Rapport relatif à la situation de l'Alsace occupée I/V - Comportement des autorités allemandes (Etablissement des cadres - Germanisation des esprits: la propagande) [tapuscrit conservé pendant l'occupation]

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[publié le 05/11/2023]

[in Souvenirs de l’occupation et de la résistance

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[Certains papiers ont été enterrés par prudence à la fin de l’Occupation et retrouvés ensuite [annotation François Desgrées du Loû]]

I/V - Comportement des autorités allemandes (Établissement des cadres - Germanisation des esprits: la propagande)

II/V - Comportement des autorités allemandes (Germanisation des esprits: la propagande (suite et fin: le national-socialisme - la jeunesse)

III/V - Comportement des autorités allemandes (Germanisation des esprits: mesures de surveillance et de représailles)

IV/V - Comportement des autorités allemandes (Activité allemande dans le domaine de l'économie alsacienne - L'Allemagne socialiste en Alsace - L’État police)

V/V - Attitude et réactions des populations d'Alsace (Les traîtres - Le vrai visage de l'Alsace se trouve dans la réaction) - Conclusion

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RAPPORT RELATIF A LA SITUATION DE L’ALSACE OCCUPÉE

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Ce rapport n'est que l'assemblage d'une série d'observations recueillies par quelques Alsaciens récemment expulsés de leur pays pour avoir eu le vice impardonnable d'un cœur Français. 

Ce travail n‘a été inspiré par aucun sentiment de haine ou de vengeance; toute passion susceptible de travestir la vérité en est exclue. - Au contraire, les rédacteurs ont cru qu'il était de leur devoir d'apporter à la France hospitalière, en retour de l'accueil maternel qu'elle leur a réservé, un témoignage de vérité. Soucieux des intérêts de leur petite patrie, ils ont considéré également qu'il ne leur est désormais qu'une manière de la servir utilement: renseigner les autorités et l'opinion française le plus simplement possible, sur ce qui se passe en Alsace ou, du moins, compléter une documentation déjà existante, par des expériences personnelles vécues. 

Ces renseignements seront essentiellement objectifs: ils consisteront, soit en faits précis observés de tous, ou, au moins, consisteront en copies et traductions de pièces officielles certifiées conforme - ces pièces officielles originales étant en la possession des rédacteurs de ce rapport - soit enfin en dépositions individuelles de personnes relatant leurs propres expériences. 

Ces observations comporteront deux éléments dont l'interpénétration constitue précisément le drame de la situation en Alsace: il s'agit d'une part, du comportement des autorités allemandes visant à une germanisation aussi brutale qu’elle est maladroite, et, d'autre part, l'attitude des populations d'Alsace à l'égard de leurs maîtres et leurs réactions. 

Ière Partie

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I. COMPORTEMENT DES AUTORITÉS ALLEMANDES.

Immédiatement après l'occupation de l'Alsace, la Wehrmacht et son commandement firent place à l'autorité civile et au Parti, en vue de germaniser aussi rapidement que possible ce “pays de race, de culture, et de langue allemande”. 

Ce fut avec une promptitude déconcertante et une brutalité peut-être sans précédent dans l'histoire, que l'on passe aux actes:

Pression sur les esprits par une propagande tout-à-fait perfide réalisant par les voies de la force ou du machiavélisme l'emprise sur toutes les catégories de personnes, et tout particulièrement sur la [2]jeunesse; mise à l'écart et suppression de tout élément “sui generis” rappelant de quelque manière la France, ses valeurs et ses douceurs, rédaction d'une forme de Kulturkampf tendant à rendre la vie spirituelle et religieuse, sinon totalement impossible, du moins insupportable. 

Cela ne suffit pas. Cette emprise morale se double immédiatement d'une action économique: il fallait, non seulement fait entrer l'Alsace dans le plan économique du Reich, mais encore tirer un profit maximum des ressources naturelles et industrielles de ce pays, l'exploiter à toutes fins, en dépit même des intérêts de nos deux départements - une propagande habile se charge bien, mais en vain semble-t-il, de distraire les esprits de ces opérations frauduleuses. 

Cette action économique va de pair avec l'introduction du système “Socialiste” allemand.

Enfin, toutes ces manœuvres nouvelles sont garanties parce que l'on pouvait appeler "l'État Police”. 

