Le martyr Pengam [Emmanuel Desgrées du Loû - 31/10/1905 - Ouest-Éclair]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 05/02/2021]

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Victor Pengam (1883-1920)

[Ouest-Eclair - 31 octobre 1905 - retranscription]

LE MARTYR PENGAM

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On n'en finirait pas s'il fallait relever toutes les contradictions et toutes les incohérences de l'esprit sectaire.

Voici maintenant que la “Lanterne” et l'”Action” prennent violemment à partie le préfet maritime de Brest parce qu'il a cru pouvoir mettre à pied, pendant un mois, l'ouvrier de l'arsenal Pengam, auteur d'une conférence antimilitariste à laquelle assistaient 2.000 personnes, dont un certain nombre portaient l'uniforme de soldat ou de matelot. 

Il avait semblé au vice-amiral Péphau que les ouvriers de notre grand port de guerre ont moins que quiconque le droit de prêcher l'indiscipline et que s'il est déjà difficile de supporter que des citoyens libres de toute attache avec l’État fassent de la propagande antipatriotique et traitent publiquement l'armée d’”école du crime”, cela devient intolérable de la part d'individus qui sont des manières de fonctionnaires et qui, comme tels, sont astreints à une particulière déférence à l'égard des pouvoirs publics. Mais le vice-amiral Péphau se trompait. La “Lanterne” et l’”Action” le lui font savoir et, sévèrement, le remettent en contact avec la bonne doctrine “républicaine”.

Cette doctrine est claire et il serait vraiment dommage de ne pas profiter de l'occasion qu'on nous offre de la mettre ici en pleine lumière. 

“Les ouvriers de l’arsenal, nous dit donc la “Lanterne”, protestent avec raison contre une punition infligée à l’un des leurs pour des paroles tenues en dehors du temps de travail. Il est certain que ce travailleur a été injustement frappé, car, cela est trop évident, les ouvriers de l’arsenal peuvent, une fois leur travail quotidien achevé, faire et dire tout ce qu’il leur plaît”. 

L’”Action” défend la même thèse et voilà qui est fort bien.

Mais, alors, s’il est si évident que cela que “les ouvriers de l'arsenal peuvent, une fois leur travail quotidien achevé, faire et dire tout ce qu'il leur plaît”, pourquoi le même droit n'appartiendrait-il pas à d'autres ? Et comment se peut-il faire que les journaux qui défendent aujourd'hui le citoyen Pengam soient les mêmes qui, il y a quelques semaines, réclamaient la tête de deux professeurs de l'Université dont l'un s'était permis, au cours d'une réunion d'anciens élèves d'un établissement religieux, d'exprimer sur la séparation des Églises et de l'État, une opinion contraire à celle de la “Lanterne” et de l'”Action”, et dont l'autre, à la “Semaine sociale” d'Orléans, avait commis ce méfait d'expliquer à ses auditeurs que l'idée démocratique est une idée d'origine chrétienne et que, pour être un bon démocrate, il n'est nullement nécessaire d'être irréligieux - au contraire!... Notez d'ailleurs que ces deux professeurs s'étaient exprimé le plus correctement du monde et en termes des plus modérés, comme il convient à des gens qui ont de l'éducation et de la culture et dont les idées sont assez fortes par elles-mêmes pour n'avoir pas besoin d'emprunter leurs moyens de défense au vocabulaire voyoucratique du citoyen Pengam. Et remarquez également qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre le cas de ces deux orateurs, respectueux de l'autorité et de l'ordre public, et celui de l'énergumène antimilitariste du Casino brestois. Cela, pourtant, n'empêche pas la “Lanterne” d'exalter le second comme un martyr après qu'elle a dénoncé les premiers comme des traîtres. 

Ainsi le veut la logique sectaire; ainsi le veut l'équité maçonnique. Et parce que, vous et moi, nous nous étonnons qu'on puisse descendre aussi bas sur l'échelle de la méchanceté et de la bêtise, nous passerons pour des “réactionnaires”! - E.D.L.

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