Lettre d'Emmanuel Desgrées du Loû à son père Henri - 10/03/1884 [correspondance]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 22/02/2020]

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Lundi, 10 Mars 1884

Mon cher papa,

 

Samedi, au soir, il m’est arrivé une affaire désolante. Le proviseur venait de quitter l’étude où il était venu entendre la lecture des notes de semaine. Au tableau il y avait un élève de ceux que je fréquente le plus habituellement, et qui me regardait; je levai la tête et je me suis mis à rire avec lui. Alors le surveillant me donna une retenue de promenade, et il inscrivit à la suite sur le cahier de punitions: “pour avoir éclaté de rire après le départ de M. le Proviseur” Le lendemain à midi celui ci m’appela et me dit: “Comment, Monsieur, vous vous permettez de rire après mon départ.” Je l’assurait que ce n’était pas de lui que je riais, mais il m’interrompit: “Cela suffit, outre votre retenue de promenade, vous aurez deux jours de consigne à Pâques. Allez!”

Me voilà donc puni, et toujours à cause de cette malheureuse habitude de rire qui me prend parfois, dans les moments où [j’oublie?] ma situation présente.

Je vous écris tout de suite pour vous informer de ce qui s’est passé, car je ne veux rien vous cacher. Cette semaine je vais tâcher de me conduire de façon qu’on ne puisse rien me reprocher, et dimanche j’irai trouver le proviseur, et lui demanderai de consentir à lever ma punition si d’ici Pâques on est très content de moi. Je pense qu’il consentira.

Nous n’avons pas encore eu les places d’Histoire; nous composons après demain en Mathématiques. Je sais bien mon algèbre, mais faiblement ma géométrie.

Ce matin Monsieur Pluzanski nous a rendu compte de nos dissertations; il s’est trouvé que j’étais le second par ordre de classement.

Cette affaire de samedi a été comme un coup de massue qui m’a replongé dans le travail. Nous allons aller tout à l’heure en classe de Mathématiques, faire de la géométrie dans l’espace, et je vais écouter attentivement.

Je me suis confessé Mardi dernier, mais n’ai point reçu l’absolution qui ne nous sera donnée que pour la réception des Pasques. Ce n’était qu’une confession préparatoire.

J’ai pris l’habitude de dire mon chapelet, le soir dans mon lit, et de m’endormir ainsi dans la prière. Ces jours derniers j’étais dans une mauvaise passe, j’avais mérité soit dans les rangs soit au gymnase des retenues d’une heure, et c’est pour parer aux inconvénients auxquels mon reste de légèreté m’expose, que je prie la sainte Vierge.

Je ne tousse presque plus du tout si ce n’est le matin en me levant. Je mange mieux, et je crois que les pillules de goudron m’ont fait plus d’effet que les pastilles de Kermes; il me reste une de ces pillules, et j’ai envie d’en parler au médecin afin qu’il m’en fasse donner d’autres. J’en prends une tous les matins.

Comment s’appelle le Prédicateur?

Xavier n’a pas encore répondu à la lettre que je lui ai écrite avant le Carnaval. Je vais lui récrire, afin de savoir vraiment ce qu’il devient, car d’après ce que me dit Marie, j’ai seulement appris qu’il était paresseux d’écrire.

Continuez bien, je vous prie, à prier tous pour moi, car j’en ai toujours grand besoin. Demandez à Dieu pour moi la ferveur, car si je prie, c’est assez froidement, et malgré tous mes efforts je ne m’enflamme pas.

Allons adieu, mon cher papa. Merci à Marie de sa bonne lettre. Je lui écrirai lundi prochain ou mardi.

J’espère par une bonne conduite forcer le Proviseur à lever ma punition.

Votre fils qui vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.

Emmanuel

 

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