Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 10/06/1884 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 19/04/2020]

[lettre précédente]

[retranscription]

Mardi 10 Juin 1884.

Mois du Sacré-Cœur, je crois?

Excusez Orthographe. Je ne relis pas

Mon cher papa,

 

Votre longue lettre m'a fait grand plaisir ainsi que celle de Marie et de Pierre. Comme je ne veux pas vous faire attendre, je vous réponds tout de suite et à tous en même temps. 

D'abord je féliciterai Pierre de son style et de l'ordre qu'il commence à mettre dans ses pensées lorsqu'il écrit. On voit que la première communion est toute proche, et que d'un enfant elle va en faire un grand et sérieux garçon. Du reste, je ne sais à quoi cela tient, tous ces in-folio de nouvelles que vous vous m'avez envoyés m’ont singulièrement rendu joyeux; tout y respirait le bonheur pur et serein qui envahit l'âme à l'arrivée du bon Dieu. Et le bonheur a passé de vous à moi. Je suis exilé ici, au lycée, mais Lamennais s'est trompé quand il a dit: “l'exilé partout est seul.” Loin d'être seul, je me trouve au contraire par la pensée au milieu de vous. Certes, j'aurais aimé assister à cette fête de famille, mais le proviseur me l'aurait-il permis ? J'en doute. Enfin résignons-nous, si vous priez pour moi, si vous ne m'oubliez pas auprès de Jésus-Christ, je serai content. 

La première communion a eu lieu dimanche dernier, et chose étonnante! il n'y a eu que les premiers-communiants et leurs parents à pouvoir s'agenouiller à la Sainte-Table! J'en étais tout désolé. La cérémonie a été convenable, mais, à mon avis elle aurait pu l'être davantage. Parmi les parents qui assistaient il n'y a eu que quelques dames à communier. Les hommes sont restés cloués sur leurs chaises. Le directeur de la retraite des enfants à assez bien prêché, mais il avait l'air intimidé. En un mot cette fête au lieu de me réjouir m'a laissé une teinte de mélancolie que je garde encore. Ah! c’est que cela me rappelait mes 10 ans, et toute la pompe mystique dont notre première-communion était accompagnée à St François-Xavier. Et je comparais!

D'après ce que je vois les nouvelles de Xavier sont bonnes. J'ai bien prié pour lui, et désormais je pense continuellement à ce bon frère. Comme vous, je présume qu'il va marcher droit maintenant. Je n'ai pas reçu de lettre de lui, et je vais peut-être lui écrire de nouveau afin de lui prouver que je ne l'oublie pas. 

Ce que vous me dites à propos de mes études de droit, me convient parfaitement; si cela est possible de rester 3 ans à Vannes et d’y vivre de la vie de famille, rien ne me fera plus de plaisir. Pour le moment il s'agit de passer le bachot. Si l’on était plus coulant pour les sciences, je m'en porterais mieux. Voici ce qu'on devrait faire: mettre un savant à l'examen de philosophie et un philosophe à l'examen de sciences. Je crois que de cette façon, je passerais sûrement au mois de Juillet. - Nous avons commencé les progressions en algèbre; ça n'a pas l'air bien difficile. Du reste maintenant, je suis moulu; les sciences ne m'étonnent plus tant, mais je suis arriérés et c'est là mon malheur. Il faut à tout prix rattraper le temps perdu. - Les nouvelles de La Garenne commencent à m’inquiéter, pourvu que Marguerite n’aie pas la même maladie que le pauvre Charles. Pourvu que Raphaël ne soit qu'un malade imaginaire! C'est donc son grand souci d'avoir une maladie de cœur ? À propos de sa position sociale, j'ai idée que s'il sert la société ce ne sera pas la société des chemins de fer. 

Voici maintenant qu'un blan-bec [sic] de Rhétoricien (du lycée encore!) se permet d’ériger les Provinciales de Pascal en document historique!! Et un élève des plus religieux du lycée, un orléaniste voire même! Ce que c'est que les idées universitaires!.... Les Provinciales ont été 100 fois réfutées victorieusement, mais on ne veut pas lire les réfutations de peur d'être convaincu de la vérité. Mais, passons. Je commence à ne plus m'étonner de rien; j'en entends de si cocasses tous les jours que je deviens froid en face des plus grosses balourdises et des plus ridicules préjugés. 

Nous prouvons dans ce moment l'existence de Dieu par toutes sortes d'arguments et comme je suis en arrière d'une leçon sur cette question intéressante, je vous quitte pour tomber dans les bras de la philosophie la vieille radoteuse. Je vous embrasse tous comme je vous aime. 

Votre fils

Emmanuel

J’ai reçu mes effets d’été

[lettre suivante]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article