Discours de mariage par S.E. Mgr Le Bellec [Jean-Marie Desgrées du Loû et Chantal des Prez de la Morlais]

Publié le par Eugène-Robert-Marie Le Bellec (1890-1970)

[publié le 02/01/2023]

[Compte rendu de la cérémonie de Ouest-France, photos du mariage]

[transcription]

Discours

prononcé au mariage

de Mademoiselle

Chantal des PREZ DE LA MORLAIS

Avec

Monsieur Jean-Marie DESGRÉES DU LOU

en l'Église de Saint-Léry,

le 26 Août 1959

par

Son Excellence Monseigneur LE BELLEC

Évêque de Vannes

MADEMOISELLE,

MONSIEUR,

Il y a vingt-cinq ans échus, et seulement un mois et neuf jours de plus, en cette délicieuse petite église de Saint-Léry, à l'heure même où nous sommes, sans doute, un jeune homme et une jeune fille étaient agenouillés devant cet autel. Ils accomplissaient ici l'acte rapide, mais si grave, qui lie indissolublement deux âmes et deux vies à jamais par la force toute puissante du septième sacrement. Ce jeune homme et cette jeune fille sont devenus votre père et votre mère, cher Monsieur, et pour un peu sans doute, votre mariage à vous-même eût été célébré à ce même endroit, en cette même église, le jour de l'exact vingt-cinquième anniversaire du mariage de vos parents, à savoir le 17 juillet. Si cette coïncidence avait été possible, un charme de plus aurait aujourd'hui réjoui les cœurs. Les événements d'Algérie, d'où vous ne faites que d'arriver, n’ont pas permis le confluent précis à cette date d'une double joie, celle du jubilé d'argent de vos parents, et celle de votre propre mariage. 

Le 17 juillet 1934 était ici devant cette même balustrade Monseigneur Tréhiou, de toujours si chère mémoire, bénissant une union qui a été si heureuse, et prononçant une allocution suavement poétique et gracieusement doctrinale, dont j'ai eu la faveur de lire le texte ces jours derniers. Au successeur de Monseigneur Tréhiou est fait aujourd'hui le même formel honneur, auquel il s’avoue particulièrement sensible, et est demandé le même grave rôle auquel il n’a aucunement songé à se dérober: mais si, il y a 25 ans, était ici prononcé un poème exquis, cette fois l’acte sacramentel va être précédé d’une très pâle homélie.

Mieux vaudrait peut-être relire simplement le discours de Monseigneur Tréhiou, en y faisant quelques légères adaptations, puisque ce sont les deux mêmes familles qui contractent entre elles une nouvelle union, et puisque cette nouvelle union se réalise au même endroit dans le même sanctuaire. Mais ce serait une sorte d'atteinte à l'honnêteté. Je me console en pensant que, si la formule d'aujourd'hui ne peut avoir le même éclat que celle d’il y a vingt-cinq ans, le cœur du successeur croit avoir, comme l'avait celui du prédécesseur, la même admirative et reconnaissante affection envers les deux familles et le même ardent souhait de bonheur plénier pour les deux fiancés qui s'apprêtent à fonder sous le regard de Dieu un foyer chrétien de plus. 

“Rarement sans doute - commençait Monseigneur Tréhiou - cette vieille église a vu foule plus distinguée” et il ajoutait qu'il aurait désiré avoir la palette du maître verrier rennais du XVe siècle, qui très heureusement a laissé son nom - Berman - et qui a si somptueusement représenté ici sur le vitrail d'une chapelle le mariage de la duchesse Anne avec le roi de France Charles VIII... 

Puis un autre tableau se présentait au regard de son esprit, l’évangélique scène des noces de Cana, préfigure délicieuse de la joie de toutes les noces chrétienne, venue de Jésus appeler par les époux et de ses apôtres, présence de la Vierge, invités nombreux, puisque la provision de vin aurait été insuffisante, et aurait vite manqué si le regard avisé de la bonne ménagère de la petite maison de Nazareth n'avait pas remarqué la déficience et si sa splendide bienveillance n'avait pas spontanément et tout de suite décidé qu'il n'y avait pas d'autres moyens de remédier sans retard à l'insuffisance que de solliciter expressément le tout premier miracle de son Fils, quoique l’heure n'en fut pas encore venue. 

