Mémoire pour le Comte Desgrée [III/VII : Première partie: Conduite du Comte Desgrée - Député en Cour et Etats de 1774 et 1776]

Publié le par Louis Gohier (1746-1830)

[publié le 20/09/2018]

[Sommaire:

Couverture - Introduction.

Première partie: Conduite du Comte Desgrée.

                              Les États de 1766 à 1772

                              Député en Cour et États de 1774 et 1776

Seconde partie: Délibération du 5 Mars 1769.

Troisième partie: Discussion des Pièces.

Recueil de Pièces.

Consultation.]

 

[27] Les États finis, une nouvelle carrière s'ouvre à son zèle. Député en Cour, il s'y rend, & la première réclamation est en faveur des citoyens disgraciés. Il sollicite le rappel des Commissaires qu'on avait écartés de l'administration de la Province, & le rétablissement du Contrôleur et des Notaires qu'on avait interdits. Le peu de succès de ses premières tentatives [28] ne le décourage point. Ses Codéputés étaient encore en Bretagne; dès qu'ils sont arrivés, il se joint à eux, pour dissiper une prévention injuste; les Notaires & le Contrôleur sont rendus à leurs fonctions.

Le Comte Desgrée n’est point arrêté par les obstacles. Après le départ des Co-députés, il fait de nouvelles tentatives en faveur des Commissaires; ils sont enfin rétablis. [Voyez la Lettre que les Commissaires de l’Evêché de St. Malo écrivirent, à cette occasion, au Comte Desgrée, n°6 7. - note de bas de page]

Dans les circonstances les plus critiques, il n'a pas craint de s'exposer au ressentiment des hommes les plus puissants, pour servir ses concitoyens. M. le Procureur-Général ne lui reprochera point d'avoir laissé échapper l'occasion de faire une démarche en faveur de ceux qui se trouvaient en butte à la persécution & à la calomnie; il ne lui reprochera point d'avoir gardé un lâche silence, lorsque l'intérêt de la patrie demandait qu’il eût parlé.

Tandis que la Bretagne se livrait, ainsi que toute la France, à l'espoir que donnaient à la nation les commencements d'un règne consacré à la bienfaisance, le Comte Desgrée apprend que la calomnie s'était insinuée jusqu'au pied du Trône; il apprend qu'on cherchait à faire naître des impressions défavorables contre la Province; qu'on y supposait des troubles & de la fermentation. La nécessité de détruire une prévention si dangereuse, lui  trace la marche qu'il doit suivre. C'est la religion du Roi qu'on veut surprendre; c'est au Ministre honoré de sa plus intime confiance, qu’il s'adresse. Il nie les faits témérairement avancés; il demande des Commissaires, pour en faire connaître la fausseté, & un château où il puisse attendre leur réponse; il s'offre pour otage. [Ceux qui connaissent la Bretagne, qui savent combien les habitants [29] de cette Province ont toujours été attachés à leurs Souverains, diront peut-être que le Comte Desgrée ne courait pas de grands risques, en proposant de faire vérifier les faits. Il ne craignait pas, sans doute, la vérification des faits; mais n'avait-il pas à en douter l'altération ? Si l’on avait confié de pareilles recherches à des hommes capables d'en imposer, ou d'envenimer les discours les plus innocents; à des hommes dont l'âme servile ne distingue pas les plus justes réclamations des murmures séditieux, que devenait le Comte Desgrées ?

Instruit de ses démarches, le Comte de Robien, Procureur-Général Syndic des Etats, lui écrivit, de Paris, plusieurs Lettres qui annoncent le jugement qu’il en portait.

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Si vous me jugiez utile à la besogne que vous faites à Compiègne, lui marquait-il, dans une du 10 Août 1774, je ne balancerais pas à m’y rendre, & à y passer quelques jours avec vous; mais vous connaissez les limites de mes pouvoirs, & votre zèle & votre activité suffisent pour opérer le bien.

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Je pense bien que, désormais, vous ne resterez pas longtemps à Compiègne, lui écrivait-il encore, le 16 du même mois: je comptais y aller passer quatre jours, mais qu’y ferais-je actuellement? Je ne suis pas jaloux de la gloire des autres: vous méritez seul des éloges. Croyez que j’ai du plaisir à l’avouer, & que j’en aurai à le dire.”