Tels sont les premiers points étudiés dans la première partie du rapport.. 

A) ETABLISSEMENT IMMÉDIAT DES CADRES.

L'expulsion des Juifs permit, dès le début, à toute une armée de fonctionnaires de l'administration civile et du parti de s'installer dans les riches immeubles et d’y aménager leurs services. 

Avant toute explication, voici, en un tableau schématique, l’armature de cette administration. On y remarquera particulièrement la priorité absolue du Parti, qui représente directement l’État Nazi, sur l’administration civile. (Voir le tableau page  ).

Certes pour être complet, ce tableau devrait comporter encore de nombreuses subdivisions et bien des explications, mais il n’y a pas lieu, ici, de s’y étendre: d’ailleurs la suite de ce travail apportera quelques éclaircissements. Mais il ressort dès à présent trois choses:

  1. - La grande complication de ce double organisme, comportant une multitude de services compliqués et exigeant une armée de fonctionnaires: On peut compter qu'ils sont à peu près 3 ou 4 fois plus nombreux que ceux de l'administration française dans un chef-lieu d'arrondissement. 
  2. - La dépendance absolue de l'administration civile par rapport au Parti: de ce fait les plus infimes détails prennent souvent une importance inattendue suivant qu'ils sont examinés sous l’aspect politique ou technique: de la également les jalousies et disputes entre les fonctionnaires des deux organismes. 
  3. - Enfin la différence des solutions données aux questions administratives selon qu'elles sont soumises aux services compétents de l'administration ou du Parti. Il arrive souvent qu'on se renvoie [3]mutuellement les affaires. Ceci se rencontre, par exemple, dans le service de l’[Arbeitsamt?] et de l’Arbeitsfront, tous deux chargés de l'organisation du travail.

Valeur des fonctionnaires:

Notons enfin que, si quelques fonctionnaires de l'administration civile ont une certaine instruction et possèdent une valeur professionnelle incontestable, il est manifeste que les fonctionnaires de l'administration du Parti n’ont en général ni l’étoffe, ni la valeur morale que l'on peut exiger des chefs. Ce sont, pour la plupart, des parvenus arrogants et sans scrupules, sans instructions [sic] et sans manières: volontiers alcooliques et frivoles.

Le Kreisleiter de l’arrondissement de T., Haut-Rhin - se plaignait un jour de la résistance passive qui se manifeste dans cette ville. “Et pourtant, déclare-t-il, c’est incompréhensible, T…. est une ville allemande puisque la Cathédrale est de style gothique”. Le nom de KREISLEITER suggère naturellement les idées d’ivrognerie, de brutalité, de scandale et de vénalité. On pourrait en dire long sur ce chapitre: que d'anecdotes. Un matin, dans un hôtel de cette même ville, on trouve le Kreisleiter et ses compagnons ivres-morts et ensanglantés. 

Aveuglément disciplinés, ils sont intransigeants en principe, mais ils cèdent volontiers à la vue des billets de banque. Ainsi, une personnalité très en vue à X..., manifestait avant l'occupation des sentiments ostensiblement patriotiques; marié à une Française de l'intérieur, il réussit par d'inqualifiables largesses à se maintenir en place. Autre exemple: le landkommissar de la même commune se charge contre remise de quelques pièces d'étoffe, de faire sortir d'Alsace, malgré l'interdiction officielle, grande quantité d'étoffes et tissus d'une firme textile hautrhinoise.

B) GERMANISATION DES ESPRITS.

Les cadres étant solidement établis et pompeusement logés dans les meubles et immeubles d'autrui, il s'agit d'aller au plus pressé, c'est-à-dire de combler par tous les moyens - licites ou non - la plus grande lacune: celle de l'esprit, du sentiment germanique. Car les autorités allemandes sont venues avec l’illusion de trouver une Alsace enthousiaste et heureuse d'avoir été délivrée des mains d'une France ennemie, de retrouver enfin la Mère-Patrie. Leur déception a été grande en face d'une réalité inattendue. 

Il fallait donc agir avec plus de vigueur et de rapidité: germaniser l'Alsace par tous les moyens, et, pour ce faire, exclure toute espèce de scrupule. Tel fut le mot d'ordre. 