Une couronne de parents et des amis vous entoure d'affection, chers fiancés, comme celle qui emplissait cette petite église le 17 juillet 1934. En présence de tout un clergé qui vous est pleinement sympathique, devant l'autel où va être immolée à votre intention la sainte Victime, pendant que d'autres prêtre amis célèbrent ailleurs la sainte messe pour vous, spécialement à Assise, au tombeau de saint François, le patron de votre bon père, sous le regard de Notre-Dame, de Madame sainte Anne et de messire saint Léry, va se renouveler, va s'accomplir la mutuelle donation qui aboutit de votre double ascendance, qui vous rappelle l'héritage d'un beau passé, qui vous place en face des perspectives d'un avenir que tous nous vous souhaitons longuement et pleinement heureux, dans l'union étroite de la même foi en vos âmes, et dans la douceur sans déclin d’un mutuel amour en la fusion intégrale de vos cœurs.

*

*   *

Oui, à ce point de convergence, d'une si grave importance pour vous deux, chers fiancés, se présente à vous sur un versant élevé et lumineux l'héritage du passé, à savoir les exemples de valeur militaire et de haute conscience professionnelle, ainsi que les témoignages de fidélité chrétienne et d'attachement traditionnel à la terre bretonne et à la patrie française. 

Parallèlement d'abord et depuis un siècle ensemble, les deux familles ont noblement servi sur tous les terrains. Pour citer Monseigneur Tréhiou “dans nos annales militaires on voit briller à chaque page, alliés aux des Prez de la Morlais et aux Desgrées du Loû, les noms les plus illustres, Penthièvre, Avaugourd, du Guesclin, Clisson, Richemont, et le cher prélat évoquait encore “les magistrats qui présidèrent avec tout l'éclat des Etats de la noblesse Armoricaine”, et soulignait que si, autant de l'indépendance, ils luttaient sans peur et sans reproche, jamais après la libre et franche Union, la France ne connut fils plus aimants et plus éclairés.” 

Il est rare sans doute que deux familles se soient trouvées l'une à l'autre si intimement liées et depuis si longtemps, et sur le même sol, dans la même terre du Loû, en cette antique paroisse de Saint-Léry, où l'origine monacale se lit sur les pierres même de la vieille église. Depuis plus de trois siècles l'une des deux famille y est liée, et depuis plus d'un siècle l'autre, puisque le Loû fut d'abord la terre des Desgrées - dès 1655, dit l'historien des paroisses morbihannaises, le chanoine Le Méné - puis celle des la Morlais. Au cours de ces longues années les deux familles se sont attachées à tout ce pays, méritant ainsi l'une et l'autre l'affection stable et fidèle des habitants. 

Il serait certes intéressant de remonter à l'origine la plus haute d'une si ancienne noblesse Bretonne, et de saluer les membres de la famille Desgrées rencontrées à Augan, à Campénéac, à Gaël, à Saint-Léry, à Vannes, et de découvrir, en ce défilé des âges, des officiers, des magistrats, des sénéchaux de Ploërmel, des présidents de la noblesse aux États de Bretagne, des défenseurs des franchises bretonnes sous Louis XV, des dirigeants avisés de la vie politique en Bretagne au XIXe et au XXe siècle. 

De même pour les des Prez de la Morlais, à l'origine à Bohal, puis dans le voisinage de Rennes, des officiers des armées royales, des échevins de Rennes, des conseillers au Parlement, des magistrats. 

Dans la succession des âges, les deux familles apparaissent toujours, sans interruption et sans faille, avec la même solidité dans les convictions, et avec la même simplicité dans les manières, toujours près de la foule, jamais séparés par la moindre morgue de leurs voisins du peuple. 

Sans prendre, certes, aucune complaisance en l’évocation légitime d'un passé glorieux, il est salutaire à celui et à celle qui s’unissent pour ajouter un nouvel anneau à la chaîne ancestrale, de se recueillir au souvenir de ceux et celles qui furent les aïeux et les aïeules, et j'admire que ce soit le jour de ses noces, lesquelles ne pouvaient évidemment avoir la gloire du Nouveau Testament, que le jeune Tobie dit à sa jeune épouse Sara la belle paroles: Filii quippe sanctorum sumus. Nous sommes des fils de saints. 