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Si vous obtenez, dit-il dans la même lettre, le changement de la réponse au second article du cahier de remontrances, vous ferez une bonne affaire; mais j'en doute.” [Le Comte Desgrée l’obtint, quoique les réponses fussent arrêtées et signées - note de marge]

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Le Comte Desgrée rapporte avec d’autant plus de plaisir ces Lettres, qu’elles peignent l’âme honnête & modeste du Comte de Robien, citoyen aussi connu par son patriotisme que par son amour pour la vérité. - note de bas de page]

Quand on s'est ainsi dévoué pour son pays, peut-on être soupçonné de l'avoir trahi ? Eh que trait, dans la conduite du Comte Desgrée, serait capable [30] d’accréditer une imputation aussi révoltante? Resté à la suite de la Cour, plus de Quatre mois après le départ de ses Co-députés, a-t-il employé ce temps pour solliciter des grâces personnelles ? A-t-il songé à ses intérêts ? Ceux-même de son frère ne l'ont pas occupé. [Les États avaient chargé leurs Députés & leur Procureur-Général Syndic en Cour, de solliciter un régiment pour le Chevalier Desgrée. Cette recommandation honorable n'a point eu l'effet qu'on devait naturellement en attendre; c'est la seule occasion où le Comte Desgrée se soit ralenti. Toujours empressé de remplir le voeu des Etats pour le bien public, il n'a négligé que ses propres intérêts, et ceux de sa famille. - Note de bas de page] Le rappel du Parlement, [Le Comte Desgrée n’entrera point dans le détail des soins qu’il se donna, lors du rappel des Parlements, afin que les intérêts de celui de Bretagne eussent été mieux ménagés qu’en 1769, & qu’il eût été rappelé, tel qu’il était avant les démissions. Il craindrait qu’on ne s’imaginât qu’il cherche à briguer la faveur des Magistrats, & il ne veut ni indulgence, ni grâce; il ne demande que la justice que tout citoyen a le droit de réclamer. - note de bas de page] le maintien des droits de la Province, [Le 16 septembre 1774, le Comte de Robien apprit au Comte Desgrée que les Fermiers-Généraux avaient fait insérer dans un Arrêt du Conseil rendu, à l'occasion du nouveau bail, un article qui leur accordait le débit exclusif du sel dans les dépôts des villes limitrophes de pays des gabelles. Ils avaient voulu faire enregistrer au Greffe de Fougères l'Arrêt du Conseil qui autorisait cette innovation, essentiellement destructive des droits, franchises & libertés de la Bretagne. L'alarme fut générale dans le canton. Vous sentez, marquait le Comte de Robien, combien il est important que vos représentations, sur cette contravention à nos privilèges aient du succès. À mon arrivée à Fougères, il me vint un monde prodigieux me faire des plaintes à ce sujet; &, dès le même jour, j'écrivis à la Commission, &c.

[31] La Commission intermédiaire adressa un Mémoire à M. le Contrôleur-Général; mais ce n'était point un objet d'administration qui pût se traiter par Mémoire, le Compte Desgrée présenta une Requête au Conseil. Un Arrêt réintégra la Province dans ses droits. Le Comte Desgrée demeura un mois de plus à Paris, pour suivre cette affaire intéressante. Ils n'en partit que lorsque l’Arrêt fut signé, & il n'arriva à Rennes que la veille de l'ouverture des États.

Ils ne pouvaient se tenir sous de plus heureux auspices. La présence d'un Prince aussi cher aux Bretons que Mgr. le Duc de Penthièvre, était un présage certain que la Province touchait au terme de ses malheurs.