Mais germaniser veut dire également “nazifier”. Il s'agit non pas d'emmener les gens “à penser allemand” (deutschdeuken), mais aussi, et en même temps, les obliger à adopter la nouvelle pensée (Weltanschaung) national-socialiste, de les incorporer en quelque sorte au Führer de la grande Allemagne. 

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En bref, deux méthodes pour servir ce but, deux méthodes qui, en fait n’en font qu’une: la propagande d'une part, et d'autre part, le système de surveillance avec toutes les mesures de représailles qu’il comporte. 

  1. - Propagande:

On parle volontiers du parfait esprit d'organisation de l'Allemagne nouvelle.       il se manifeste quelque part, c'est bien dans la propagande et dans la police. 

La propagande prend en Alsace un double aspect: elle comporte une forme positive et une forme négative. 

I - Il s'agit avant tout, et d'une manière simultanée à l'action positive, de faire disparaître tout ce qui rappelle de quelque façon la culture et la langue française, d'éliminer ou d’étouffer tout principe susceptible de distraire un esprit tout entier destiné à penser “nazi”. 

Le premier souci les autorités fût de détruire toutes les inscriptions publiques en langue française et de les remplacer par des expressions allemandes: ainsi en fut-il des bornes kilométriques, des indicateurs de routes, des boîtes aux lettres, etc... Les commerçants eurent quelques jours pour changer leur enseigne, en proposer aux autorités allemandes les nouvelles formules et les faire apposer en lettres gothiques. Il en fut de même pour les noms des firmes, les entêtes de papier à lettres: on pousse la démence jusqu'à pénétrer dans les cimetières: les inscriptions françaises furent arrachées des couronnes mortuaires, les cocardes des tombes militaires... 

Après quoi on s'attaque aux monuments

On connaît le sort des monuments de Kléber à Strasbourg, celui des fils du sénateur SCHEURER au Hartmannswillerkopf, de Repp et de Bruat à Colmar, du Chasseur (Diable Bleu) au Grand Ballon, et de combien d'autres parmi lesquelles certains monuments aux morts de la guerre 14-18. Tous furent brisés ou fondus. Les statues de Sainte-Jeanne d'Arc durent quitter les Églises. À Thann où la population a toujours été si française, voilà comment on procéda pour faire disparaître le fameux Chardon, l'une des fiertés de la ville. Un matin ont pu apercevoir, pendue au monument, une grande pancarte portant l'inscription suivante: “Ce monument nous a été imposé par l'entremise de notre Conseiller Général X... Il représente pour nous le chapeau de Gessler” (Comparaison empruntée à la légende de Guillaume Tell). 

Bien que l'origine de cette pancarte ne fît point de doute, le Conseiller Général visé jugea cependant important de porter plainte; le Stadtkommissar aussi bien que le chef de la police déplorèrent un acte aussi ridicule “de la part de la population” et promirent de faire une enquête. Quelques jours après, le même monument était badigeonné au goudron: nouvel incident: la population est outrée. Décidément, disent les Allemands, ce monument risque de troubler la tranquillité publique. Donc, dans un intérêt pacifique, il faut soustraire cet objet [5]de trouble, ce témoin de la domination française, aux fureurs des habitants (sic). Le Stadtkommissar chargea donc un entrepreneur de la ville de le faire disparaître. Un alsacien soucieux d'éviter sa destruction, proposa de l’ériger au cimetière; cette suggestion fut rejetée, et l'entrepreneur chargé de la pénible mission le déposa en lieu sûr, dans sa propre cour dont il verouilla la porte. Le lendemain, il constata que la porte avait été forcée pendant la nuit, que les mains des deux personnages de marbre avaient été brisées et emmenées. Personne n’eut de doutes sur l'origine de cette manœuvre aussi répugnante que maladroite. 

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Il faut aller jusqu’au bout. C'est sans aucun doute, l’usage de la langue Française qui constitue l'un des plus grands obstacles à cette germanisation. 

On sait que l'allemand, langue purement administrative pour les Alsaciens d'avant 1914 n'a jamais été utilisé dans le parler courant. Le dialecte alsacien était, en général, ce qu'il y avait de plus répandu. Par ailleurs, la presque totalité des populations citadines savaient le Français et, pour les jeunes, ils constituait avec le dialecte, le langage courant. La bourgeoisie, avec tous les élèves et anciens élèves de l'enseignement secondaire, parlait plus volontiers le Français, beaucoup même ne savaient que le Français. 