Plus aisément que vers le passé lointain, vos regards se tournent, chers fiancés, vers vos bons parents qu’il me sera permis de saluer à la rencontre de la convergence, d'abord, Mademoiselle, votre bonne maman, et votre père, Monsieur le capitaine de frégate Bertrand des Prez de la Morlais, dont les services sont hautement appréciés dans l'aéronautique militaire, digne neveu du lieutenant-colonel aviateur des Prez de la Morlais, que les habitants de Saint-Léry eurent jadis comme maire à la suite de son propre père - dont le souvenir est encore demeuré, quoique plus de cinquante ans se soit écoulés depuis sa mort. 

Vous êtes privés, par les circonstances, de la présence de vos deux frères retenus tous deux dans l'armée en Algérie, et en outre vous n'avez pas l'avantage d'avoir auprès de vous votre aïeul paternel, qui, en raison de son état de santé, ne peut être ici autrement que de cœur, et voilà qu'un deuil tout récent, la mort de votre jeune cousin, fils du général de la Morlais, vous prive encore de la présence escomptée d'une partie notable de votre famille. 

Vous avez, cher Monsieur, la consolation d'avoir tous les vôtres à vos côtés, en cette église qui doit vous être particulièrement chère, où vous avez reçu, sinon le baptême, du moins la confirmation, votre chère maman et vos nombreux frères et sœurs, et votre si dévoué père, pour lequel tout le Morbihan professe un très profond et sincère attachement, non seulement parce qu'il est le maire de la commune de Saint-Léry, ni même seulement parce que la Providence l’a placé, auprès de son beau-frère, monsieur Paul Hutin-Desgrées, à la tête d'un très important journal, que dirigea jadis son père, homme universellement estimé, Monsieur Emmanuel Desgrées du Loû, mais très positivement à cause des principes qui l'inspirent, de la sagesse des articles qui sortent de sa plume, de la droiture et de la clarté qui émane de sa pensée et de ses écrits. oserai-je dire, très simplement, comme je le pense, que je le félicite hautement de ses qualités si éminentes de journaliste, combien précieuses à une époque, où tant d’idées s'affrontent et où tant de notions sont embrouillées et enténébrées! Il ne rougit pas de prendre sur les plus graves problèmes leur franche lumière à la source qui procure toutes les sécurités. Me sera-t-il permis de dire qu'un symbole précis et un gage assuré de la fidélité fervente des deux familles est que la bague de fiançailles fut bénite l’an passé par le saint Père dont la mort si brusque nous attrista si vivement voici quelques dix mois, Sa Sainteté Pie XII ? 

Il faut, à un moment décisif comme celui-ci, que pleinement conscients de ce qu'ils doivent aux précédentes générations dont ils sont les résultantes, et donc du patrimoine d'honneur qui est leur plus précieux héritage, deux fiancés se tournent résolument vers l'avenir qui les attend avec une volonté très ferme de continuer. Il est bon que chacun d'eux, et que tous deux ensemble prononcent intérieurement ce que jadis les rois proclamaient le jour de leur sacre “Je maintiendrai”. 

 

Le moment est venu, chers fiancés, où par un acte réfléchi et décisif de votre volonté inspirée par votre mutuel amour, par l'échange de vos consentements affirmés à haute voix devant les témoins de votre choix, et entendus de toute l'assistance attendrie et émue, en présence de l'évêque, principal témoin ecclésiastique, et de tout ce clergé, par l’effusion de la grâce qui, mystérieusement, de ce contrat va faire un sacrement, dont vous serez, et vous seuls, les ministres, vous allez accrocher à la chaîne de vos ascendances qui à l'horizon apparaît comme visible aux yeux de nos esprits, l'anneau nouveau que, avec toute la joie de nos âmes, vos deux “oui” y insereront avec une efficacité plus puissante que celle de toutes les forces matérielles. Acte vraiment sublime opéré à la fois par la grâce divine et par l'énergie conjuguée de vos volontés. Acte auquel l'un et l'autre vous êtes pleinement préparés, en sachant bien la valeur et la force qui sont l'indissolubilité, caractère essentiel du mariage chrétien. 

