Le "barrage" est-il fait? [François Desgrées du Loû - 16/04/1939 - Le Ploërmelais]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 07/03/2024]

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Soldats italiens en Albanie

[Le Ploërmelais - 16/04/1939 - p.1 - transcription]

Le “barrage” est-il fait?

par François Desgrées du Loû

Le gouvernement de M. Mussolini va plus loin dans l’imitation des procédés germaniques. Depuis l’occupation du royaume d’Albanie, “rien ne manque à sa gloire”. Ni le prétexte de “légitime défense” invoqué par le plus fort pour supprimer le plus faible. Ni l’élégance chevaleresque du comte Ciano, témoin l'année dernière au mariage du roi Zogou, et chassant aujourd'hui de Tirana la reine Géraldine et son enfant de deux jours. Ni le choix du Vendredi Saint, profané par les maîtres d'une nation chrétienne qui, sans doute, a ressenti profondément l'outrage fait à sa foi. 

Le peuple italien, qu'il s'agisse des millions de fidèles attachés de toute leur âme à l’Église, ou de l'aristocratie romaine dont le dévouement n'est pas moins fervent, ne participe certes pas à la responsabilité de tels actes. C'est le gouvernement de Mussolini et de Ciano, ce sont les mouvements fascistes, qui, seuls, ont perdu l'estime des nations civilisées. Et comme ils restent, pour l'instant, les maîtres de l'Italie, nous ne pouvons désormais concevoir un relâchement de l'alliance italo-allemande par les moyens diplomatiques que l'ancienne amitié de notre pays pour celui du “duce” pouvait encore suggérer. La France et l'Angleterre n'ont plus qu'à montrer leur force, attendant, sans rien céder de leur position, le jour où l'intérêt bien compris de l'une des nations de l'”axe” obligera les dictateurs à mettre un terme à leurs ambitions. 

C'est bien ainsi, semble-t-il, qu’agissent nos gouvernants et nos alliés britanniques. Toutes les précautions sont prises, et l'on aurait tort de s'alarmer des mesures de sécurité qui peuvent contribuer à éviter le pire. 

Ces manifestations de force suffisamment discrètes, mais visibles, peuvent avoir les résultats les plus heureux si la diplomatie franco-anglaise agit rapidement - car jusqu'ici la rapidité dans l'exécution des desseins a été plutôt le fait de nos adversaires.... De tous les côtés l'on peut s'attendre à de nouvelles épreuves: l'Allemagne supporte mal la nouvelle orientation de la politique polonaise, le gouvernement de Mussolini doit redouter de nouveaux progrès de l’entente des forces d’ordre au Sud-Est de l’Europe. Le bloc se fera-t-il à temps? C'est la tâche de nos gouvernants, qui jamais n'ont eu besoin de plus de sang-froid pour parer à de puissantes manœuvres. S'ils réussissent, après avoir donné tant de preuves de leur infatigable volonté de paix, à former enfin le barrage avec l’aide de toutes les nations dont les intérêts concordent avec les nôtres, Hitler et Mussolini voudront-ils l’affronter? Et que penserait leurs peuples? Il ne s'agira plus de cette lutte idéologique des “démocraties” contre les “dictatures”, prônée bien imprudemment chez nous par les partisans d'une dictature camouflée en démocratie: en effet, s'il est souhaitable que la Russie contribue à cet effort, Français, Anglais et Polonais - sans parler des autres nations - veilleront avec d'autant plus de soin à empêcher toute activité soviétique à l'intérieur de leurs frontières. La coalition ainsi formée ne sera que la défense naturelle de l'Europe, et là sera l'un des gages de sa réussite. 

Ainsi les agressions contre la Bohême et contre l'Albanie auront été le signal d'un rassemblement pacifique, mais fort. Rien ne permet de penser qu'il se réalise trop tard. Mais ce ne doit plus être qu'une question d'heures. 

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