La mesure prise par les Allemands? Tout simplement, l’interdiction absolue de parler le Français où que ce soit: dans la rue, à l'école, - l'enseignement du français est exclu et remplacé par celui de l'anglais -, en famille. Dans les administrations, les lieux publics, café, magasins, partout la même inscription obligatoire: “Heer wird deutsch gesprochen” (ici on parle allemand). Bien plus - et l'un ne va pas sans l'autre - dans toutes les administrations, l'inscription suivante: “Der Deutsch Gruss ist: Heil Hitler” (le salut allemand est Heil Hitler) et malheur à qui n'obéit pas - et la majorité n'a pas obéi. Et il faut aller jusque dans les moindres détails: les comptables des firmes et entreprises se virent chargés du volumineux travail de refaire en allemands [sic], toute leur comptabilité et cela dans un temps limite. 

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Il n'est pas que les monuments de pierre pour appeler la France, mais encore les monuments écrits; toutes les maisons d'édition, toutes les librairies furent contraintes de dégarnir leurs rayons des ouvrages en langue française, ces livres, mis en caisse, furent ramassés et expédiés dans des fabriques de papier en Allemagne - aucune exception pour les ouvrages d'art ou de prières. Les commerçants ne pourront être remboursés qu’au kilo - et ils n'ont pas encore été. Même manœuvre pour les bibliothèques municipales ou publiques. Quant aux bibliothèques privées, la révision et le contrôle en avait déjà été commencés lors de notre expulsion. 

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On ne peut s’habiller “à la française”. Cela aussi est désormais interdit. Le port du béret, par exemple, est passible d'une amende. Combien d'hommes, d'enfants et même de jeunes filles se sont vu arracher leur béret dans la rue et c'était, comme dans toute la France, la coiffure la plus répandue. 

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Comment, en outre, peut-on s’appeler Pointet ou Laurent, ou avoir un prénom tel que Gaston ou Nicole, et être citoyen de la Grande Allemagne? Les Alsaciens au Nom à résonnance française furent donc invités à choisir, dans un délai fixé, des noms et des prénoms proprement germaniques. Toutes les facilités administratives leur furent données pour faire porter cette modification sur le registre de l’état civil. Bien que facultatif, ce fut là, cependant, une manière de manifester son attachement à l’idée allemande. Ceux qui, passé ce délai, continuèrent à s’appeler Pointet ou Laurent et à porter des prénoms intraduisibles, eurent à donner leurs explications au Parti, et ne tardèrent pas à subir l’expulsion.

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Notons, en passant, qu’il est interdit sous peine de mort d’écouter un poste radiophonique étranger quelconque.

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Il n’y a qu’un parti, le parti national-socialiste, qu’un chef, le Führer, qu’une idée, la Grande Allemagne. Toute activité, quelle qu’elle soit, doit obligatoirement se rattacher à cette “Weltanschaung”. Il ne peut exister d’activité “neutre” tout ce qui est neutre est ennemi, tout ce qui n’est pas positivement, activement pour, est contre. Deux idéaux ne peuvent subsister.

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II

Voilà ce qui doit disparaître. Mais il s'agit, en même temps, de reconstruire sur de nouvelles bases. Et les méthodes de reconstruction seront aussi brutales que les méthodes de destruction. 

L'Alsace et la Lorraine doivent constituer ce que les Allemands appellent le “Neuland” (Pays Neuf), par opposition avec l’Alt Reich (ancien Reich), c'est-à-dire que nos trois départements, considérés un peu comme pays de sauvage, devront servir aux autres Allemand de modèle en ce qui concerne l'esprit d'organisation et de propagande du Parti. Ce qui, en Allemagne, se fait par évolution lente, doit se faire chez nous avec une rapidité qui devra faire l'admiration du monde. Ainsi, dès à présent, le “Neuland” a une sensible avance sur le Reich: en [???] on pense, on agit encore beaucoup plus librement qu'en Alsace. Chez nous plus d'Évêques, plus de séminaires, plus d'écoles libres, etc... De l'autre côté du Rhin, tout cela existe encore. Faut-il ajouter que la cathédrale de Strasbourg ouverte aux visiteurs, demeure fermée au culte ? Un Alsacien, dans le Reich, peut se permettre ce qui, en Alsace, lui est interdit: parler Français, porter le béret, pratiquer librement sa religion, etc... 

