Au Treillis-Vert [21/05/1893 - La Dépêche de Brest]

Publié le par La Dépêche de Brest

[publié le 02/07/2023]

[comptes-rendus des conférences - Conférence catholique - 20/05/1893 - Le Courrier du Finistère]

[La Dépêche de Brest du 21/05/1893 p. 2 - source: site de la Bibliothèque numérique patrimoniale de Brest - transcription] 

Au Treillis-Vert

Deuxième réunion catholique. - Une conférence mouvementée. - L’abbé Dulong de Rosnay. - M. Dubois et les interrupteurs. - A la sortie. - Reconduits à domicile

Hier au soir a eu lieu, au Treillis-Vert, la seconde réunion organisée par le comité catholique. Sept à huit cent personnes environ y assistaient. M. Coutance présidait, assisté de MM. Dubois et Desgrées du Loû. L’orateur était M. l’abbé Dulong de Rosnay, le même avec qui Meunier avait refusé de discuter, les prêtres, disait-il, n’étant pas des hommes. Meunier avait tort, assurément; pour une fois, il eût pu faire fléchir la rigueur de ses principes en faveur d’un homme qui a pour lui, comme on le verra plus loin, de si bons sentiments.

C’a avait été très mouvementé à la réunion publique organisée par Meunier; la réunion d’hier soir ne l’a été guères moins. Dès le début du discours de l’orateur, qui devait traiter ce sujet, Dieu, religion, patrie, les interruptions se font entendre. - Est-ce qu’on ne pourrait pas, dit une voix, commencer par les singeries d’usage? L’auteur de l’exclamation est expulsé, non sans tumulte; mais quelques instants après, interruptions, cris, tumulte recommencent.

Nous n’avons pas à résumer ce discours sur lequel on est sans peine édifié. Parlant de Meunier, le conférencier dit qu’il le tient pour franc et loyal. - C’est un convaincu, dit-il. - C’est vrai! ajoute M. Desgrées du Loû. L’abbé demande ensuite quelle différence il y a entre Meunier et ceux qui ont chassé Dieu des écoles? 

- Oui, de qui ces hommes, qui ont chassé Dieu de l'âme des enfants, sont-ils le plus près, de Meunier ou de moi? 

Un tumulte répond à la question: - De vous! de vous! - De Meunier! 

- Laissez parler l’orateur! crie M. Dubois. 

Mais le tumulte continue de plus belle. M. Dubois reprend: 

- Silence! Nous sommes ici chez nous, après tout!

Le silence met cinq minutes à se rétablir. M. Dulong de Rosnay dit qu’il n’y a pas de différence entre Meunier et les républicains; ce qui semble combler d’aise M. Desgrées du Loû, qui s’écrie: - A bas le gouvernement de Cornelius Herz!

Un peu après, comme M. Dulong de Rosnay parle encore de la réunion provoquée par Meunier: - Nous n’avons pas eu son pareil depuis que la salle de Venise existe! crie une voix. Ce n’est alors qu’un vacarme assourdissant; on crie de tous les coins de la salle. M. Dubois s’essaie en vain à dominer le tumulte: - Ah! çà, messieurs, finirez-vous? Écouterez-vous l’homme éminent qui est devant vous? Nous sommes chez nous, nous avons payé la salle!

Et comme des cris de: A la porte! se font entendre, une voix réplique: - Quand on invite les gens, ce n’est pas pour les renvoyer!

Le tapage recommence. On crie, on siffle. Quelques cléricaux veulent expulser l’auteur de la réflexion; il résiste; enfin, il est mis dehors.

Pendant l’expulsion, un spectateur proteste. - C’est le chapeau de paille, là-bas, dit M. Dubois. L’homme au chapeau de paille, à l’air très résolu, ne paraît pas disposé à céder la place, et pendant trois minutes, le tumulte continue.

Enfin, l’abbé Dulong reprend la parole. Ça n’est pas l’intelligence qui manque à notre parti, dit-il. - Non, riposte un mauvais plaisant, c’est la beauté! Et de nouveau la tempête se déchaîne. Un spectateur est poussé à la tribune, non sans recevoir des horions; il faut que M. Desgrées du Loû intervienne pour le protéger. L’homme dit quelques mots qu’on n’entend pas; finalement, l’abbé Hameury le prend sous sa garde, et il sort, cette fois sans coups de poing.

Dix minutes après, nouvel incident au sujet de l’homme au chapeau de paille qu’a désigné M. Dubois. - C’est un Panama! dit quelqu’un. On rit. - Eh bien, le Panama, là-bas! s’écrie M. Dubois.

Il est neuf heures, et le conférencier n’est guère avancé dans son sujet. Il s’étonne du tumulte, dit qu’à Paris il a eu affaire aux anarchistes, qu’il a même eu l’honneur de leur serrer la main et qu’ils n’ont pas fait tant de bruit. Il aime mieux ces hommes-là, ajoute[-t]-il, que ceux qui sont barbouillés d’on ne sait quelle pommade opportune.

- A bas les opportunistes! crie M. Desgrées du Loû.

La conférence s'achève dans un calme relatif. La lecture d'un ordre du jour protestant contre les interruptions et remerciant M. Dulong de Rosnay clôt La réunion. 

Il est 9 h. 40; on sort; mais alors se produit une manifestation inattendue. 

Dans la cour du Treillis-Vert et sur la place de la Liberté, trois à quatre cent personnes sont massées qui, à l'apparition de l’abbé Dulong de Rosnay et de ses amis, entonnent la Carmagnole, Esprit saint, descendez, etc. Les cléricaux se forment en rangs serrés et défilent, la canne à la main; ils traversent ainsi la place. Autour d'eux, derrière eux, la foule grossit et les suit; quand ils arrivent dans la rue de Siam, six à huit cent personnes leur font cortège, chantant la Marseillaise et la Carmagnole, et aux cris de: A bas les cléricaux! A bas les jésuites! A bas Dulong! Le cortège descend ainsi la rue de Siam, tourna l'angle de la rue de Mairie, qu'il remonte jusqu'à la rue du Château, et descend ensuite cette dernière rue. Arrivés à la rue d'Aiguillon, l’abbé Dulong de Rosnay et ses amis tournent à gauche, gagnent la rue Voltaire, toujours escortés et suivis de la foule, puis la rue Traverse. Là, ils entrent rapidement au numéro 1 de la rue, et la manifestation prend fin, faute de cléricaux. 

[suite des comptes-rendus des conférences - Une conférence catholique à Lambézellec - 30/05/1893 - La Dépêche de Brest]

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