Géographie électorale de la France - Le Morbihan - Circonscriptions de Ploërmel, Pontivy et Lorient - Conclusions [François Desgrées du Loû - 19/05/1935 - Le Petit Démocrate]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 30/06/2021]

[article précédent - Le Morbihan - Vannes et Ploërmel]

[Le Petit Démocrate 19/05/1935 - retranscription]

GÉOGRAPHIE ÉLECTORALE DE LA FRANCE

[Suite. Voir numéro du 5 mai. - note de bas de page]

LA CIRCONSCRIPTION DE PLOËRMEL

(Cantons de Ploërmel, Mauron, Guer, Malestroit, Saint-Jean Brévelay, Josselin, Rohan et la Trinité-Porhoët)

Des observateurs généralement plus perspicaces ont cru voir dans l'attitude politique de cette région morbihannaise un indice de plus du tempérament passif qu'ils attribuent volontiers aux Bretons de langue française, et qu’ils opposent à l'ardeur têtue du Bas-Breton. Crainte du prêtre et crainte du château, pression morale et intérêt; tels auraient été les mobiles de l'attachement constant des électeurs aux candidats de droite. Nous dirons plus tard ce que nous pensons de cette thèse, qui a son importance; mais il est bon de marquer dès maintenant son caractère quelque peu artificiel en notant ces deux faits: d'une part, les cantons les plus bretonnants, où, pour être exact, les plus “vannetais”, ceux de Malestroit, Saint-Jean Brévelay, Josselin et Rohan, sont aussi ceux où les majorités recueillies autrefois par les candidats de droite et aujourd'hui par les candidats anticartellistes sont les plus fortes. Les cantons les plus “gallos”, au contraire, qu’il ne faut pas assimiler aux autres, ont été moins constants dans leurs votes, et si Guer et Ploërmel suivent l'exemple du reste de l'arrondissement, Mauron et la Trinité-Porhoët donnent le plus souvent des majorités radicales. D'autre part, en 1928, la circonscription de Ploërmel a préféré un candidat démocrate à un membre de la Fédération Républicaine que soutenait l'extrême-droite, ce qui prouve que si la question religieuse n'est pas en cause, les préférences politiques et personnelles se manifestent librement. 

Avant la guerre, la circonscriptions de Ploërmel, comme celle de Vannes, devait opter entre la politique des droites et celle du “bloc”. Elle préférait naturellement la première, que représentaient, avec le prestige de leur nom, les ducs de Rohan. Ceux-ci pouvaient compter sur 11.500 à 14.000 voix contre 7.300 à 9.900, soit 42 à 52 pour 100 des inscrits, 53 à 63 pour 100 des votants en toute circonstance. Il leur arriva même de n'avoir pas de concurrents. En 1924, la liste républicaine indépendante obtenait 60,9 pour 100 des suffrages (51,38 pour 100 des inscrits). En 1932, M. Guillois, U.R.D., avec 11.872 voies contre 6.754 à un radical et 531 à un communiste, recueillait 61,9 pour 100 des suffrages (49,55 pour 100 des inscrits). Cette fois encore, Mauron et la Trinité-Porhoët avaient seuls voté à gauche, tandis que Guer et Ploërmel, mais surtout Rohan, Josselin, Saint-Jean Brévelay et, dans des proportions considérables, Malestroit, donnaient la majorité à M. Guillois. 

Ces détails de géographie et d’arithmétique électorale peuvent manquer d’attrait, mais ils montrent une fois de plus la continuité que les différentes conceptions de la vie et les traditions familiales assurent, malgré les bouleversements, à la politique d'un pays. Ceux qui se passionnent pour les problèmes d'actualité, les techniciens des affaires et de la presse, sont portés parfois à dédaigner ces “vieilles rengaines” que sont, à les en croire, l'histoire électorale et la politique de sentiment; ils s'apercevraient pourtant, si l'occasion leur en était donnée, que, malgré l'influence néfaste des querelles d'arrondissement et l'influence nécessaire des problèmes économiques, un idéal conduit toujours bon nombre de leurs contemporains. Il nous plaît, à nous Bretons, que notre province, notre province paysanne, illustre cette vérité.