Disons en un mot qu'il faut avoir vécu en Alsace ou en Lorraine pour pénétrer les fins véritables de la pensée nationale-socialiste. Aussi est-il sévèrement interdit aux Allemands non munis d'une permission expresse de pénétrer sur les territoires du “Neuland” ils ne doivent pas entrevoir ce qui les attend après la victoire, ou colporter des vérités indigestes, mais déjà bien des militaires s’en sont chargés. 

Quelles sont donc les méthodes de propagande positive ? Ce sont: la Presse, le système des loisirs organisés, les grandes et petites réunions politiques - au caractère obligatoire - la pression sur les fonctionnaires Alsaciens, la création des diverses organes du parti où chacun doit ou devra trouver sa place, enfin la terrible emprise sur la jeunesse, tant dans le domaine scolaire que dans celui du parti. 

Dès le lendemain de l'invasion de l'Alsace, on ne fut pas peu surpris de trouver dans tous les journaux des cris de victoire, des articles d'un germanisme de mauvais goût. Il est évident qu'il ne fallut pas 24 heures à nos envahisseurs pour installer dans nos bureaux de rédaction des gens de chez eux. 

Mais il faut avouer que cette forme de propagande demeure sans résultat, car elle est très maladroitement et lourdement menée. Elle ne parvient plus qu’à exaspérer ou à faire rire suivant le tempérament du lecteur. Les pages de ces volumineux journaux sont quotidiennement remplies d'articles s'efforçant de dénoncer aux Alsaciens combien ils étaient malheureux sous la domination française - or, personne, en Alsace, ne doute du bonheur dont jouissait notre pays depuis 22 ans - que la grande Allemagne s’assigne comme première mission de tirer ses frères d'Alsace de la misère et de leur apporter toutes les matières premières de denrées qu'elle possède “in Hülle und Fülle” (en masse). [9]Or, tous constatent que les articles français qui n'ont pas déjà été emportés par nos envahisseurs, commencent à manquer et qu'il ne seront pas remplacés, sinon par des articles ou denrées similaires que quelques industriels ou commerçants ont eu l'autorisation de chercheur en France et de revendre avec une hausse de 80 % à 100 % résultant du tarif douanier. Personne n'oublie qu’en 1919 la France a fait le sacrifice de revaloriser le mark Alsacien à 1,25 et que les Allemands, par les augmentations de 80 % dévalorisent notre franc et appauvrissent le pays. Des articles annoncent clairement que, pour relever le paysan de la misère, le Reich a fait le sacrifice de troupeaux entiers de bovins et de porcs, qu’il distribue gracieusement aux agriculteurs d'Alsace. Mais ceux-ci ne sont pas aveugles, ils savent que ces bêtes ont été saisies en Haute-Saône ou au Danemark et qu'ils n'ont pas le droit ni de les vendre, ni de les abattre, qu'ils doivent même les restituer après la guerre, qu’ils ne jouissent donc que de l'avantage de les entretenir. 

Les articles de propagande culturelle... Il y aurait, certes, moyen de rapprocher tous les styles et monuments historiques de la vallée du Thin: on peut légitimement comparer les cathédrale de Fribourg et de Colmar - comme on pourrait les rapprocher de celle de Bâle - mais pourquoi alors pousser le ridicule jusqu'à déclarer par de savants articles que la cathédrale de Strasbourg est une œuvre essentiellement allemande, parce qu'elle est gothique ? Pourquoi, par un article non moins important, s’étendre sur le style allemand en Alsace en donnant précisément comme exemple - et à l’appui d'une photographie - la gare de Mulhouse, alors que personne n'ignore qu'elle fut construite au cours de ces dernières années ? Ces quelques détails pour montrer le caractère primaire de cette forme de propagande dont on ne peut que s'amuser. 

