Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 04/03/1884 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 04/02/2020]

[lettre précédente]

[retranscription]

 

Mardi 4 Mars 1884.

 

Mon cher papa,

 

Comme vous me l’aviez recommandé, je me suis fait appeler par le médecin, qui m’a fait donner de la gomme arabique et des pastilles de Kermes. Depuis mon arrivée au lycée, j’ai pris chaque matin une pillule [sic] de goudron et je crois que cela m’a été utile car je tousse moins; en revanche, l’estomac me tourmente quelquefois et au réfectoire je n’ai plus faim du tout. Joignez à cela une espèce de dégoût moral qui me persécute, je ne sais trop pourquoi, et vous comprendrez que je ne suis pas en train.

Moi aussi, mon cher papa, j’ai quitté Vannes avec bien des regrets, et je n’ai pu m’empêcher de faire un retour sur l’année dernière, sur cette époque heureuse où je me trouvais au milieu de vous et où je travaillais mon examen avec ferme espoir d’être reçu. Il n’en est plus ainsi maintenant, et cela par ma faute, à cause de mon étourderie. Enfin que la volonté de Dieu se fasse; je ferai tout mon possible pour remplir mes devoirs advienne que pourra.

Je me suis remis au travail à peu près facilement; mais je ne sais pourquoi maintenant que nous avons à étudier beaucoup de philosophie et à préparer 3 ou 4 compositions, nos professeurs de mathématiques et de physique nous donnent plus de devoirs qu’à l’ordinaire. Ce soir nous avons un problème de géométrie que je cherchais tout à l’heure à comprendre mais qui m’a brisé le cerveau. Je vous écris pour me reposer. Nous allons régulièrement chez M. Plusanski; il nous fait son cours à la hâte, et nous avons une heure pour étudier 8 grandes pages de philosophie.

Nous avons enterré, l’autre jour M. [Lagrile?] professeur de sciences de l’enseignement spécial du lycée. Il est mort chrétiennement, dit l’Aumônier.

Nous allons nous confesser bientôt, paraît-il; ce soir même, dit-on.

Nous avons composé ce matin en histoire. Je crois m’en être tiré passablement. Nous avions: Gouvernement intérieur de Napoléon I. Ce que j’ai fait n’est pas brillant, mais suffirait largement pour le bachot.

Le petit pot de pomade [sic] a du arriver à bon port. Je l’ai remis au concierge. On a du venir le chercher, je présume.

L’aumônier nous fait des conférences tous les 15 jours; ce n’est pas un orateur, mais ce qu’il dit est bien et surtout pratique. Malheureusement, je crois qu’il prêche dans le désert.

J’avais oublié que le mois de Mars était consacré à Saint Joseph. Je vais le prier; priez le pour moi, aussi à Conlô. J’en ai grand besoin. Demandez lui de me délivrer du dégoût physique et moral qui m’obsède.

Il y avait exercices, ce matin. On a commencé la charge en 4 temps. Je n’y comprenais rien, et le sergent et le caporal et le surveillant m’ont doucement traité ”d’artiste à la tête sérieusement dure”. Pourtant je fais ce que je peux, mais un fusil est entre mes mains absolument ce que serait un balai entre les mains du président de la république. Dès que je sens l’acier dans mes mains, je deviens plus bête qu’une oie.

La peinture que vous me faites du calme religieux de Conlô, le matin du Dimanche, me fait venir l’eau à la bouche. Ô ma famille, ô mon pays!

Voilà mon cher papa ce que je crois devoir vous intéresser. Nous composons Lundi en Mathématiques.

Votre fils qui vous aime et vous embrasse tous.

Emmanuel

 

Comment prêche le prédicateur du Carême à Vannes? 

Je répondrai à Pierre quand je serai plus gai.

[lettre suivante]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article