Dès que le Comte Desgrée apprit que Son Altesse Sérénissime venait en Bretagne, il ne s’occupa que du soin de lui fournir l’occasion d’exercer sa bienfaisance, en lui faisant connaître la situation de la Province. Les emprunts qu'on avait été obligé de faire, à chaque tenue, pour remplir le déficit de l'état de fonds, avaient totalement épuisé les finances. Le Comte Desgrée représenta à S.A.S. qu’il n'était pas possible que la Province usât plus longtemps de ce moyen dangereux, qui, en la soulageant un moment, ne faisait qu'augmenter les dettes nationales. Ces dettes avaient été contractées pour le service du Roi; il était juste que le Gouvernement vînt au secours de la Province. S.A.S. sentit la justice de ces représentations, & voulut bien elle-même les faire valoir. Ce fut véritablement au zèle de ce Prince & à ses sollicitations, que le Comte Desgrée dut le succès des démarches qui ne cessa de faire, pour cet objet, auprès du Ministre des finances. C'est à ses bontés, que la Province doit la Caisse d'Amortissement qu'on accorde à chaque Tenue, pour l'extinction de ses dettes.

S.A.S. fut témoin des soins que le Comte Desgrée se donna, pour remettre les contrôles dans les mains de la Province. Si, sur ce seul article, il ne réussit pas, l’activité de ses démarches ne permet pas moins de douter de l’esprit qui les animait. - Note de bas de page] sont les seuls objets qui aient excité l’activité de ses démarches.

[31]  Digne Ministre d'un Roi juste & bienfaisant, vous, dont le retour a annoncé celui de la Justice et des Loix, c'est [32] votre témoignage qu’ose invoquer l’honneur outragé. Vous connaissez les sentiments du Comte Desgrée pour sa patrie; daignez attester vous-même quelle a été sa conduite en Cour. D'un mot, confondez les calomniateurs; dans quelque rang qu'ils se trouvent, ils ne peuvent être que l'objet de votre mépris.

À l'accusation la plus absurde, le Comte Desgrée n'a pas seulement sa conduite à opposer, mais le jugement que la Province elle-même en a porté; le témoignage solennel que les trois Ordres ont rendu à son patriotisme, dans la délibération du 30 Décembre 1774.


 

Extrait des registres du Greffe des États de Bretagne, tenus en la Ville de Rennes. Du Vendredi, 30 Décembre 1774.


 

Les États ont, de nouveau, remercié MM. les Députés & le Procureur-Général-Syndic à la Cour, des soins qu’ils se sont donnés.

Et quant à ce qui regarde particulièrement M. le Comte Desgrée Dulou, qui a présidé l’Ordre de la Noblesse, en 1772, de la manière la plus distinguée, dont le zèle et l’activité ont fait réussir les sollicitations qu’il n’a cessé de faire pour le bien de la Province, et qui s’y est acquis si justement & à tant de titres, l’estime publique, l’attachement & la connaissance de l’assemblée & de tous ses concitoyens;

Les États, vu les dépenses extraordinaires, & les services distingués de M. le Comte Desgrée, lui ont accordé & accordent la somme de trente mille livres, & une pension annuelle de six mille livres; de tout quoi il sera, en conséquence, fait fonds, dans la présente tenue, pour l’indemniser [33] des dépenses forcées auxquelles il a été assujetti, pour le service de la Province.” [Le Comte Desgrée reçut, à cette époque, de la part de Madame la Duchesse de Rohan, & de M. le Comte de Chabot, les témoignages du plus vif intérêt. À peine eurent-ils connaissance de cette Délibération, qu’ils lui écrivirent les lettres les plus flatteuses.

J’ai bien applaudi, & de bon coeur, Monsieur, à la délibération que les Etats ont prise en votre faveur, lui marquait, le 4 janvier 1775, Madame la Duchesse de Rohan; je suis bien sûre que les témoignages de l’estime & de la reconnaissance de vos concitoyens, vous touchent plus que leur munificence: pour moi, je suis charmée de tout, & vous savez comme je pense sur votre zèle, votre courage, & votre désintéressement; il était de toute justice que tout cela fût récompensé; je le fais aux Etats, & je les en remercierais, si j’osais, car je trouve charmant, à eux. Je compte aller, demain, à Versailles, je verrai M. de Maurepas; j'appuierai fortement pour qu'il fasse mettre, par la Cour, le sceau nécessaire pour le don des Etats.” [Le Comte Desgrée fut d'autant plus sensible à cette démarche, que Madame la Duchesse de Rohan la fit de son propre mouvement. - Note de marge]

Dites, je vous prie, à Madame Desgrées, combien je partage son bonheur; un million de compliment pour elle; &, pour vous, Monsieur, l'assurance du plus véritable intérêt, & de la plus sincère amitié.