Et toutes ces belles promesses d'avenir, telles qu’on en fait aux petits enfants: sur la reprise de l'industrie Alsacienne, alors qu'aucune crise économique ne l'a jamais mise dans une situation aussi si catastrophique; sur les nouvelles méthodes d'administration, le Reich de 1940 ne commettra plus les maladresses de l'Allemagne de 1870, qui s'efforçait de n'envoyer en Alsace que des fonctionnaires [prudiens?]: désormais on n’enverra plus que des “frères badois” et bientôt ceux-ci pourront être remplacés par des Alsaciens qui se gouverneront eux-mêmes: - or, nos frères badois” ne sont autre chose que des frères “nazi” préoccupés avant tout de bien vivre dans une Alsace encore riche des matières française et de s’en aller les mains pleines d'objets volés - on n'hésite pas, si l’on a besoin d'une salle à manger, à en faire expulser les propriétaires. Et comment songer à une Alsace gouvernée par des Alsaciens alors que tous les éléments capables de tenir les leviers de commande en ont été expulsés. 

Quant aux comptes-rendus de réunions du Parti, qui paraissent journellement, il est inutile de dire qu'ils sont exagérés de façon inouïe pour les besoins de la cause. Des réunions sans aucun succès deviennent des foules que les salles ou places publiques ne parviennent à contenir. Nous avons pu, à maintes reprises, évaluer les différences entre les prétentions et les réalisations. 

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Autre moyen de propagande, l’organisation des loisirs. Elle est confiée à un organe du parti spécialement destiné à cet effet: la “Kraft duch Freude” (la force par la joie. K.D.F.). 

En quoi consiste [sic] ces loisirs ? Par exemple: en excursions en autocar, du moins aussi longtemps que la pénurie d'essence n'avait pas atteint les proportions qu'elle atteint aujourd'hui. On emmène les gens pour la journée, de l'autre côté du Rhin, pour leur montrer les beautés de la forêt Noire, mais surtout pour leur manifester les bienfaits du régime: on leur fait visiter, par exemple, des usines modèles, des institutions sociales tel que des crèches, jardins d'enfants, etc... 

Autre forme de loisirs organisés: les concerts dans les usines. Mais ce but de propagande n'est-il pas souvent manqué par des détails qui manifestent, soit un manque total de souplesse, soit un esprit de lucre que l'on constate bien souvent dans les diverses manifestations politiques? Ainsi un jour parvient à la direction des usines SCHAEFFER & Cie à MULHOUSE une note annonçant pour le lendemain l'arrivée d'une musique de S.S. venant distraire pour une heure le personnel de l'usine: présence obligatoire pour tous... Tout le personnel se trouve donc réuni à l'instant où la musique entonne son premier morceau, progressivement la foule des travailleurs diminue: il n'y eut plus que quelques auditeurs pour lever le bras - ou ne pas lever - à l'hymne national de la fin. Cette manifestation d'antipathie eut été un détail dans l'affaire - les Allemands y sont habitués - si le chef de musique ne s'était présenté à la Direction de l'Usine avec une note portant la modique somme de 400 R. Marks, à savoir: 8.000 francs, pour l'heure de distraction. 

Le théâtre est le cinéma sont d'autres moyens de propagande rattachés à la K.D.F. Il va de soi qu’on ne ménage pas les avantages pour les propagandes d'un instrument aussi pratique que le film. Mais, là encore, aucun souci d'honnêteté, de vérité - tous les moyens sont bons: Deux exemples vécus: un matin dans une ville d'Alsace, vente de beurre, une foule énorme de clients fait la queue devant le poste de police où se fait la distribution. Arrive brusquement une voiture d'où sortent plusieurs individus en uniforme de S.A. l’un d’eux s'adresse à la foule: “Que ceux qui désirent du beurre lèvent le bras”. Sitôt dit, sitôt fait, mais en guise de réponse, un autre S.A. s'empresse de filmer le spectacle au moyen d'un appareil qu’il avait discrètement dissimulé. Le film passa dans les salles allemande - et même à PARIS, nous a-t-on dit. C'est ainsi que l'on démontre la foi nazi du peuple d'Alsace. Très récemment, dans une salle de Mulhouse, on présentait aux actualités un bombardement aérien de Londres, quand, brusquement, au milieu du silence, un soldat se lève s'écriant: “Mais c'est Hambourg, ma ville natale”. Un tonnerre d'applaudissements accueillit le cri désespéré de ce malheureux soldat. 

