Lettre de Henri Desgrées du Loû à son fils Emmanuel - 11/04/1892 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publié le 09/09/2023]

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[transcription]

Vannes le 11 avril 1892

Mon cher enfant, je ferai peut-être mieux de me taire et de te laisser à ton irrémédiable confiance en toi-même, à tes déclarations pompeuses et si peu conformes à la réalité, à tes indignations très sincères, je le sais, mais qui ne m'empêcheront pas cependant de te dire: méfie-toi de l'avenir méfie-toi de tes forces et rappelle-toi que celui-là seul n'est point exposé à périr qui ne s'expose pas. [Veux?] tu que je te le dise de suite et puisses tu en faire ton profit car je prévois que je n’aurai plus souvent l’occasion de le faire. En arrivant au Paradouzic j’ai été effrayé de ton attitude si peu conforme à tes lettres. Je n’ai eu qu’une pensée pour toi, pour la famille où tu allais entrer: hâter ton mariage. J'ai l'expérience que tu n'as pas et si Mr Hamonno avait vécu, les choses, certes, ne se seraient point passées ainsi. Et tu parles de calomnie quand je prévois un danger. J'ai l'expérience que tu n'as pas, j'ai vu ce que tu n'as pas vu et je sais où peut conduire la confiance en soi-même et l’oubli de ces rêgles de bienséance qui sont la sauvegarde des familles les plus unies.

Quant à ta confiance en moi qui [lui?] permettait de lire en ton âme. Quand s'est-elle manifestée? Est-ce quand tu m'as fait part de ton mariage sans même avoir prévu que cela me regardait. J'ai dû refouler à ce moment au fond de mon cœur le sentiment d'indignation, bien légitime celui-là, que provoquer une pareille ingratitude. Les choses me paraissaient trop avancées pour qu’il ne fut même permis de faire une observation, de prendre un renseignement. Je n'ai point eu à le regretter, car je ne rends nullement Jeanne responsable de ce qui arrive et mes sentiments pour elle ne varient pas pas. Mais enfin, toi, tu étais coupable, gravement coupable envers moi. Et à cette heure, que fais-tu? Tu renonces à une carrière sure, honorable pour laquelle j'ai tant travaillé et tant souffert, et tu ne m'en informes même pas, ou du moins tu m’en informes comme tu pourrais en informer un cousin au 3ème degré. Va, mon garçon consacre-toi à la défense de l’Église, et surtout montre-toi sévère pour ton père. Il l’a bien mérité. Il a en partie pour toi renoncé à sa carrière, il s’est remis sur les bancs pour te faciliter un travail qui te paraissait pénible à toi tout seul; il a tout fait pour alléger les difficultés pour écarter les obstacles dont ta route était semée. Sois sévère.

Et si l’avenir me donne un démenti tant mieux! mais je t’avoue que j’en serai surpris. Je te connais mon pauvre enfant, je connais ton fort. tu aimes mieux les flatteries que la vérité. C’est naturel, mais tu ne pouvais pas décemment compter sur moi pour te complaire sur ce point. Et maintenant je te quitte, le cœur brisé par un chagrin que je ne croyais pas fait pour moi.

Henri

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