Lettre de Henri Desgrées du Loû à son fils Emmanuel - 21/12/1891 [correspondance]

Publié le par Henri Desgrées du Loû (1833-1921)

[publie le 17/08/2022]

[lettre précédente]

[transcription]

Vannes le 21 décembre 1891.

Mon cher enfant, je viens de recevoir une lettre de Lepel Cointet m'informant que la Banque de France ne reçoit pas un dépôt de titres au nom d'une femme en puissance de mari. Vous n'avez donc plus qu'une ressource, c'est de faire le dépôt en ton nom. J'ai répondu à Lepel Cointet de t'adresser deux exemplaires de l'imprimé que j'ai fait signer à Jeanne quand elle était ici. Tu remplira les blancs, tu les lui renverras et il déposera les titres à la banque muni de ta signature. Pour ta gouverne, tu auras à toucher 160 f. tous les trois mois à commencer au premier Janvier prochain. Je ne t’ai pas encore adressé les 500 f. de Jeanne, et je vais même attendre la fin du mois pour te les envoyer, ayant l'intention de distraire 300 f. de ces cinq cent francs pour les envoyer à Xavier. Dès que M. de Rochebouët aura payé son terme, je t'enverrai ce qui te revient. Ce qui me fait agir ainsi, c'est que je te crois moins pressé de ce viatique que Xavier. Nous avons eu ces jours-ci de très mauvaises nouvelles de ton oncle Henri de St Malo. Depuis trois jours il était mourant. Aujourd'hui, les nouvelles sont plus rassurantes; comme bien tu penses, nous avons été dans une très grande inquiétude à son sujet. Puisse-t-il sortir de cet état et revenir à la santé! J'ai donc reçu des nouvelles de Xavier. C'est la deuxième lettre qu'il m'écrit depuis son retour à Nîmes. Sa lettre est assez amusante mais il ne se fait pas à la vie de Capitaine garçon; il me donne quelques spécimens des conversations dont j'avais eu un échantillon à Belle-Isle à l'hôtel de l'Océan. C'est la grave question de savoir si l'on peut prévenir le salut d'un lieutenant ou si il est préférable de l'attendre; si le soldat doit refuser les doigts allongés et joints ou joints seulement, si le pouce doit être détaché des autres doigts, etc. Puis, on lui donne à entendre que les campagnes du Tonkin sont des campagnes faciles, qu'on obtient d'aller là bas par protection, etc etc. je vois que ton frère a beaucoup gagné comme patience et je m’en réjouis. La conclusion, c’est qu’il désire énormément retourner en Afrique où il a laissé l’esprit de camaraderie qu’il ne retrouve plus en France. S'il ne peut y retourner et s'il doit rester en France, alors, c'est le mariage car la vie de garçon dans ces conditions le rendrait fou ou idiot: le mariage agit en ce cas comme le vinaigre sur les cornichons, ça conserve. Il me dit aussi avoir reçu de toi une dépêche de Ste Anne. Vous avez dû mettre ce jour-là votre correspondance au courant. Cependant, je n'imaginerai jamais qu'une dépêche ait la prétention de remplacer une lettre. J'ai été très étonné il y a deux jours de recevoir la visite du gros la Villette, Le lt Colonel du #62e. Il m'a dit qu’à la première occasion, il vous arrêterait dans la rue, car il vous connaissait déjà sans savoir votre nom et vous avait remarqués. Pour ta gouverne, c'est un bon garçon, très bon garçon, jovial spirituel même quoique son l'esprit soit au gros sel, [mais?] d'une familiarité désespérante. Ne fais rien pour encourager cette dernière disposition. Sa femme est un peintre de talent, peintre de marine; il a une fille qui a épousé un enseigne de vaisseau. Il est musicien et tortille agréablement du violoncelle. Il te dira qu'il recherche de préférence les jeunes gens quel que soit leur sexe et en qualité d'artiste il me paraît très attaché à la forme. Quand tu m'écriras, donne-moi des nouvelles de ton installation. Rien ne peut m’intéresser davantage. Jeanne aura utilisé tes heures d’absence et je serai content quand je saurai que vous l’êtes vous-même de vos arrangement. J’ai reçu des nouvelles de ta tante Eulalie sainte et digne femme qui vit de son travail à 77 ans et parvient malgré les grosses pertes qu’elle a faites à joindre les deux bouts. J'ai été très aise de sa lettre qui a fait évanouir mes inquiétudes au moins pour le moment. Elle me [marque?] de son souvenir pour Jeanne et pour toi. Je t'en dirai autant de Raoul qui vient de m’écrire et que tu feras bien de chercher à voir à Quimper en allant à Brest et de Robert qui parle de vous deux en écrivant à ta maman. Celle-ci est enrhumée et garde la chambre. Adieu, mon cher enfant, je t‘embrasse tendrement. Je te charge de toutes mes tendresses pour Jeanne. Ton père

Henri

Bonnes fêtes de Noël. c’est ta fête; je te la souhaite vraiment bonne. Tu n’oublieras pas l’anniversaire du lendemain et je n’oublierai pas que le 27 est la fête de l’un des patrons de Jeanne. Joies et peines mélangées c’est la vie, heureux sommes nous quand nous les mettons toutes au pied de la croix.

[lettre suivante]

 

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