Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 12/08/1891 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 13/04/2022]

[lettre précédente]

[transcription]

Mercredi 12 Août 1891

Voici une semaine heureusement commencée, mon cher papa, pour Jeanne et pour moi, et pour la joie de nos cœurs. Les lettres que vous nous avez écrites, la lettre charmante et si bonne que Jeanne a reçue de Maman et qui m’est allée droit à l'âme et dont je vous prie de la remercier en l'embrassant de ma part, enfin le désir que vous manifestez de venir passer quelques heures à Brest avec nous, tout cela nous à remués doucement et nous nous sommes sentis plus près l'un de l'autre, plus liés l'un à l'autre (était-ce pourtant possible ?) après la lecture de toutes ces réchauffantes paroles. Madame Hamonno, elle doit vous l’écrire elle-même, et Madame Faivre ont été aussi bien vivement touchées de cette sympathie née d’hier, et cependant si vive déjà, que vous leur témoignez. Pour ma part, je ne saurais vous exprimer tout mon bonheur. Certes, j'étais assuré que Jeanne vous plairait très vite et que tout de suite vous vous mettriez à l’aimer comme votre fille. Je ne pensais pas toutefois que vos cœurs se mettraient à battre aussi fort à l'unisson. Et c'est pourquoi, à l'heure présente, je suis complètement et parfaitement heureux. Et bien que je fusse très sûr d'avoir bien choisi, j'aime à penser à cette consécration que vous mettez, en toute tendresse, sur mon choix. Oui, j'ai trouvé l'ange gardien que je rêvais depuis si longtemps, que je cherchais avec tant d'ardeur, et qui, Dieu soit loué! m'attendait. Et je ne serai pas ingrat, croyez-le, et je ne marcherai pas sottement et lâchement sur ce grand, cet immense bonheur que Dieu m'accorde. Sans doute, il est un peu niais de citer ses qualités, mais je voudrais qu'à l'avenir vous n’émettiez plus de suppositions qui ressemblent un peu à des doutes sur moi, et je crois pouvoir vous dire que si je me fixe très difficilement dans mes affections, je demeure, une fois fixé, inaltérablement fidèle. Les dehors des affections de famille, qu'il faut mettre dans une catégorie à part, j’ai eu avant ce grand amour qui remplit aujourd’hui ma vie, une grande amitié que vous connaissez et pour Louis Guays, comme pour moi, ne périra pas, parce qu’elle est cimentée de la parité des sentiments, des goûts et des idées. Cette amitié là, elle dure depuis plus de six ans, nous nous sommes séparés voilà déjà longtemps et vous savez pourtant que loin de faiblir elle se fortifie chaque jour davantage. Je vous dis toutes ces choses, mon cher papa, pour tâcher de vous faire comprendre qu'il n'est pas dans ma nature d'oublier ceux qui m'aiment. Je n'ai pas été gâté sous le rapport de liens purement et profondément intimes, et c'est pourquoi ceux qui savent me comprendre et ne pas désespérer de moi, quand quelque chose semble craquer dans ma vie, peuvent compter sur un dévouement qui mettra une sorte de joyeux amour-propre à ne pas se lasser. Ce qui est vrai de l'amitié, le devient plus encore de l'Amour. Sur le mariage, que j'estimais trop haut placé pour être considéré comme un pur contrat, et que j'identifiais à une sorte de consécration du Ciel qui ne peut produire en effets qu'autant qu'un véritable, un grand Amour lui préexiste. Sur le mariage, sur l'amour, sur toute question de sentiment j'avais mes idées faites. Ces idées je les ai retrouvées chez la jeune fille dont les jeux [yeux?], dont tout le charme extérieur m'attirait, et j’ai dit tout de suite: c’est celle là. Maintenant, les événements les plus extraordinaires peuvent se présenter, les malheurs les plus effroyables peuvent nous attendre, il n'atteindront pas la région secrète de moi-même où je lui ai bâti un temple digne d'elle; sa vie est ma vie et c'est pourquoi le jour, où devant Notre-Seigneur Jésus-Christ et sur mon honneur de gentilhomme, je lui ai engagé ma foi, ma main, en écrivant ce serment, courait joyeuse et sûre de mon cœur. Je l'aime tellement, elle s’est si bien attachée mon âme à son âme, que le jour où la sienne s’en irait (si par malheur, Dieu nous demandait un tel sacrifice) la mienne suivrait ou deviendrait folle d'avoir eu trop froid. Voilà. Et que ce soit dit une fois pour toutes.

Mais, mon cher papa, Madame Hamonno doit vous écrire de venir nous voir. Le mieux serait de profiter de deux jours francs de Samedi et Dimanche, où je n'ai naturellement ni cours, ni Bureau. Vous partiriez Vendredi matin et arriveriez vers 4h. au Rody où j'irais vous rejoindre au train de 5 heures. Et vous pourriez en revenant à Vannes passer par St Brieuc. Vous n'avez pas idée de la joie que ce voyage nous ferait à tous! Jeanne, qui prétend que votre vue l'intimidera d'une extraordinaire façon, a le plus vivre désir de vous voir venir cependant et elle m'a supplié d’insister près de vous pour vous décider. Ces dames sont d'ailleurs suffisamment au large pour vous recevoir. Samedi nous ferons tous ensemble nos dévotions à Notre Dame et je suis sûr que Notre Dame ne nous refusera pas les grâces que nous lui demanderons, en ce jour de sa fête. Si vous vous décidez télégraphiez moi: 78 rue de Siam. J'aviserai pour que Madame Hamonno soit prévenue à temps. Leur adresse est: le Paradouzic - près de Rody, en Guiparas (Finistère). En adressant par Brest, les lettres arrivent avec un jour de retard. 

Au revoir donc, mon cher papa, et à Vendredi soir. Encore une fois embrassez Maman, dites-lui que je lui souhaite bonne fête, que je tâcherai de lui écrire moi-même à cette occasion afin qu’elle sache combien je l’aime d’avoir écrit la lettre délicieuse que vous savez.

Jeanne a dû lui répondre; elle a dû aussi écrire à Marie. Je vais en faire autant, afin qu'elle ait une lettre pour l'Assomption. 

J'ai beaucoup souffert de l'estomac ces jours derniers. Mais à présent, je vais très bien, et j'espère que ça va durer. 

Horrible pour Georges Legrand!

Ne m'oubliez pas auprès des Geoffroy. Maman va-t-elle être heureuse de ses bébés!!!

Je vous embrasse

Emmanuel 

On m'apporte à l'instant une lettre de Jeanne, où elle me dit: “Maman écrit à votre père j’ai peur, mais bien envie qu’il vienne, oh! oui, bien envie. Je crois qu'en aimant beaucoup, on se fait aimer alors je crois qu'il m'aimera, n'est-ce pas ? Ce sera bon de l'avoir là, près de nous!” 

Après cela, mon cher papa, vous n'avez plus qu'à prendre votre billet. 

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