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L'organisation des loisirs est un à-côté, il faut, avant toute autre chose, enseigner la population sur les douceurs de la Grande Allemagne et les bienfaits du régime, sur la grandeur du Führer; il faut enflammer les cœurs, saisir les esprits, fixer les regards vers la personne divinisée du Chef. Pour cela, il faut parler aux gens, exploiter dans la mesure du possible le talent oratoire, et l’on organise, un peu partout, des Kundgebungen (réunions de masse); dans les salles, sur les places publiques: on installe des haut-parleurs, on hisse des étendards, on dresse des tribunes que l'on drape aux couleurs nationales, et l’on fait appel aux plus beaux et fidèles orateurs du pays de Bade. On l’invite poliment en marquant discrètement qu'il ne faudrait pas manquer, et, dans la mesure du possible, on note les présents pour mieux distinguer les absents. Malheur au fonctionnaire qui s'abstiendrait. 

Les réunions de ce genre, d'une manière régulière, dans toutes les communes de l'Alsace, c'est ce qu'on a appelé: “Die grosse Wende”.

Inutile de s'étendre sur le contenu de ces discours à grand tapage; les arguments sont généralement de ceux qui font sourire un Alsacien de niveau moyen. Le talent de ces gens du parti n'a de valeur que par son côté bruyant - et il n'y a aucune exagération; nous ne nous écartons en rien de l'objectivité qui est notre règle. 

Très récemment, le Gauleiter d'Alsace, Robert Wagner, se rendaient à Mulhouse. Une manifestation d'un caractère colossal était prévue et annoncée à grand frais d'articles: il fallait du monde, des foules, il fallait remplir les places - encore un moyen de donner au monde l'illusion de l'unanimité du peuple d'Alsace, une manière de préparer un éventuel plébiscite qui ne pourra être que falsifié; on n'imagine pas toute l'importance que les Allemands cherchent à donner à ces manifestations dans le but de prouver au monde l'envers de la vérité. Donc, pour obtenir à Mulhouse le résultat souhaité, on procéda de la manière suivante: obligation de se rendre à Mulhouse, ensemble, et de défiler en rangs serrés, pour tous les membres des divers organes du parti. De plus, obligation à tous les chefs d'industrie de Mulhouse de défiler à la tête de leur personnel au complet devant le Gauleiter - et cela se passait un dimanche. On prévoyait évidemment, le mécontentement qu'un tel procédé produirait sur les masses des Travailleurs qu'on obligea à passer au contrôle. Pour parer à cet inconvénient, on mit les chefs d'entreprise en demeure de payer à tout leur personnel les heures passées à défiler devant le Gauleiter comme des heures de travail. En outre, on a compté sept trains spéciaux de “foules” allemandes. Le lendemain, grands articles dans la presse: une foule incontenable de “Frewillig” (volontaires) a défilé devant le Gauleiter Robert Wagner. Notons enfin, que malgré cette obéissance, plusieurs de ces directeurs qui venaient de saluer malgré eux le Gauleiter se voyaient expulsés quelques jours après. 

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À côté de ces manifestations de masse, chaque corporation de commerçants ou d'artisans a ses réunions obligatoires - au cours desquelles on fait un appel nominatif - qui prennent elles aussi une allure plus politique que professionnelle. Même les juristes sont tenus d'assister à des réunions juridiques: notaires, avocats vont à l'école où on leur donne une nourriture de primaires - l'Alsacien, naturellement caustique, ne jouit que du ridicule de cet enseignement. 

Une anecdote: Lors de ces réunions de juristes, un professeur Allemand dont la valeur professionnelle et l’esprit critique semblait dépasser celle de ses confrères, s’est permis de répondre à la  question de l’un de ces élèves que, juridiquement, l’Alsace était encore française, ce qui provoqua de vives protestations de la part de ses collègues.

Remarquons, en passant, que si nos dirigeants de l’heure prennent dans ce travail un aspect souvent ridicule, ce n’est pas que nous cherchons à ridiculiser l’Allemand en tant que tel, mais nous constatons simplement la grande misère intellectuelle et morale des fonctionnaires du parti qui, en fait, dirigent l’Alsace.