Vous jouissez de l'estime de vos compatriotes, lui écrivait encore Madame de Rohan, le 12 du même mois, vous recevez les témoignages de leur reconnaissance, elle vous est bien due; personne ne sait mieux que moi combien vous la méritez.”

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Vous n'avez négliger aucune occasion de rendre justice [Le Comte Desgrée n’a jamais été dévoré par cette basse envie qui cherche à rabaisser le mérite des autres. Il s'est toujours empressé de faire valoir celui de ses concitoyens, dans quel ordre, dans quelque rang qu'ils se soient trouvés; mais il a servi plus d'un ingrat. - Note de marge] à l’Abbé; je vous en remercie: vous savez combien je suis sensible à la gloire de mes amis; c’est en cette qualité que je partage celle dont vous jouissez. Vous n’avez pas besoin, à Rennes, de prôneuse; mais, si j’y eusse été, quel plaisir j’aurais eu de dire tout ce que je sais de vous”.........................

[34] Un million de remerciements à Madame Desgrée; vous ne m’avez rien dit de sa santé, ce qui me fait espérer qu’elle a bien [supporté?] le voyage. Je vous souhaite à l’un et à l’autre tout le bonheur dont la vertu devrait jouir. M. de Rohan me charge de vous assurer des mêmes sentiments; je vous demande d’être persuadé de tous les sentiments que je conserverai toujours pour vous.”

Monsieur le Comte de Chabot ne s'exprime pas dans des termes moins énergiques.

Je suis infiniment touché, Monsieur, lui écrit-il, le 4 janvier 1775, des marques de confiance et de reconnaissance que vous venez de recevoir de la part des Etats. Je partage votre bonheur avec joie; vous méritez les marques de l'estime de la Province, par les soins infatigables que vous vous êtes donnés pour la servir; vous les méritez par le zèle & l'occupation [???] et constante dont je suis témoin pour elle; ce qu'on a fait pour vous est très-flatteur, mais il est très-juste aussi que le mérite & les talents soient récompensés.”

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Ces témoignages sont d’autant plus flatteurs, pour le Comte Desgrée, que Madame la Duchesse de Rohan, & Monsieur le Comte de Chabot ont été témoins de ses démarches. Monsieur le Comte de Chabot en a fait lui-même d’essentielles; il a donné, dans les circonstances les plus critiques, les preuves du plus sincère attachement à la Province.

…………………………………………. - note de bas de page]

 

[34] Voilà celui qu’on accuse, voilà celui qui n’a pas le mérite de se plaindre d’une inculpation injuste, voilà celui qui ne peut dénoncer à la Justice les calomnies les plus [atroces?], qui ne peut demander à en poursuivre l’auteur, sans être poursuivi lui-même par le Ministère public!

Le Comte Desgrée ne s’étonne pas que la Délibération du 30 Décembre ait irrité l’envie; mais en est-elle moins propre à confondre la calomnie? Il y trouve la justification [35] la plus satisfaisante de sa conduite, & elle va lui fournir encore une preuve particulière de son désintéressement. Le Comte Desgrée pouvait accepter avec honneur les bienfaits des Etats, & même témoigner de l’empressement d’en profiter; mais il n’a jamais été jaloux que de mériter leurs suffrages.

Ici l’on va connaître quel intérêt anime le Comte Desgrée. La Délibération du 30 Décembre 1774 lui accordait une gratification de trente mille livres, & une pension de six mille, qu’il dépendait du Gouvernement d’improuver, ou de confirmer. Qu’on place dans cette position un homme assez lâche pour tendre la main au premier corrupteur, & se vendre au plus vil prix; que ne fera-t-il point, dans l’espérance d’obtenir l’approbation qui doit mettre le sceau à la libéralité de ses concitoyens?