LES CIRCONSCRIPTIONS DE PONTIVY

(Cantons de Locminé, Baud, Pontivy et Cléguérec; Guéméné-sur-Scorff, de Gourinet du Faouët)

En 1876, il n'y avait qu'une circonscription de Pontivy. On imagine combien elle était vaste et peuplée, s'étendant, au nord de l'arrondissement de Lorient, des confins du “royaume de Bignan”, proche de Locminé, à la Haute-Cornouaille, dont fait partie l'ouest des cantons de Gourin et du Faouët. 

C’est à ce pays bas-breton que revint l'honneur d'adopter en 1876 un jeune officier démissionnaire qui avait fait connaître la fondation des Cercles catholiques d'ouvriers et le choix du Comité légitimiste du Morbihan: le comte Albert de Mun. Élu au second tour de scrutin contre M. l'abbé Cadoret, bonapartiste, candidat de la gauche, M. de Mun ne fut pas accueilli sans difficulté par la Chambre, qui, plus tard, devait se montrer si flattée de sa présence. Invalidé, élu de nouveau, réélu en 1877, puis invalidé et battu en 1879, il représenta dès 1881, quand l'arrondissement fut scindé, la seconde circonscription, tandis que le comte Lanjuinais, conservateur, était élu par la première. Depuis, l'histoire politique de cette région est celle d'une lutte obstinée entre gauche et droite - celle-ci généralement plus puissante que celle-là, surtout dans la première circonscription où les cantons de Baud, de Locminé et même de Pontivy prolongeaient en quelque sorte le catholique et traditionnaliste pays vannetais. Dans la seconde circonscription, M. de Mun fut victime des rancunes et des incompréhensions que le ralliement avait soulevé dans certains milieux conservateurs. Des gens, dont l'attitude souvent plus gémissante que généreuse ne leur avait certes pas mérité d'aussi beaux états de service que les siens, le traitèrent de renégat, et l'élection d'un obscur candidat de gauche leur parut sans doute moins dangereuse que celle du grand orateur catholique. 

En 1924, la République n'était plus en question. La liste des modéré obtint 50,6 pour 100 des suffrages dans la première circonscription, 44,9 dans la seconde, où le canton de Guémené, comme celui de Retiers en Ille-et-Vilaine, a été jusqu'ici un “bastion” radical.

Actuellement, MM. Lotz et Raude, radicaux-socialistes - ce dernier avec l’aide de quelque 1.300 voix d’extrême-gauche - représentent à la Chambre les circonscriptions de Pontivy. Comme avant la guerre, les sièges sont très disputés, l’écart étant faible entre les concurrents, et le caractère bas-breton ne se prêtant pas aux accommodements que certains radicaux et modérés du pays gallo tiennent pour la meilleure politique. La situation est cependant différente de ce qu'elle était jadis, cela pour plusieurs raisons. 

D'abord, l'extrême-droite n'exerce plus d'influence électorale. S'il existe ça et là de petits groupes que leurs tendances apparentent à l'Action française, leur rayonnement est nul. Le pire qu'ils puissent faire est de s'abstenir aux élections. La droite et le centre - car il y a des communes “centristes” soutiennent la politique que l'Ouest-Éclair préconise depuis 1899. 

Ensuite, le Parti Démocrate Populaire progresse constamment dans l'arrondissement de Pontivy. Ceux qui en assurent la propagande sans compromission et sans avoir peur de se compromettre, ont fondé des Sections dans plusieurs communes rurales. Leur intelligente opiniâtreté a fait connaître nos idées aux électeurs qui jusqu'ici s'étaient groupés autour de comités modérés sympathiques, mais souvent inactifs, et maintenant beaucoup de gens comprennent que les Démocrates Populaires leur offrent les plus sûres garanties spirituelles avec le programme que toutes les classes attendent. Nous avons d'ailleurs des élus municipaux et cantonaux, dont le nombre doit s'accroître. 

