Lettre de Henri Desgrées du Loû à son fils Emmanuel - 07/06/1893 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publié le 22/09/2023]

[lettre précédente]

[transcription]

Vannes le 7 Juin 1893.

Mon cher enfant, il y a longtemps que je ne t'ai écrit; ce motif me fait ajourner la réponse que je dois à Jeanne et dont je ne la tiens pas quitte après sa bonne lettre que j'ai reçue ce matin. J'ai été un peu déconcerté, je l'avoue, de l’insuccès de Quimper [aussi cet article - ndlr], mais il suffit que tu ne t'en m'énerves pas plus qu'il ne faut, et que tu aies repris confiance. Je sais bien bon qu’à Jeanne de ne m'avoir rien dissimulé, et de m'avoir administré comme calmant un article de la Ligue catholique et sociale. Cet insuccès (il y en aura d'autres) ont leur bon côté; ils nous rappellent qui nous sommes et à qui nous devons le succès; ils nous obligent à des actes de résignation, qui ne sont pas sans mérite. Nous luttons pour le Bon Dieu, n’est-il pas vrai? Nous faisons tout notre possible pour bien faire; si nous ne réussissons pas comme nous le voudrions, c'est que Lui voit les choses autrement que nous, et qu'il Lui plaît peut-être de nous tâter, de nous rendre plus désintéressés dans son service. Enfin, sans m'appesantir plus qu'il ne faut sur la journée de samedi, je fais comme toi, comme Jeanne, je pense à celle du 18, à celle de Brest, et j'espère que tu y prendras une revanche éclatante. Depuis que je ne vous ai écrit, j'ai reçu deux fois des nouvelles de Xavier. La seconde fois, sa lettre était adressée à Henri. Je voudrais te la faire lire, tant je la trouve affectueuse et même tendre pour un frère. C'est encore le Xavier que j'ai connu il y a 25 à 30 ans, d'une sensibilité exquise et dont la vie de collège et de St Cyr ont seulement quelques peu durci l’écorce. Il est vraiment très exposé; les rencontres avec les pirates sont pour ainsi dire journalières. Les communications de Cao Bang sont habituellement coupées. L'autre jour la garnison était sans pain et sans vin. Les convois sont paraît-il habituellement enlevés. C’est à n’y rien comprendre. Notre pauvre Xavier a grand besoin de la protection divine. Hier était jour de sortie pour Henri; je l'ai conduit à Port Navalo sur le Vannetais; nous avons pris un bon bain. Il vient d'avoir un succès: 2° en philosophie! Nous ne sommes plus gâtés comme au temps jadis. Pierre est au prise avec les examens depuis hier. Il a deux parties bonne; le devoir Français et l'Allemand. Le reste laisse encore beaucoup à désirer. Enfin, il a encore deux ans devant lui. Ma b. mère est de retour à Nogent; ainsi, elle ne viendra pas à Vannes cette année. Elle est pour cette fois tirée d’affaires. Les nouvelles de Meaux sont toujours excellentes. Ici, ta tante Augustine se remet, mais lentement. Je ne l'ai point vue depuis mon retour de Brest; c'est te dire quelles précautions elle prend encore. Je pense qu’aussitôt guérie, elle prendra avec ton oncle la route de St Malo. Il est assez probable que les Charles en feront autant; du moins, il en est question. Il avait été question aussi d'un voyage de Marthe seule à Brest où l'appelle Marie du Cosquer. Est-ce que cela ne [biche?] pas avec les du Cosquer! Il faut au moins t’efforcer d’avoir avec eux des rapports de bonne parenté. Est-ce que c’est trop difficile? Je lis en ce moment Victor Hugo avant 1830 d’Edmond Biré. Quel polichinelle, déjà à cette époque, ou plutôt quel polichinelle et quel farceur il est devenu depuis, car c'est depuis qu'il s'est fait à lui-même une histoire fantaisiste où presque tout est faux, depuis ses origines jusqu'à son histoire littéraire. C'est plaisant de le voir prendre en flagrant délit de mensonge et se donner des démentis à lui-même. Remercie bien Jeanne de ses lettres et dis-lui combien je l'aime moi aussi. C’est pour toi un rude point d’appui et une douce consolation. Henri

[lettre suivante]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article