Qu’on se rappelle maintenant la conduite du Comte Desgrée, & qu’on le juge. Si depuis le 30 Décembre, il a agi en homme prêt à sacrifier l’intérêt public, pour s’assurer le don que lui faisait la Province, qu’on l’abandonne à ses calomniateurs, & qu’il partage le mépris dont leur accusation les couvre eux-mêmes. Mais, si, loin de ménager le crédit, loin de capter la faveur, il n'a jamais eu que les vues d'un vrai patriote; citoyen, dont la générosité n'a servi qu'à armer l'envie contre lui, laisserez-vous outrager impunément un Gentilhomme couvert des marques les plus glorieuses de votre estime ?

Aux États de 1774, on forma le projet de mettre en Régie les Fermes de Bretagne, & le Gouvernement parut en désirer l'exécution. On engagea le Comte Desgrée de le proposer; on lui fit envisager cette démarche comme un moyen d'assurer l'effet de la Délibération prise en sa faveur. Le [36] Comte Desgrée craignit, comme tous ses concitoyens, que le plan n’eût des conséquences dangereuses; il déclara hautement son avis; il n’écouta que son devoir, aucune considération ne fut capable de l’en détourner.

La Régie fut généralement rejetée, on n’alla pas même au scrutin. L'Arrêt approbatif de l'état des fonds supprima la gratification & la pension du Comte Desgrée. La Commission Intermédiaire fut plus sensible que lui-même à cette suppression; elle adressa des représentations à M. le Contrôleur-Général; elle lui écrivit la lettre la plus pressante. Cette lettre offre un nouveau témoignage d'estime & de considération, plus flatteuse pour le Comte Desgrée que toute autre récompense. [

Extrait de la Lettre écrite à M. le Contrôleur-Général des Finances, par la Commission Intermédiaire, le 31 Octobre 1775.

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Quant aux différentes gratifications supprimées ou réduites par Sa Majesté, nous sommes persuadés qu'Elle sera sensible aux motifs qui les ont déterminées.

Les États ont mis dans leurs dépenses particulières la plus grande économie; ils n'ont paru perdre de vue la situation de leurs finances, que lorsqu'il a été question de donner au Roi des preuves de leur amour & de leur obéissance. Les établissements utiles, & le nombre des citoyens auxquels ils ont été contraints de refuser des secours, prouvent, Monsieur, que, résistant sans cesse aux mouvements patriotiques, ils n’ont cédé qu'à la plus indispensable nécessité.

Ils ont considéré, dans ce qu'ils ont fait pour M. le Comte Desgrée, ce qu’ils lui devaient, à titre de justice & à titre de reconnaissance. Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Penthièvre, témoin du voeu de la Province, est dans le cas de vous assurer, Monsieur, de son unanimité.

[37] “Il était juste que ce Gentilhomme fût indemnisé entièrement des frais de sa Présidence. Il s’en faut beaucoup que ce qu'il a touché de la Province, & les 50000 livres que le Gouvernement lui a accordés, l'aient mis à couvert. Vous serez aisément persuadé de cette vérité, Monsieur, si vous voulez bien vous rendre compte de l'état des autres dépenses de la tenue de Morlaix, acquittées par le Trésor Royal, & vous rappeler que le cas où se trouva M. Desgrée, dût encore augmenter la sienne.

Élu Président, sans avoir pu le prévoir; éloigné de quarante lieues de son domicile, il fut obligé de former à la hâte son établissement; & de se pourvoir, à grand frais, de tout ce qui lui était nécessaire. Cette circonstance impérieuse le mit à la discrétion des monopoleurs de toute espèce, dans un lieu où le prix de toute chose était extrême.

Vous jugerez mieux que personne, Monsieur, combien il serait touchant pour la Province, que la marque d'estime distinguée qu'elle lui a donnée, devînt une cause de dérangement pour sa fortune, déjà [38] médiocre. C'est dans cette considération, que les États ont cru devoir lui accorder une gratification de 30000 livres; & leur objet, en y joignant une pension, était de reconnaître particulièrement son zèle pour les intérêts du Roi & de la Province. Ils ont compté avec d'autant plus de confiance sur l'approbation de Sa Majesté, qu’il sera toujours également dans son intention de récompenser le mérite, & de ne pas faire souffrir qu'un Particulier reste chargé des dépenses qu'il a faites pour le Public. L'exception qu’éprouverait M. Desgrée, deviendrait d'autant plus mortifiante, qu’elle semblerait annoncer que le Roi & ses Ministres n'auraient pas été satisfaits de sa conduite.