Enfin, les élections cantonales dernières ont été significatives. Si, dans la deuxième circonscription, les conseillers sortants se sont trouvés sans concurrents, dans la première, quatre sièges sur cinq ont été disputés, et le Cartel en a perdu deux. Ses adversaires - parmi lesquels nos amis Coëtmeur, conseiller d'arrondissement de Locminé, et Le Pen, candidat à Pontivy, ont atteint dans l'ensemble plus de 52 pour 100 des suffrages là, où, en 1932, M. Cadic, battu par M. Lotz, en avait obtenu aux élections législatives 45,6. C'est un très grave échec pour M. Lotz, qui a perdu en même temps son siège de conseiller général et, sauf imprévu, les chances qui lui restaient d'être réélu député l'an prochain. 

Comme l'action politique des Démocrates Populaires de la deuxième circonscription leur assure dans l'avenir un rôle primordial, nous pouvons désigner la région de Pontivy, dans son ensemble, comme l'une de celle qui réservent à notre parti les meilleurs cadeaux, à nos idées les plus durables succès. 

LES CIRCONSCRIPTIONS DE LORIENT

(1er et 2ème cantons de Lorient et canton de Pont-Scorff; cantons de Groix, Port-Louis, Hennebont et Plouay; Belle-Ile, Quiberon, Belz, Auray et Pluvigner)

Marins et paysans diffèrent par plus d’un trait, et souvent leurs votes s’opposent. De ce fait ici frappant, on a tiré, à tort ou à raison, une loi de la géographie électorale. Dans les circonscriptions de Lorient, l’explication en paraît simple.

Les marins ont donné presque toujours la majorité aux gauches. Ceux qui prennent part à la vie des agglomérations ouvrières - Lorient, Hennebont - passent volontiers du radicalisme au socialisme. Les autres votent tantôt pour les modérés, tantôt, plus souvent, pour les radicaux. L'état d'esprit des inscrits maritimes, qui attend de beaucoup de l'Administration, est exploité par les privilégiés de l’État, et avec succès quand une sympathie personnelle, une solidarité de classe ou un mouvement politique puissant ne s'y opposent pas. Généralement propriétaires, républicains et non collectivistes, ces marins, disséminés dans les îles et sur le “continent”, sont plus influencés par les circonstances passagères que les cultivateurs ou les ouvriers; ce n'est pas que l'idéalisme leur soit étranger, car le marin breton a les qualités de sa race, et il les a au plus haut point, mais l'intérêt immédiat de classe et l'habitude de compter sur le Gouvernement restreignant le champ des préoccupations politiques pures. Évitons cependant de généraliser. Comment expliquer que la commune de Sauzon (à Belle-Île), l'île de Houat, d'autres localités encore, votent constamment pour les adversaires du Cartel, sinon par prédominance des convictions religieuses et politiques ? 

Sans émettre de règle plus absolue, reconnaissons qu’à l’intérieur les classes rurales manifestent le même tempérament que leurs voisins des circonscriptions de Vannes et de Pontivy. D’Auray, au delà des limites finistériennes, c’est toujours le Vannetais: l’unité de race, l’unité de langue et l’ancienne unité administrative concordent ici avec une ressemblance de caractère et d’esprit. Les paysans des cantons d’Auray, de Pluvigner, d’Hennebont, de Plouay, sont donc restés pour la plupart dans la tradition qui, avant l’évolution maritime et industrielle, commandait le pays tout entier. Là encore, on a parlé de “domination féodale” subie avec impatience, et on a cité comme exemple de révolte l’échec, en 1898, de M. de Goulaine, battu par le cultivateur Jacob. Que cette élection ait marqué un mouvement violent, ce n'est pas douteux; mais que ce mouvement corresponde à un abandon des traditions locales, c'est une autre question. Aux élections législatives de 1932, dans les communes terriennes dont les électeurs ont été appelés à choisir entre les gauches d'une part, le centre et la droite de l'autre, le Cartel n'atteignait pas 42 pour 100 des suffrages. Dans la plupart des autres communes rurales, les conditions de la campagne électorale ont été les mêmes aux élections cantonales du mois d'octobre dernier, et la proportion s'y est révélée identique. On voit que la masse des cultivateurs, propriétaires et fermiers, n'a pas dévié, depuis la disparition du parti conservateur, de la ligne qu'elle suivait auparavant. Elle ne s’effraie pas de la hardiesse de certains programmes sociaux; la “pression féodale” n'était donc pas la cause essentielle de son orientation. Mais elle maintient son opposition à la politique radicale et socialiste; il n'y a donc pas eu là cette volte-face que l'éveil de certaines aspirations détermine dans un peuple longtemps maîtrisé par intérêt. Généralement, l'extrême-droite est supplanté par la gauche; ici, ni l'une ni l'autre ne sont maîtresses. 

