Lettre de Henri Desgrées du Loû à son fils Emmanuel - 13/02/1893 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publié le 19/04/2023]

[lettre précédente]

[transcription]

Vannes le 13 février 1893.

Mon cher enfant, je ne viens pas t'apporter de consolation, j'en aurais moi-même besoin, abattu comme je le suis par la triste nouvelle que m'apporte ta seconde dépêche. Je n'avais pas prévu une pareille éventualité, et j'attendais, non sans avoir été faire une station à l'église et reçu la bénédiction en cette seconde journée des 40 heures. Enfin, la volonté de Dieu s'est manifestée, qu'elle soit toujours bénie, et nous, résignons-nous et humilions-nous. Le pauvre petit enlevé avant d'avoir paru, mort sans doute avant de naître, nous ne le verrons donc pas, nous ne l’aimerons pas; quand nous y penserons, ce sera comme à un rêve sans réalité! Au moins, vous n'avez fait aucune imprudence! Il faut tant de précautions parfois, et ces termes connus des médecins, ce terme de 7 mois est si souvent fatal! Vous devez aussi bien être affligé, et je le suis avec vous. Cette année 93 commence tristement. J'avais du reste depuis plusieurs jours comme un pressentiment, ou du moins un vif sentiment de tristesse, un besoin d'isolement qui me poursuit. C'était la mort de ton oncle Emmanuel, le souvenir de ses années heureuses qui se confondait avec les miennes, puis la fin si malheureuse, c’était le départ de Xavier sans qu’il nous ait été donné de le revoir; c’étaient d’autres inquiétudes encore et j’ai voulu rester complètement en dehors de ces réjouissances habituelles du collège, de ces pièces où ceux qui sont sans chagrins vont rire et se distraire un peu. Ai-je assez bien fait! À la suite de ta première dépêche, ta maman voulait rester ici; je l’ai forcée à aller au collège où je devais lui porter la bonne nouvelle qu’elle serait venue prendre à la [porterie?] pendant un entr’acte. Je me garde bien d’aller lui porter celle que je viens de recevoir. Je n’irai pas même chez ton oncle Auguste qui te porte cependant tant d’intérêt. Ce sera pour demain. Mais demain, c’est l’arrivée des du Cosquer, c’est la sortie, c’est Mr Bouvet dînant à la maison, que sais-je! Je suis aux cent coups, et je voudrais être seul, tout à fait seul avec le bon Dieu. Je le remercie au moins de ce que tu me dis de Jeanne, elle est bien! Et toi, comment vas-tu ? C'est probablement l'état de Jeanne qui vous a empêché l'un et l'autre de m'écrire depuis huit jours, et je ne le comprends que trop. Adieu, mes pauvres enfants, je compatis de tout mon cœur à votre malheur. 

Henri

Voilà ta maman qui rentre. Ne trouvant rien à la porterie, elle n’y a pas tenu et a couru jusqu’ici savoir ce qui se passait. Elle est comme moi accablée, et je suis vraiment touché de sa peine. Elle va décommander Bouvet et informer nos oncles. Comme je me passerais bien aussi de ces pauvres du Cosquer que j'aime bien cependant, mais qui nous tombent si mal à propos. Encore une fois, je voudrais être seul. Le pauvre Henri va être bien attristé lui aussi quand il va savoir ce qui nous arrive! Du courage, mon pauvre enfant, et pour ta femme et pour toi. Je t’aime bien, je t’en réponds et je vais t’aimer davantage encore.

[lettre suivante]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article