Les intentions du nouveau Cartel [François Desgrées du Loû - 07/06/1936 - Le Ploërmelais]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 20/12/2022]

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[Le Ploërmelais 07/06/1936 - p.1 - transcription]

LES INTENTIONS DU NOUVEAU CARTEL

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L’opposition attend dans le plus grand calme que le gouvernement du Front Populaire fasse connaître ses projets et entreprenne de les réaliser. Ce sang-froid, qui contraste avec les campagnes violentes menées récemment par les gauches, contre les ministères d’union nationale, fait honneur aux patriotes de toutes nuances. Les adversaires de l'extrême-gauche, les “modérés” du centre et de la droite ne cherchent pas dans une agitation dangereuse, la revanche d'un échec immérité.

On pouvait croire que les nouveaux maîtres du pouvoir, par habileté politique ou pour toute autre raison, répondraient à la modération de leurs adversaires par une égale modération. Malgré quelques paroles de M. Léon Blum nous devons constater que l'extrême-gauche, ivre de son succès, accroît ses exigences et clame ses appétits. Ainsi, au lendemain des élections législatives de 1924, le cartel revendiquait toutes les places: nous n'avons pas besoin de rappeler la suite... 

Dès maintenant, en effet, les intentions des groupes qui détiennent la majorité se précisent. Il en est que nous tenons à marquer parce qu'elles témoignent du sectarisme de certains partis, empressés à retirer aux autres les libertés qu'ils ont revendiquées pour eux-mêmes.

L'Union Socialiste et Républicaine, qui se situe, au parlement, entre le parti radical et le parti socialiste, a prévu l'institution d’un [office?] chargé de contrôler la presse. Il ne s'agit pas là bien entendu, d’une répression impartiale des fausses nouvelles qui affolent l'opinion, ni d'une réflexion de la part évidemment trop grande, que certains journaux font aux scandales ou aux crimes les plus odieux. Il s'agit surtout, semble-t-il, d'un organisme D’État qui, s'il est est aux mains de certains politiciens, exercerait une véritable dictature sur la presse. Un tel “contrôle” devient facilement une véritable tyrannie.

De leur côté, les communistes et aussi des radicaux tout prêts à faire revivre les “fiches” qui ont tristement illustré le ministère Combes réclament l'”épuration” de l'armée et de l'administration. Nous savons ce que cela veut dire, puisque les gouvernements de gauche, avant la guerre “épuraient” les grands corps de l'État en maintenant à des situations subalternes ou en mettant à la retraite, les fonctionnaires par trop catholiques ou prétendus “réactionnaires”. Qu'il s'agisse de l'armée, des ambassades, des préfectures ou des ministères, on imagine facilement les mots d'ordre que donneraient à un gouvernement d'extrême-gauche les syndicats révolutionnaires et les loges maçonniques. M. Blum a reçu récemment une délégation du “Front Laïque”, association qui groupe les anticléricaux les plus violents. Nous ne savons quelle a été la conversation du futur président du Conseil avec ces hommes qui ne peuvent t'entendre parler de l’Église sans tomber en convulsions… Toujours est-il que les délégués des Loges se sont déclarés satisfaits. Cela suffit pour que nous ne soyons pas.

S'agit-il de questions sociales ? Le danger n'est pas moins visible. En admettant même que les revendications des grévistes de la région parisienne soient justifiées, la manière dont ils les soutiennent n'est-elle pas contraire à l'intérêt de la société tout entière ? Si ces procédés se généralisaient, la solution équitable des conflits serait compromise, et la classe ouvrière elle-même en souffrirait, car la dignité du travail est chose trop sacrée pour que des agitateurs s'arrogent le droit de la défendre. Le terrain professionnel et le terrain politique doivent être distincts: le jour où les syndicats procèdent par la force et commandent aux pouvoirs publics, on entre dans une période révolutionnaire. 

Nous n’en sommes peut-être pas là. Mais si M. Léon Blum, dans son discours du 31 mai, a rappelé que même en collaborant avec d’autres partis, le parti socialiste chercherait à atteindre à la longue, son but véritable, qui est d’instaurer en France, un régime collectiviste.

Cela suppose, un jour ou l’autre, la dictature du prolétariat et la destruction des libertés les plus nécessaires. Cette fois l’opposition des citoyens attachés à leur indépendance sera irréductible.

Nous ne pensons d'ailleurs pas qu'on en vienne là. Mais le seul fait qu'on puisse envisager une tentative de l'extrême-gauche pour réaliser son programme, le jour où les circonstances lui seraient favorables, suffit à justifier l'opposition très ferme et très résolue du centre et de la droite. Les hommes de bonne foi qui, pour l'instant, hésitent; les mécontents qui ont cru mettre un terme à leurs difficultés, en votant “rouge”, le comprendront peut-être bientôt, quand l'intérêt du pays exigera de nouveau, l'union des bonnes volontés. 

François DESGREES DU LOU.

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