Ce que nous savons des tendances qui dominent dans les différentes classes donne beaucoup de clarté à l'histoire politique de cette région, qu’il serait inutile de retracer longuement. La répartition des cantons a d'ailleurs varié, car il n’y avait autre fois que deux députés de Lorient. Rappelons seulement qu’en tout temps, la ville de Lorient s'est opposé à une politique de droite, et que ses votes, unis à ceux des communes voisines peuplées d'ouvriers et de marins, sont allés à des “Bleus”, puis à des “Rouges”. Le canton voisin de Pont-Scorff a suivi son exemple. M. L’Hévéder, socialiste, successeur de M. Bouligand, radical-socialiste, a battu un radical en 1932 par 9.173 voix contre 4.849 et 571 à un communiste. Mais l’union des radicaux et des modérés a triomphé du Front commun aux élections cantonales. Ce changement peut avoir de bons résultats si la politique de collaboration, basée sur la nécessité d'une trêve qui devrait être durable, respecte les forces morales et aboutit à autre chose qu'à une action négative. 

La deuxième circonscription de Lorient comprend: le canton rural de Plouay, qui est politiquement très partagé; Hennebont et Port-Louis, où la différence entre les communes terriennes et les ports est très nette; et l'île de Groix, qui vote “modéré”. M. Tristan, conseiller général de Groix, dont le programme s'apparentait au nôtre, et qui s'intéresse spécialement aux questions maritimes, en est le député depuis l'élection partielle qui a suivi, l'année dernière, la mort de M. Charrier, radical. 

Dans la troisième circonscription, la plus proche de Vannes, radicaux et socialistes s’appuient encore sur les communes du littoral. À l’intérieur, au contraire, les efforts sont généralement perdus, à moins que leur population dépasse de beaucoup celle de leurs adversaires. Si les élections législatives de 1928 et 1932 n’ont pas permis de vérifier la continuité des traditions politiques dans ce pays, c’est en raison de la popularité de M. Le Pévédic, élu comme républicain de gauche en 1928 contre un membre de l’U.R.D., réélu en 1932 par 9.220 voix contre 2.000 à un radical, 2.338 à un socialiste et 224 à un communiste. Conseiller général du canton de Belz, ancien fief du “parti républicain”, ménagé par les personnalités radicales du département, soutenu par par le centre et la droite en raison de ses votes, M. Joseph Le Pévédic - “Job”, disent ses compatriotes - n’est attaché à aucune formation politique. Par un paradoxe qui aurait peut-être surpris les anciens parlementaires et les fondateurs de notre régime administratif, il a fallu des élections cantonales pour que la politique reparût. Les groupements radicaux ne sont pas sortis de la sans plaies ni bosses: pour un succès facile (la réélection, sans concurrent, du conseiller d'arrondissement de Quiberon), ils ont échoué à Auray, où les socialistes les ont distancés dans une lutte inutile contre le conseiller général modéré; à Pluvigner et à Belle-Île, où un républicain indépendant et un républicain de gauche leur ont enlevé leurs sièges. 

Telles sont maintenant les positions des divers partis dans l'arrondissement de Lorient. Elles ne semblent pas devoir changer, sinon, peut-être, dans l'avenir, pour des raisons plus sociales que politiques, quand les progrès des syndicats professionnels de marins auront développé dans cette classe un esprit démocratique bien différent de celui dont les radicaux s'inspirent. Pour qui sait le dévouement et l'esprit d'initiative du marin breton, il y a là, en même temps qu'une sécurité nécessaire aux populations de nos côtes, une évolution heureuse et de fortes raisons d'espérer. 