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Dès les premiers jours de l’invasion, les hauts fonctionnaires de l’Administration française en Alsace, Préfets, Sous-Préfets, furent démis de leurs fonctions, quelques-uns eurent à souffrir de mauvais traitements, d’autres purent sans trop de difficultés passer les Vosges. Quant aux fonctionnaires subalternes, ils furent provisoirement mis en place, mais les conditions en furent pénibles pour des fonctionnaires Français. On les mit en demeure de signer une pièce dont voici l’exacte traduction:

“Questionnaire pour les fonctionnaires et employés Alsaciens”

1°) - Admettez-vous le rattachement de l’Alsace à la Grande Allemagne Nationale-Socialiste?

2°) - Êtes-vous vous décidé à participer activement et totalement au développement de l'idée du Führer et de la Grande Allemagne Nationale-Socialiste ? 

3°) - Êtes-vous prêt, sous certaines conditions, à accepter votre déplacement dans l’Ancien Reich?

Signature:

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Beaucoup ont signé, malgré la menace aidant, d’autres ne l’ont pas fait ou ont répondu en posant eux-mêmes des conditions: ces derniers ont été expulsés. Mais ceux qui ont signé, ne l'ont fait qu'après hésitations et réflexions et pour satisfaire au principe suivant: les Alsaciens doivent, dans la mesure du possible, demeurer en Alsace afin de ne pas céder à d'autres les places qu'ils seraient tenus d'abandonner. Personne ou à peu près ne se considère comme moralement engagé par cette signature. On sait trop bien en Alsace ce que signifie pour l'Allemagne des traités et des contrats et on se rappellera toujours le principe du “Fetzpapier” (chiffon de papier). On trouvera également ci-joint (pages         )  traduction littérale d'un questionnaire que tous les fonctionnaires Alsaciens ont été obligé de remplir. Il est évident que cette signature engage aussi le signataire vis-à-vis du parti; et s'il veut maintenir sa situation, il faut qu'il soit du parti. Il faut jouer le jeu intégralement. Mais viendra certainement un moment où ce jeu paraîtra singulièrement difficile à jouer, car si, par exemple, il est chrétien et que sa conscience, elle aussi, exige sa part, il se trouvera dans une situation fausse. Déjà on a fait comprendre aux fonctionnaires que l'Église n'était pas pour eux et qu'ils feraient bien de s'abstenir de la fréquenter. Voici à ce propos quelques idées exprimées par le Stadtkommissar de T.... Dans un discours prononcé le 17 novembre aux fonctionnaires municipaux: 

“L'Église a manifesté, à travers l'histoire, sa totale incapacité: au lieu d'organiser la charité et la vie sociale, elle n'a fait qu’accaparer les biens d'autrui, l'Allemagne a réalisé en six ans ce que l'Église n'est pas parvenus à faire en deux mille ans. 

“Cependant, l’Allemagne nouvelle n’exclut pas Dieu, bien au contraire, elle ne cesse de remercier le Seigneur de lui avoir envoyé un sauveur en la personne d’Adolph Hitler. D'ailleurs, la présence ici-bas du Führer et ses succès sont une confirmation de la vérité où se trouve le peuple Allemand. Mais un Allemand digne de ce nom ne pourra accepter les principes évangéliques de charité, son honneur lui permettra t-il de tendre la joue gauche après avoir été frappé sur la joue droite ? De plus, les griefs que l'Église fait au régime n’ont aucune valeur: ainsi elle n’admet pas le principe de la stérilisation, mais un catholique refusera t-il, le cas échéant, de se faire opérer de l'appendicite ?” (sic).

Nous nous excusons de rapporter des propos aussi ridicules, ils n'ont d'intérêt que par le caractère du personnage qui les a prononcés. - Le même Stadtkommissar conclut donc devant l'assemblée des fonctionnaires, qu'un bon catholique ne peut être un bon Nazi, que les fonctionnaires du IIIe Reich doivent être avant tout de bons nazis, que, par conséquent, ils ont à choisir: de deux choses l'une, ou Jésus-Christ ou le Führer.

Nous joindrons à cette documentation relative aux fonctionnaires Alsaciens la traduction d'un questionnaire dont nous avons pu nous procurer l'original, bien qu'il soit tenu strictement secret - cette sorte de fiche individuelle ne peut être remplie que par des hommes de confiance du parti (cf. page       ). 

[suite du document]

 

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