Réponse de François Desgrées du Loû à une lettre de réaction sur son article sur les "Silencieux de l'Eglise" [copie]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 10/07/2020]

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[lettre de l'abbé Bernard Rabauld (ou Rabault)]

[copie - retranscription]

Monsieur l’Abbé Bernard RABAULT

49 - SAINT-JEAN-DES-MAUVRETS

 

Rennes, le 26 novembre 1970

Monsieur l’Abbé,

 

Le Courrier m'a transmis votre lettre et je suis très désireux de m'expliquer fraternellement avec vous. 

 

Je reçois aussi la lettre de monsieur l'Abbé de Nantes, et je déplore comme vous l'erreur qu'il commet et le ton de ses critiques, qui dépassent la mesure dans le fond comme dans la forme! Il m'est arrivé de lui écrire et sa réponse m'a donné l'impression d'une bonne foi incontestable, malheureusement viciée, si j'ose dire, par un orgueil intellectuel qui sévit aux deux extrêmes et qui rappelle le ton de l'ancienne “Action Française”, dont j'ai connu dans ma jeunesse (j'ai 61 ans) le sectarisme parfois inconscient. Ma formation à la fois traditionnelle et “démocrate chrétienne” m'a toujours tenu dans la fidélité au Pape non seulement pour les formulations solennelles, mais pour la conduite habituelle du troupeau confié à Pierre.

 

C’est justement cette fidélité, fondée sur la confiance qui motive l’obéissance, qui inspire visiblement les “silencieux de l'Église”. Vous avez peut-être constaté comme moi que l’assemblée de Versailles n’a aucunement prétendu engager la bagarre sur ce qui est des options libres. C’est la contestation des principes les plus solidement établis, rappelés par mon article du Courrier, qui nécessite un refus catégorique du peuple chrétien: dire non au néo-modernisme, c’est dire oui au Credo et à l’enseignement continu et permanent des successeurs des apôtres. Or je vais vous assurer que toute une organisation de presse et de conférences tend à “désintégrer”, comme Paul VI l’a dit souvent (et plus récemment dans une allocution du dimanche 8 ou 15 novembre), la Foi elle-même. Panorama est d'autant moins qualifié pour le contester que ce journal a souvent pris des positions incompatibles avec le respect du magistère. Je pourrais vous communiquer ce qu'il a publié à l'encontre des enseignements du Pape lors promulgation de l'encyclique Humanae Vitae, qui n'était pas une décision fantaisiste mais le rappel très clair d'une doctrine exprimée dans tous les documents antérieurs, et qui répondait à l’attente des foyers qui, comme le nôtre et celui de nos enfants, trouvent dans la loi d'amour, le droit naturel, l'Évangile et les sacrements la force de vivre pleinement leur vocation. Et vous l'ignorez pas que la conception virginale du Sauveur, la présence réelle dans l'Eucharistie, la véracité des Évangiles, la morale chrétienne, l'indissolubilité du mariage, le célibat ecclésiastique, l'autorité du Pape sont continuellement attaqués par des écrivains, des conférenciers et des journalistes qui abusent de la confiance accordée à leurs titres théologiques ou ecclésiastiques par des fidèles mal informés. Il est donc normal que les simples chrétiens réagissent, surtout quand il s'agit de répondre à l'accusation trop facile d'intégrisme portée par des gens qui considèrent comme quantité négligeable tous ceux qui souffrent de la crise actuelle de l'Église. Ils ne jugent pas leurs frères: ils constatent que la négation des principes les plus indiscutables s'est installée à l'intérieur de l'Église et ils se demandent jusqu’où ira cette entreprise de démolition. 

 

Puis-je terminer par un exemple ? Je lisais ce matin dans Panorama les témoignages de fiancés interrogés sur leur vocation. Certains de ces jeunes estiment tout naturel de vivre maritalement le temps des fiançailles. Le commentaire hésitant et alambiqué donne l'impression qu'il s'agit d'une option secondaire: on annonce bien que des prêtres et des éducateurs répondront dans un prochain numéro, mais n'est-il pas inadmissible qu'un journal chrétien oublie, même un instant, la loi morale et évangélique dont nul n'est dispensé ? Je ne prétends pas apprécier la responsabilité subjective de ces couples mal informés, et je ne leur jette pas la pierre; je dis seulement que ce qui est interdit est interdit, et grâce à Dieu nous savons qu'il ne vient pas à l'idée des jeunes, quand ils prennent au sérieux l'amour chrétien, de pratiquer le mariage à l'essai. C'est un exemple entre cent de cette sorte d'ambiguïté qui brise les énergies et concentre sur des problèmes faussement posés l'attention des chrétiens, alors qu'il y aurait tant à faire pour restaurer chez nous la Foi simple et confiante, la charité active et la piété personnelle. 

 

Je parlais de charité active et je tiens à préciser que l'un des méfaits du modernisme est la confusion entre l'aventure théologique et l'ouverture sociale. On peut aller très loin dans le service des pauvres, la défense de l'homme, sans rien lâcher du dépôt doctrinal. Bien plus: c'est la fidélité même à ce dépôt qui commande l'action. J'ai publié dans le Monde, en mai dernier, un long article contre la torture, et cela me permet de vous dire que je ne suis pas de ceux qui refusent une part de la doctrine chrétienne selon les circonstances. 

 

Voilà une bien longue lettre. Votre démarche l‘appelait, et je suis heureux d'avoir pu saisir l'occasion de dissiper, si possible, une équivoque sans cesse entretenue par les à-peu-près de la presse. Nous aimons nos prêtres et nous leur demandons de maintenir à tout prix cette présence sacerdotale qui peut revêtir des aspects divers selon les temps, mais que vos devanciers nous ont assurée, en dépit de toutes les faiblesses humaines, comme le signe de la charité des apôtres voués à l'enseignement et toujours disponibles. 

 

C’est de cela que je veux vous remercier en vous priant, monsieur l'Abbé, de croire à mon respectueux dévouement. 

 

François DESGRÉES DU LOU 

6, rue Baudelaire Rennes

 

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