CONCLUSIONS

De cette étude il ressort que, malgré la dualité de langue, une vue d'ensemble des caractères et des tendances du Morbihan n'est pas impossible. Sans doute, des lambeaux des anciens diocèses de Saint-Malo et de Saint-Brieuc, même de la Cornouaille et du Nantais, se distinguent encore aujourd'hui du reste du département; mais plus des trois quarts du territoire appartiennent au Vannetais, dont la division administrative de l'ancien régime, qui concordait partout ailleurs avec les limites de la Bretagne française et de la Bretagne bretonnante, avait déjà maintenu l’unité. Aussi pouvons-nous dire du Vannetais des deux langues et, dans une certaine mesure, du pays gallo de Ploërmel, ce qu’en disait un historien local, l’abbé Le Falher:

“Quand on y regarde un peu près, on se rend compte que le caractère des habitants n'est pas si opposé, que les coutumes se rapprochent, que les mœurs familiales ou religieuses sont identiques…” D'ailleurs, l'origine ethnique est à peu près la même; l'opposition, si elle existe, est plutôt entre la campagne et la côte. 

Quelle est donc la répartition géographique des majorités électorales ? La gauche - entendue dans le sens large, on y comprenant aussi bien les révolutionnaires que les radicaux sans étiquette, pour qui l’équation “Progrès - lois laïques - Cartel” est un principe intangible - règne sur le candidat canton de Guémené, “bleu” de tradition, et sur les principales communes maritimes, de Quiberon au Finistère. Elle prétend à dominer Gourin et Le Faouët, la région de Pontivy, Sarzeau, le nord-est de la circonscription de Ploërmel, et aussi, en y mettant des formes, la pieuse ville de Vannes ou l'anticléricalisme, implanté par des bourgeois révolutionnaires, a trouvé toujours, à défaut des vieilles familles restées ferventes et de celles qui le sont devenues, une nouvelle équipe pour combattre la “réaction”. Mais ces prétentions ne sont pas solides, et souvent les faits les démentent. Ajoutons que certains radicaux jugent le combisme assez désuet, et que leur attitude se définit par leur entente symbolique, à Lorient, avec les modérés qu'ils combattent ailleurs. Tant que les socialistes leur servent d'appoint, ils ne voient pas le danger du Cartel, parce que c'est à eux que la démagogie et l'anticléricalisme profitent, et que, pour eux, l'intérêt électoral, administratif et gouvernemental exige cette entente dont l'avantage inestimable est de les faire paraître plus nombreux qu'ils ne sont. Mais quand le socialisme les dépasse, le bandeau tombe, la vérité leur apparaît, et ceux d'entre eux qui ont gardé, avec le patriotisme, un certain goût pour la liberté, refusent de marcher. Ils veulent bien précéder le drapeau rouge, mais ils ne veulent pas le suivre. 

Les “modérés”, républicains indépendants et démocrates populaires, l'emportent dans les circonscriptions de Ploërmel et de Vannes, les environs de Locminé, de Baud et de Pontivy, la partie rurale de l'arrondissement de Lorient et quelques communes maritimes. C'est une immense étendue, où la population est assez dense et s’accroît sans cesse; mais sauf quelques exceptions, les villes diffèrent politiquement des campagnes qui les entourent. 

On a attribué autrefois aux influences locales, appuyées sur la grande propriété et facilitées par des moyens de pression, la force dont les partis conservateurs disposaient dans ces régions. Ce jugement repose sur des conclusions que les consultations électorales récentes ont bien révélées. 

Tout d'abord, l'influence du propriétaire terrien, qui réside au milieu de ses compatriotes, tient plus à ce qu'il est personnellement qu’à l’importance territoriale de ses biens, et c’est, disons-le, céder au parti-pris démagogique et rabaisser des sentiments nobles que de représenter ce peuple comme domestiqué par l'intérêt. Nous pourrions citer le cas d'une commune, isolée dans un canton “de gauche”, dont les habitants auraient moralement obligé une famille de châtelains à garder la terre paternelle, si cette famille n'avait tenue elle-même à leur témoigner une égale affection. Cela prouve de l'attachement, non de la servilité. Nous avons vu, au contraire, dans la deuxième circonscription de Vannes, des cantons où la grande propriété domine, voter, en 1928, contre un candidat d'extrême-droite à qui le régime foncier devait être favorable, tandis que d'autres, de structure moins “féodale”, se montraient moins hardis. La carte foncière et la carte politique sont loin de coïncider. 

