L'assassinat légal [François Desgrées du Loû - 13/05/1971 - Courrier de l'Ouest]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 06/04/2020]

Le Nouvel Observateur - Avril 1971

[Courrier de l’Ouest - 13/05/1971 - retranscription]

Chronique

L’ASSASSINAT LÉGAL

par François DESGREES DU LOU

 

Lors des débats sur la contraception, nous n’avions pas manqué de prévoir que l’avortement suivrait. La propagande, continue et insistante, de certains groupements et de quelques journaux - notamment Elle et France-Observateur - ne pouvait qu’obéir à la logique du refus de l’enfant. Elle concorde avec d’autres manifestations d’une “antimorale” qui sévit dans les domaines les plus divers, et qui rapporte gros. On doit d’autant plus s’en inquiéter que certaines autorités tendent à démissionner purement et simplement devant la dégradation des mœurs. À quoi serviraient, par exemple, une censure tâtillonne pour les moins de dix-huit ans et les mesures de police, pratiquement inapplicables et bientôt ridicules, si dans la rue les spectacles et les officines spécialisées, les corrupteurs pouvaient offrir leur marchandise à tout un peuple? Est-ce bien ainsi qu’on pense rendre à la jeunesse son équilibre et aux adultes la confiance des jeunes?

On fait silence, pour l’instant sur la campagne en faveur de la réouverture des “maisons” éternel tranquillisant du lâche qui, pour éviter les désordres, admet volontiers la vente des filles d’autrui. On se contente que soit étendue la liberté de l’avortement thérapeutique, avec quelques précautions destinées à sauvegarder l’hypocrisie nécessaire. L’initiative est patronnée par des journalistes, des écrivains, des médecins, et par l’inévitable ecclésiastique de service dont l’intervention pourrait rassurer quelques naïfs malgré le non catégorique de l’Église.

Après quoi 343 femmes signent un manifeste, proclamant qu’elles ont déjà pratiqué l’avortement et demandant que le meurtre de l’enfant à naître soit désormais libre et gratuit.

Manœuvre peut-être maladroite: en effet, les signataires ne sont pas de ces malheureuses victimes de la société qui dans un instant d’égarement, poussées par la misère ou le désespoir, et de ce fait plus ou moins irresponsables, ont préféré la responsabilité de la mort à celle de la vie, faute d’appui ou de conseil. Non, ce sont des femmes écrivains, des actrices, qui ont su associer aux charmes de l’engagement révolutionnaire les facilités de vie et souvent les revenus fastueux de la célébrité bourgeoise, dans une société matérialiste indulgente aux forts. Et cela porte un coup sensible à la propagande sentimentale en faveur de l’avortement “libérateur”, car les 343 - ou plus - enfants qu’elles se vantent d’avoir supprimés n’auraient été vraisemblablement ni des miséreux, ni de ces handicapés que la tendresse des parents et des éducateurs vient de rassembler à Lourdes dans un pèlerinage sans précédent.

Cependant la manœuvre comporte un avantage évident, signalé aussitôt par un communiqué du centre “Humanae vitae”: cette pétition-repoussoir par son outrance même, peut avoir pour résultat de donner à la proposition de loi Peyret l’aspect d’une inoffensive adaptation de nos lois à la “moralité nouvelle”. Il est classique d’exiger trop pour obtenir un peu.

Or, les auteurs mêmes de la proposition de loi avouent implicitement qu’ils renoncent au strict respect de la vie humaine. Dans une lettre à ses collègues de l’U.D.R. - dont on sait fort heureusement qu’un nombre considérable refuse de le suivre - le docteur Peyret écrivait: “La société moderne, par une meilleure reconnaissance de tous les domaines de la santé (...) a fait disparaître la sélection naturelle (...) On peut penser que, sans freins, cette société moderne sera un jour capable de faire “vivre” définitivement les individus la composant…

“Mais alors se pose un problème social, conséquence lui-même d’un problème économique. Déjà les économistes estiment trop lourdes les charges financières de santé: jusqu’au point de devenir insupportables à la société.”

