai voulu vous écrire de suite, ma chère Maman, afin que vous ayez une lettre avant le départ pour Nogent. Vous ne m’oublierez pas là bas près de Mame de Chatellus et de ses neveux et nièces dont j’ai gardé un si attachant souvenir et que je reverrai, sans doute, le jour où je prendrai le train pour l’embarquement à Toulon, dans quinze ou seize mois environ. Remerciez aussi Papa de sa bonne et longue lettre. Je suis heureux de voir que lui non plus ne se tourmente pas et le capitaine du 101ème possède bien assez la philosophie dont il faut user en pareil cas. 

Voilà Conlô enterré, les vaches rendues, la charrette, la voiture, et cette pauvre Cocotte changeant de maîtres. Vous ne devez pas être fâchée de votre nouvel arrangement et vous allez trouver Vannes la jolie plein de charme. Je suis pressé d’accourir en Octobre et de voir ce palais du fin que m’annonce Papa. Le classement des livres nous prendra bien 8 jours, si papa se laisser influencer, car en pareille matière, je suis d’un méticuleux à me faire jeter par la fenêtre. En attendant, je deviens de plus en plus administratif. Nous avons abordé la semaine dernière le Décret du 29 Septembre sur la solde, l’administration et la comptabilité des équipages de la Flotte. C’est quelque chose d’extraordinairement ennuyeux et que cependant, il faut connaître sur le bout des doigts. Par exemple, si l'on ne faisait pas de l'administration à cette époque de l'année, je me demande à quoi l'on pourrait occuper ses loisirs. Brest est absolument vide. Toutes les braves personnes qui se sont mises en frais cet hiver, vont manger des pommes de terre, sous prétexte de saison à la campagne, et pour ce refaire la bourse sinon l'estomac. Ah! Les pauvres gens qui ont des filles à marier! 

Au revoir, ma chère Maman, embrassez Papa, Pierre et Henri. Que tout le monde soit joyeux et prenne malgré tout du bon temps sous le ciel de Bourgogne. 

Votre fils 

Emmanuel

J’ai bien fait cette fois de mettre ma lettre à la poste. Bravo pour les prix! bravissimo! Pierre a là le dédommagement qu’il méritait. Bravo! Ricot, une autre fois sois plus phraseur même en latin. Bravo! Bravo! l’année finit bien. Réjouissons-nous, père, mère, enfants, grands mères, oncles, tantes, cousins et cousines!

Je vais aux Inventaires recevoir du vin pour les équipages de la flotte.

1 h. ¼ après déjeuner.

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