C'est, en vérité, le souci des liberté religieuse qui compte. Là encore, certains écrivains ont voulu diminuer la valeur du sentiment en parlant de cléricalisme, de superstition, de pression morale. Rappelons seulement que ce peuple, qu'il faudrait croire habitué à courber la tête, a donné aux armées de la Chouannerie, commandées aussi souvent par des paysans que par des gentilshommes, des milliers de combattants. N'avait-il pas tout intérêt humain à vivre en paix avec l'État ? Ne lui avait-on pas laissé tout d'abord les apparences de la religion avec le Clergé assermenté ? C'est justement la constitution civile du clergé, l'oppression, la guerre à l'Église romaine qui souleva la Chouannerie et fit d'un peuple paisible une armée sans peur. 

Si, bientôt, les Chouans unirent la cause du trône à celle de l'autel, ce ne fut certes pas par un regret de cet ancien régime dont les cahiers des paroisses avaient dénoncé les abus; on ne peut même pas dire que ce fut par hostilité envers la République: les fonctionnaires du Consulat écrivaient de Vannes, le 4 nivôse an VIII: “Il (le peuple) a regardé le parti des mécontents comme le restaurateur de sa religion et de sa liberté.” Une telle parole, venant des “Bleus”, explique assez bien la confusion qui s'imposait. Le fond, c'était et c'est encore la Foi. 

Cette digression était longue, mais elle fait comprendre pourquoi, au temps où le département d'Ille-et-Vilaine donnait la majorité aux gauches parce que les électeurs incertains craignaient plus les adversaires du régime que ses partisans, le Morbihan, uniquement occupé des questions religieuses et familiales, votait à droite. Une très forte majorité, en 1885, allait à la liste conservatrice. La politique du Ralliement fut longtemps le fait de personnalités isolées, comme le comte Albert de Mun qui en fut le prisonnier et la victime; certaines majorités de droite, notamment dans le pays de Pontivy et à Vannes, furent grignotées, tandis que le socialisme montait tout doucement à Lorient. 

En 1919, ce léger glissement permit à la liste des radicaux d'avoir cinq élus, tandis que la liste de droite, qui groupait des républicains et des monarchistes, n’en avait que trois, tous républicains. En 1934 seulement, l'action énergique des républicains indépendants, entraînés par un éminent parlementaire, M. Guilloteaux, sénateur et ancien député, changea les positions aux élections sénatoriales et aboutit, quand vinrent les élections législatives, à la formation d'une liste où l'extrême-droite ne figurait pas. Avec près de 55.000 voix de moyenne contre 44.500 à la liste radicale et 10.300 aux deux listes d'extrême-gauche, les républicains indépendants eurent cinq élus. Les chiffres étaient à peu près ceux de 1898, et 1928 accrut la majorité.

Quoique, en 1932, des circonstances locales aient déterminé une forte avance des gauches dans la région de Pontivy, nous ne pensons pas qu'il y ait d'autre changement de ce côté qu'un progrès impressionnant des révolutionnaires (7.689 dans l'arrondissement de Lorient en 1928, 15.085 en 1932), concordant avec un léger recul des radicaux. Les élections cantonales ont été nettement favorables aux démocrates populaires et aux républicains indépendants. 

En 1928, un élément nouveau est entré dans la représentation parlementaire du Morbihan avec M. l’Abbé Desgranges et Ernest Pezet. Depuis un an, la Fédération morbihannaise de notre Parti, dont le secrétaire général, Abel Lucquiaud, assure la propagande avec une activité soutenue, a gagné 240 adhérents. On ne peut nier que ce progrès promette beaucoup pour l'avenir. À toutes les classes qui ont besoin d'une politique rajeunie, aux marins qui commencent à se grouper, aux paysans dont le mécontentement croissant et justifié risque parfois, nous le savons, de faire passer au second plan les soucis politiques les plus légitimes, nos amis se font connaître. Il est juste que la cause qu'ils servent fasse vibrer l’âme d'un peuple auquel les autres pays de France peuvent rendre cette justice qu’il a su, de tout temps, se dévouer à l'Idéal. 

François DESGRÉES DU LOU

 

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