Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 04/06/1884 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 13/04/2020]

[lettre précédente]

[retranscription]

Mercredi, 4 Juin 1884

 

Mon cher papa,

 

Si je ne vous ai pas répondu plus tôt c’est que je ne savais pas si vous m’écririez pour Mardi. Ne voyant rien venir, j’en conclus que ce sera pour la semaine prochaine et je me détermine.

Avant d’en dire davantage et de peur d’oublier, je vous remercie de l’argent que vous m’avez envoyé. C’est plus que suffisant. J’ai remis les 13 fr.75 à la concierge, qui a inscrit, en retour, en haut de votre lettre, en belles paroles:

a Pour acquit, le 2 Juin 1884 signé Barratte

Ce qui est plus sérieux, ce sont les nouvelles concernant l’examen. L'écrit se passera le 19 Juillet et l'oral commencera probablement à la fin du même mois. Comme l'université est enchantée du nouveau système, on subira les épreuves du bachot de Novembre absolument comme en Juillet; c'est-à-dire qu'il y aura une grande session écrite. Vannes passera à Vannes, Rennes à Rennes…

Nous avons repris le train-train accoutumé et je me suis remis au travail avec acharnement. Comme vous, les sciences me font trembler. Enfin à la grâce de Dieu. Je fais ce que dois, advienne que pourra. Si je suis refusé au mois de Juillet, Je sacrifierai courageusement mes vacances. Les compositions du concours général vont commencer. On va me faire composer pour la dissertation, mais je doute que j'ai du succès. Si pourtant je pouvais obtenir un malheureux accessit, cela me [cotterait?] joliment pour le bachot. Figurez vous que pour cette composition, on reste coffré de 10 heures à 4 heures! C'est épouvantable!

Voici, paraît-il, en quoi consisterait la nouvelle loi militaire: le volontariat serait aboli, mais toutes les exemptions ne seraient pas supprimé. Quand aux séminaristes, ils serviraient mais une année seulement. Cela me semble assez invraisemblable. Qu'en pensez-vous ? Moi je n'en pense rien de bon. Toutefois, j'espère que le bon Dieu nous tirera de ce mauvais pas. 

Je n'ai pas encore reçu de lettre de Xavier. Est-il toujours à l'hôpital, et que devient-il ? Je ne l'oublie pas dans mes petites prières. - C’est atroce! nous n’avons eu pour la Pentecôte qu’une petite messe basse! Il me semble qu'on aurait bien pu, sinon nous donner une grand-messe au lycée, du moins nous mener à l'Église de Toussaint qui touche le lycée. Dimanche prochain aura lieu la première communion. On commence à orner la chapelle de tentures blanches et roses, et les secrétaire du proviseur passent leur temps à écrire des lettre d'invitation. D'après ce que je vois, je suppose que cette cérémonie sera comme il faut. Du reste, le proviseur a l'air d'un homme assez religieux, et je crois qu'à la chapelle il suit les prières de la messe. Le censeur est un bon père de famille, et parmi les professeurs il y en a quelques-uns qui pratiquent régulièrement. Notre professeur de Physique qui est docteur, était jadis inspecteur d'académie. On l'a remercié, parce qu'il allait à la grand-messe tous les dimanches et qu'il professait ouvertement sa religion. C’est raide!... Quelques uns ajoutent qu’il était bonapartiste! La belle excuse!... Mais il ne faut pas juger trop sévèrement l’université. Il n'y a guère que les potentats qui soit méchants. Les plus incrédules que je connaisse ici, sont d'excellents hommes sous les autres rapports. À ce propos, hier un pion me disait qu'il estimait beaucoup les vrais croyants, mais que malheureusement ceux-là étaient rares. “Il y avait beaucoup trop de tartuffes et d'inconséquents, témoins ces jeunes gens qui le matin vont à la messe et qui le soir se permettent [des ratés?] indignes d'un honnête homme.” Voilà comment ils jugent tous. Avouez que c'est joliment paradoxal!.....

Ce que vous me dites des mauvais livres et des réunions coupables, il y a longtemps que je le pensais. C'est pour cela que j'ai les romans en horreur! Ici, je vous assure, je puis constater chaque jour les effets funestes qu'ils produisent sur certaines natures. 

Mais voici que nous allons au gymnase. Savez-vous que je fais des progrès!!! Je commence même à m’habituer à l’insipide exercice!

Allons adieu, mon cher papa. Je vous embrasse de tout cœur.

Votre fils

Emmanuel

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