Le débat sur l'école ou le franc jeu de la liberté [François Desgrées du Loû - 28/04/1971 - Courrier de l'Ouest]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 15/04/2020]

Michel Debré (1912-1996)

[Le Courrier de l'Ouest - 28/04/1971 - retranscription]

Chronique

LE DÉBAT SUR L'ÉCOLE OU

LE FRANC JEU DE LA LIBERTÉ

par François DESGREES DU LOU

 

Le débat sur la loi Debré a rendu son actualité à la liberté d’enseignement, et il n’est sans doute pas inutile de rappeler de quoi il s’agit.

La liberté d'enseignement est une conquête des régimes démocratiques. Proclamé par la République de 1848, elle est entrée dans les mœurs depuis plus d'un siècle et nos lois l'ont garantie expressément. Elle comporte d'abord le droit des familles à choisir les éducateurs, ensuite le droit des enseignants à répondre à leur vocation, l'une des plus belles qui soient, aussi bien dans les écoles privées que dans celle de l'État. Et c'est pour assurer le plein exercice de cette double liberté qu’après de longues discussions l'enseignement privé, incapable de subvenir seul aux besoins des familles qui lui font confiance, a obtenu des formules de contrat - contrat simple et contrat d'association - qu'on eût souhaité plus souple, plus “familiales” et moins cléricalisées, mais qui du moins rétablirent partiellement dans les faits une égalité que l'insuffisance des ressources avait rendu illusoire. 

On est d'autant plus surpris d'entendre des partisans de la justice sociale revendiquer l'inclusion progressive des maîtres de l'enseignement privé dans l'enseignement d'État, ce qui signifie une nationalisation exclusive de tout pluralisme scolaire. Car c'est un fait que des centaines de milliers de parents, catholiques ou non, agissant en pleine conscience de leurs responsabilités reconnues à la fois par la tradition républicaine et par la Déclaration universelle des droits de l'homme, donnent leur préférence à l'enseignement libre. Et c'est un autre fait que les éducateurs chrétiens entendent répondre à leur vocation dans l'école chrétienne. S'opposer à cette liberté, dont nombre de maîtres de l'enseignement public reconnaissent la valeur de témoignage et nous on dit parfois qu'elle entretenait une émulation salutaire dans un climat de mutuel respect, c'est poser le principe d'une contrainte et substituer à une saine laïcité le monopole de l'État dans un domaine où la sensibilité des familles, premières responsables, est particulièrement vive et très légitimement fondée. Abroger la liberté scolaire soit par une nationalisation brutale - à l'exemple des régimes totalitaires - soit par une nationalisation larvée qui utiliserait, entre autres moyens, la pression économique et la substitution systématique du contrat d'association au contrat simple en vue d'une intégration progressive, c'est, qu'on le veuille ou non, prendre une position philosophique et violer les droits reconnus de millions de citoyens au nom d'une conception fausse de l'unité nationale. 

Conception fausse en tout temps, car l'unité ne s'impose que dans le respect des droits et des obligations de chacun. Mais combien plus contestable en l'an de grâce 1971! Va-t-on nous ressortir le vieil argument des “deux jeunesses” à l'instant où à l'intérieur de l'Université, si laïque qu'elle soit, plusieurs jeunesses s'affirment et s'affrontent tantôt dans la liberté, tantôt, nul ne l'ignore, dans l'anarchie ? Si l'unité nationale, aujourd'hui menacée par des périls d'un tout autre ordre que les rivalités scolaires du passé, est hautement souhaitable, ce n'est pas un déni de justice qui la rétablira. 

Nous ne voulons pas à dessein évoquer ici les raisons pour lesquelles, en France comme ailleurs, l'Église a revendiqué et revendique pour ses écoles le droit à l'existence. Nous nous tenons sur le terrain des faits, et dans le domaine politique où la liberté d'enseignement fait bloc avec les autres libertés: liberté d'association, liberté syndicale, liberté de la presse. Il nous est arrivé de revendiquer pour des écoles publiques le droit d'exister dans des communes où elles étaient minoritaires: cela nous permet de dire d'autant plus nettement qu'en régime libéral on doit, de part et d'autre, jouer loyalement le jeu de la liberté. 

Quand l'existence même d'un pays et d'une civilisation est menacé par les perversions qui s'étalent et par la subversion systématique, le pouvoir est sollicité par d'autres tâches que la recherche d'une intégration dangereuse et d'une illusoire uniformité. 

 

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