Me sera-t-il permis de citer une réflexion faite à ma propre personne dans la confidence d'un bref entretien avec un autre évêque rencontré à la clôture du Congrès Eucharistique de Lyon le 5 juillet dernier, à propos de la célébration d’un mariage: “Je ne pouvais pas, me dit-il, dans le cas exposé, me dérober à l'invitation que j'avais reçue de bénir ce mariage à cause de la situation importante de l'homme dans mon département, mais j'avais avec évidence l’intuition que cette union ne tiendrait pas”. C'est bien ce qui arriva; très vite la dislocation s’annonça, et très tôt se réalisa. N'est-ce pas l'une des plus grands de tristesse de l’Église que le fait trop fréquent d'union contractées à la légère par des jeunes gens impréparés, irréfléchis, ignorants peut-être du sérieux de la vie!

Ah! en vous regardant, chers fiancés, et en vous voyant l'un près de l'autre avec toute la préparation spirituelle de vos traditions, des pieuses années de votre jeunesse, des désirs ardents de vos âmes tournées vers l'idéal, idéal élevé et précis d'un foyer solide bâti sur un amour tendre, pur, immortel, je salue la famille pleinement chrétienne, noblement humaine, forte et douce, que vous créez sous l’effusion surabondante de la grâce divine. La plus belle chose du monde, n'est-elle pas la famille répondant absolument et avec la plus entière confiance à la volonté certaine, toujours bienfaisante, de Dieu ? 

Si, à l'époque troublée où nous vivons, l'on savait, l’on comprenait, l’on appréciait la grandeur, la noblesse, le bonheur profond que donne la famille chrétienne, il y aurait plus de justice, plus de paix, plus de joie qu'il n'y en a, et qu'il ne peut y en avoir, il y aurait même, on peut l'affirmer sans crainte, une plénitude de justice, de paix et de joie que ne peuvent goûter que ceux-là seuls qui savent le don de Dieu, qui comprennent la volonté toute de bonté de Dieu, qui apprécient la sagesse de la Providence, qui se laissent tout simplement guider par l'Esprit de Lumière et d'Amour. 

Vais-je chercher à esquisser ici la théologie du mariage chrétien, la puissance de l’attrait profond qui en est la source, les interventions mystérieuses et délicates de la Providence envers celles et ceux qui ont mis en elle tout leur confiance, la sécurité totale que donne l'abandon à sa direction sollicitée par la prière ? Non, ce serait inutile, chers fiancés, car vous êtes l’un et l’autre comme baignés depuis votre plus tendre enfance dans l’atmosphère chaude et douce de deux familles intégralement chrétiennes. Aussi, pour orienter le voyage commun qu’ensemble vous entreprenez aujourd’hui pour le continuer ensemble de longues et heureuses années, ne suffit-il pas que vous regardiez l’un et l’autre les deux foyers dont vous êtes issus, et que vous imitiez et reproduisiez les exemples vivants qui sont toujours là tout près sous vos yeux?

Quelles que soient les contingences extérieures en lesquelles vous allez vous trouvez, les activités, les lieux, où d'avance nos meilleurs souhaits nous accompagnent, votre souci premier sera d'être toujours et partout ce que le Seigneur et l’Église et la Patrie attendent que vous soyez. Déjà nous voyons se tresser dans l'avenir autour de votre foyer la plus belle des couronnes, celle des petites têtes en lesquelles vous-même, comme en vous vos ascendants, vous êtes appelés à vous survivre. 

Devant les radieuses perspectives qui s'ouvrent en ce moment devant vous, chers fiancés, et que toute cette sympathique assistance contemple aussi avec bonheur, que la Vierge Marie, et sainte Anne, et vos saints patrons vous prennent sous leur indéfectible protection, et que le doux maître Jésus, qui tant combla les jeunes époux de Cana, verse en vos âmes, et ne cesse d'y répandre, le vin pur et vivifiant des saintes épousailles!

Ainsi soit-il. 

 

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