Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 18/11/1885 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 18/06/2020]

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[retranscription]

Jeudi 18 Novembre 1885

Mon cher papa,

Me voici définitivement installé, et je me trouve fort bien. Ma chambre est presque grande, bien cirée, bien éclairée et je possède en plus de mon lit et des 3 chaises un meilleur fauteuil dans lequel je réfléchis à la mollesse des jeunes gens du jour qui préfèrent un matelas de plume au gril de Saint Laurent. Fainéants, va! et comme nous avons marché depuis bientôt 40 ans! Vous voyez que je suis dans de bonnes idées. Il faut dire que je reviens du cours d'Économie politique où M. Hervé-Bazin m’a appris que le soleil, bien qu’utile, était une chose sans valeur. Je crois en science et en sagesse, maintenant, et tous les jours; aussi à la fin de l’année je finirai par comprendre que M. Hervé Bazin, bien qu’utile est une chose sans valeur et qu’il ne reste plus qu’à l’envoyer à la Chambre des députés. Ce qu’il nous dit, d’ailleurs, ce cher docteur, est bien dit et presque clair; il ne faut pas lui en demander davantage, car l’économie politique n’est qu’un éteignoir. C’est une science qui ne repose absolument que sur les conventions et qui offre autant d’aspects différents que de professeurs. Vous savez que Lavigne trouvait M. Hervé-Bazin assez semblable à un cocher de fiacre; c’était trop dire; cependant, à la façon dont il se fait les favoris, il doit ressembler un peu, oh! pas beaucoup! à Baqué, l’ami de Félix. Il n’en est pas moins fort pour cela. D’ailleurs il n’a pas l’air de vouloir nous épater; bien au contraire, il fait son cours avec une désinvolture digne de courroucer Lavigne. - Son beau frère M. René Bazin, qui est plus jeune, me plait aussi bien davantage. Il est très intéressant et parle d’une manière fort agréable. Pourtant la Procédure civil [sic] ne manque pas d’aridité. Le père Aubry qui fait le Droit romain est peu divertissante et M. De la [Voigne?] de Villeneuve obtient grâce à mes yeux, parce que sa monotonie ne réussit pas à rendre le Droit civil ennuyeux. Pour tout dire, je ne suis pas mécontent de l’enseignement et je préfère tous les jours 4 heures de Droit romain à 10 minutes de Mathématiques. - À propos de Mathématiques, pouvez-vous m’envoyer quelques problèmes afin que je n’en perde pas l’habitude. Il y avait ici l’année dernière un cours d’Anglais, mais comme personne n’y allait, la chose est morte. Faut-il s‘adresser un professeur pour avoir des répétitions? Dans tous les cas je vais consulter le P. Poulain.

Je n’ai pu voir M. Lucas; il est absent jusqu’à la fin de la semaine. Beaucoup d’étudiants m’en ont parlé; ils disent que c’est le plus fort du personnel enseignant et qu’il parle admirablement. Voilà, je pense, un honneur pour ces bons pères de Redon. C’est leur œuvre. Puisque nous sommes au chapitre des avocats, figurez-vous que M. Lagnaire, [Eliacin?] comme l’appelle P. Veuillot, vient plaider ici pour un médecin diffamé. Cela promet d’être intéressant, car il passe pour très bon avocat et si son contradicteur est un malin, on rira.

J’oubliais de vous parler de mes examens. Le ciel m’a favorisé. J’ai failli passer avec le terrible [Vignate?], pour le Droit romain; par bonheur, il était absent et son retour a été retardé [par un cas ????]. Quant à Badin il était au concours d’agrégation à Paris. J’ai donc eu MM. Chénon, [Marie?]; Planial, pour l’Histoire du droit et le Droit romain et MM. Chinon, Jarnot et je ne me rappelle plus qui pour le Droit civil et le Droit criminel. J’ai eu deux bons examens, car pour tous les deux mes notes ont été; 1 [rouge et 2 rouges - blanches?], c‘est à dire 1 passable et deux assez bien. J’attribue ce succès aux prières du Carmel et aux vôtres. Toujours est-il que je vous serais obligé de mettre un cierge à St Vincent-Ferrier et un autre à Saint-Joseph.

Maintenant, mon cher papa, je vous quitte pour aller dîner. - Les bibliothèques sont très bien montées. Nous recevons l’Univers, le Gaulois, la Gazette et le Moniteur Universel.

Adieu, je vous embrasse tous.

Emmanuel

 

J’ai reçu les 50 francs, je vous remercie et j’en ferai bon usage.

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