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Ce ne sera point, Monsieur, sous le règne bienfaisant de Sa Majesté, & sous un Ministère tel que le vôtre, uniquement occupé du bonheur public, que la Bretagne éprouvera la disgrâce de voir improuver de pareilles délibérations. Nous espérons que vous voudrez bien en assurer l'exécution; & nous vous en priant avec les plus vives instances.

Nous sommes, avec respect, vos très-humbles, &c.

Les Commissaires des États de Bretagne. - note de bas de page]

[37] Les États de 1776 renouvelèrent, en son absence, l'Arrêté dont la Cour avait refusé l'approbation. Ils se rend à l'Assemblée, demande qu'on regarde la Délibération comme non avenue, et emploie les plus vives instances auprès des trois Ordres, pour leur faire agréer son refus. On n’écoute point ses représentations; il les réitère le lendemain; on refuse également de les entendre.

Avant l’Arrêt approbatif de l’état de fonds de 1776, le Comte Desgrée s’adresse à M. le Contrôleur-Général; il l’instruit que la Délibération du 30 Décembre 1774 avait été renouvelée, & lui fait part de l’opposition qu’il y a lui-même apportée. “Content de ma médiocrité, lui écrit-il, je ne veux ni ne demande rien; ma seule ambition sera toujours d’être utile à ma patrie, de mériter l’estime de mes concitoyens.”

[38] La pension & la gratification sont, pour la seconde fois, supprimées. Le Comte Desgrée prévient alors la Commission Intermédiaire des démarches qu’il a faites pour exciter cette suppression; il la prie de regarder cette affaire comme irrévocablement terminée. [Voyez le rapport de la Commission intermédiaire aux États de 1778, Numéro 6. - Note de bas de page] Et malgré ces preuves de désintéressement, on ose dire qu’il s’est laissé corrompre par l’appât d’une somme de quinze cents livres! Malheur à celui qui, d’après son propre coeur, ne jugerait pas incroyable une calomnie aussi absurde qu’odieuse.

Mais quoi! vous connaissez, dites-vous, le Comte Desgrée pour une âme vile; vous savez qu’il a trahi la confiance [39] de ses concitoyens pour quinze cents livres; & vous attendez neuf ans à révéler un pareil mystère! Quels sont donc les motifs d’une conduite si étrange? qui peut vous engager à rompre le silence aujourd’hui? L’amour du bien publié? Nous eussiez-vous caché ce funeste & important secret, lorsque la Noblesse choisit le Comte Desgrée pour la présider, lorsque la Province le chargea de la défense de ses droits? Vous nous avez laissé remettre entre ses mains nos intérêts les plus chers, vous avez vous même applaudi à notre confiance, vous avez rendu hommage à son zèle, à sa fermeté; & c’est lorsqu’il s’est comporté avec le courage que l’amour de la patrie peut seul inspirer; lorsqu’il a rendu les services les plus signalés à son pays; lorsqu’il en a reçu les témoignages les plus honorables, que vous prétendez nous dessiller les yeux, que vous voulez nous persuader qu’il nous a trahis pour une somme de quinze cents francs! Accusateur téméraire, rougissez de votre imposture. L’innocent que vous attaquez, est justifié par ses actions, & c’est sur leurs actions que les hommes doivent être jugés.

Dans le tableau que vient d'exposer le Comte Desgrée, il n'a rien altéré, rien exagéré; il a rapporté des faits qui ont pu affliger l'envie, mais qu'elle n'oserait démentir.

Au reste, si l'on croit pouvoir le juger indépendamment de sa conduite, qu’on oublie les services qu'il a rendus; la Délibération du 5 Mars 1769 est le prétexte de l’inculpation formée contre lui: on la suppose contraire aux intérêts de la Province, afin d'en conclure qu'elle ne peut être que le fruit de la corruption. Examinons une supposition si hardiment & si imprudemment avancée. La délibération du 5 Mars 1769 est-elle, en effet, contraire aux droits des États ?

[Suite du Mémoire: Seconde partie: Délibération du 5 Mars 1769.]

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