Nous en arriverions donc au moment où l’État, même en se déchargeant de ses responsabilités sur des commissions médicales, sinon sur les techniciens de l’économie, s’arrogerait le droit de vie ou de mort selon des opportunités dont il serait en dernier ressort, le seul juge. Et l’on comprend qu’ait été évoquée à ce propos l’instruction d’Hitler autorisant des médecins choisis à “accorder la délivrance par la mort aux personnes qui, à la suite d’un examen médical approfondi, et dans l’état actuel de la science (c’était en 1939) auront été déclarés incurables.” [“Le permis légal de tuer”, par une commission de juristes, de médecins, d’élus locaux et d’universitaires, brochure de 42 pages, au S.I.D.E.F., 31, rue de l’Orangerie. Versailles (78). - note de bas de page]

Qu’on ne prétende pas opposer à cette sinistre évocation l’inexistence de l’être humain durant les premiers mois qui suivent la conception: “C’est la génétique moderne, écrit le professeur Chauchard, qui devait nous donner une certitude en montrant que, dès la conception [C’est nous qui soulignons - note de bas de page] la fusion des cellules sexuelles, qui, du point de vue des chromosomes sont des demi-cellules, l’œuf possède dans son stock de chromosomes, la base matérielle, l’organe du programmage, de tous les caractères futurs de l’individu, notamment l’aptitude à avoir un cerveau humain. D’ailleurs, dès la conception, apparaît un dynamisme prodigieux d’assimilation qui commence la réalisation du corps.” [“Réflexions sur l’avortement thérapeutique”, par le Dr Chauchard, président de l’Association “Laissez-les vivre”. On peut également consulter la brochure “Laissez-les vivre”, qui contient les déclarations du Dr Chauchard, du professeur Lejeune, de Denise Legrix, du Dr Tremblay, de Robert Delerm et de Robert Drouillat, lors de la réunion du 5 mars à la Mutualité (C.T.I.C., 31, rue Croulebarbe, Paris-13, 3 F, 4 F franco). - note de bas de page]

Il existe, nous l’avons dit d’une autre tribune à propos de la torture, une logique impitoyable qui pousse la société aux extrémités lorsqu’on refuse, au point de départ, l’absolu d’une morale naturelle. De cette logique un titulaire du prix Nobel, M. Frances Crick, est l’un des témoins les plus irrécusables, puisqu’il s’est déclaré partisan d’une déclaration de la naissance reportée à deux jours afin d’éliminer les anormaux, envisageant ensuite l’euthanasie à partir de l’âge de 80 ans…

Il s’agit donc de savoir si la morale médicale jusqu’à présent admise doit disparaître. Comme l’écrivait M. Renaud Rosset, dans Le Monde du 27 avril, en rendant compte des débats de l’”Organisation Mondiale de la Santé” à Helsinki, les limitations à l’avortement seront inévitablement contestées:

“Ainsi, avec le professeur Huntingfort notamment, on débouche sur une conception “désacralisée” de la médecine. L’avortement devenant un acte médical courant, le gynécologue devient un pur technicien.”

On se demande alors en vertu de quel principe, le respect de la vie n’étant plus un absolu, le législateur saisi de la proposition Peyret s’arrêterait en si bon chemin. Et comme la législation n'est pas seulement le reflet des mœurs, mais les détermine pour une large part, on peut être assuré que l'évolution serait rapide. 

Elle le serait d'autant plus que certains “personnages consulaires” ne partagent pas l'inquiétude du chef de l'État devant la crise morale actuelle et l'exploitation du vice, et que les scandales publics se multiplient sans risque pour qui que ce soit. Or, la chiennerie généralisée, l'avilissement de l'amour et la dégradation de la femme ont un ennemi: l'enfant. 

Comme il est gênant pour certains, cet enfant, indésirable tant que sa forme humaine n'est pas visible, encombrant comme nourrisson et adulte à treize ans parce que l'éducation est une tâche trop lourde! Et pourtant, malgré le douteux sondage de l’I.F.O.P. scandaleusement présenté par une partie de la presse comme un référendum, nous savons, à n'en pas douter, que la grande majorité des foyers français est prête à accepter l'enfant avec joie, à lui sacrifier des plaisirs et des facilités de vie, et que pour une conscience éclairée l'assassinat légal demeure un assassinat. 

Voilà les parlementaires avertis. Nous ne pouvons croire que la plupart d'entre eux puissent ignorer désormais où l'on entend les conduire. Il ne faudra pas cette fois invoquer le moindre mal ni prôner les demi-mesures, car il s'agit bel et bien d'un principe lourd de conséquences, et non de l'indulgence qu'on doit témoigner, dans des cas précis, aux victimes plus ou moins irresponsables des drames familiaux et de l'injustice sociale. Si l’on s'est plaint, quelquefois avec raison de l'effacement du pouvoir législatif, il en va cette fois tout autrement, et l'on saura bientôt dans quelle mesure les camaraderies s'effacent quand la mission du législateur est en jeu. 

François DESGREES DU LOU

 

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