A propos du Synode de Rome [François Desgrées du Loû - 22/10/1969 - Courrier de l'Ouest]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 11/08/2020]

[Courrier de l'Ouest - 22/10/1969 - retranscription]

Chronique

À propos du Synode de Rome

par François DESGREES du LOU

 

La crise qui se manifeste actuellement dans certains milieux agissants de l’Église ne devrait pas nous étonner: le Concile a accompli une œuvre durable, et l’on pourrait demander à ceux qui s’y réfèrent s’ils en ont lu les conclusions, adoptées à la quasi-unanimité. Mais il ne pouvait empêcher qu'il y ait un malentendu entre ceux qui avec Jean XXIII et Paul VI, avec l'ensemble des évêques, entendaient rénover l'Église dans son apostolat pour présenter au monde la même foi, et ceux qui attendaient bien à tort du concile la démolition de l'enseignement deux fois millénaire maintenu par la tradition apostolique. Et comme la “contestation”, après une période d'essais infructueux et de manœuvres habiles, s’attaque maintenant aux fondements mêmes de la foi et plus particulièrement à l'autorité du successeur de Pierre, comme cette entreprise est favorisée de manière oblique par un appareil de presse de propagande qui utilise les étiquettes et les institutions “cléricales” pour mettre en condition les fidèles, comme de nombreux journaux en quête de sensationnel accordent plus d'importance à ces remous qu’à la vie silencieuse des prêtres et laïcs dont l'immense majorité vit aujourd'hui de la foi des sacrements sans se laisser ébranler, on s'interroge sur les lendemains et l’on oublie ce qui reste essentielle à la “communion” catholique à la cohérence de la hiérarchie et du peuple chrétien. 

Les propos de quelques prélats, notamment du cardinal Suenes ont mis au premier plan des débats l'exercice de l'autorité du Pape. Non pas le principe de cette autorité, bien sûr, sans quoi les définitions irréformables des Papes et des Conciles seraient lettre morte! Mais on peut juger étrange que certaines de ces déclarations paraissent faire dépendre l'efficacité des décisions pontificales de la consultation préalable sinon de l’assentiment des évêques, car la doctrine, contrairement à ce qu'on a dit et écrit, est très claire sur ce point. Il va de soi que le Pape n'est pas muré dans une hautaine solitude, qu’il s'entoure d'avis et de conseils, mais son pouvoir de décision est libre en vertu de la charge qu'il exerce comme pasteur de toute l'Église, et qui n'a rien de vraiment comparable ou pouvoir d'un chef d'État. Il l'exerce selon les promesses de l'Évangile pour arbitrer les conflits et “affermir ses frères”, comme il l'a fait à maintes reprises dans l'Église des premiers siècles, comme il n'a cessé de le faire selon les besoins du monde catholique et du monde tout court, et ses décisions s’imposent aux fidèles pour des raisons de foi. À cet égard, les deux derniers Conciles, Vatican I et Vatican II, le premier par une définition solennelle, le second en termes qui excluent toute équivoque, ont dit exactement la même chose. Il est d'autant plus surprenant qu'on ait osé çà et là prendre prétexte de l'encyclique “Humanae vitae” pour contester l'autorité de Paul VI, car cette encyclique, précédée d'une longue consultation, ne faisait que reprendre et confirmer l'enseignement antérieur - ce qui est l'un des signes de l'authenticité d'un enseignement du magistère [Est-il permis de rappeler à ce sujet que l'une des approbations les plus retentissantes de l'encyclique fut celle du patriarche Athénagoras, chef de la principale Église orientale orthodoxe ? Note de bas de page

 

Il est certain que ces principes fondamentaux ne peuvent être démentis par le Synode de Rome. Et si l'on considère, après les principes, l'opportunité, on ne peut méconnaître l'importance actuelle des interventions romaines, soulignée par plusieurs évêques du Tiers-Monde, pour la sauvegarde de la foi et de la morale chrétienne dans un temps où l'Église doit affronter à chaque instant les puissances qui s'opposent à la diffusion de son message. Ce ne sont plus les rois ni les empereur - il en reste peu - mais certains états totalitaires, les bénéficiaires d'un capitalisme et d'un collectivisme également oppresseurs, les moyens de diffusion et de pression sociale les plus divers, les intérêts d'argent, les forces occultes qui mettent en condition une large partie de l'humanité, les groupes organisés qui jusque dans l'Église opposent leurs idéologies (souvent contradictoires) à la permanence de l'enseignement évangélique ou même prônent une religiosité sans Dieu. 

 

Dans ces conditions, à plus forte raison quand les autorités religieuses locales, parfois les épiscopats nationaux se sentent incertains ou ébranlés, quand ils connaissent, comme jadis au temps des schismes, comme aujourd’hui en Hollande, la pression des groupes sans mandat et la tentation des accommodements à tout prix, le Pape est le pasteur suprême non seulement dans la plénitude de son droit, mais dans la plénitude de sa charité fraternelle: il est leur exemple, leur recours, leur signe d’unité. Il l’est d’une autre manière dans les pays où sévit la persécution et sur ce point abondent les témoignages de l’Église du silence, qui s’étonnent des complexes d’infériorité cultivés par tant de catholiques occidentaux et des palabres sans résultat où ils se complaisent.

Notons ici l’abus des arguties juridiques par lesquelles on essaierait de lier le successeur de Pierre: la notion de collégialité perdrait de sa valeur religieuse si elle apparaissait comme une sorte de revanche antiromaine. Elle suppose en effet une communion, non pas un parlement. Elle se vit, avec la grâce de Dieu, si l'on admet la logique du catholicisme en respectant l'inévitable part de mystère qui empêche la société qu’est l’Église de ressembler à nulle autre société humaine. 

Ceux qui prétendent composer l'Église d'aujourd'hui à l'Église d'hier oublient du reste que dans les grands drames de l'humanité moderne, depuis un siècle surtout, la Papauté, de sa propre initiative, a été présente et agissante: pour défendre les travailleurs, pour sauver l'intégrité de la foi, pour appeler les peuples à la paix, pour condamner les totalitarismes de la race, de la classe et de l'argent, pour exalter la dignité de l'homme, du travail humain, de l'amour humain. Plus d’une fois, de “Rerum novarum” à “Populorum progressio”, Pierre a devancé les autres apôtres, mais en pleine communion avec ceux qu’il entraînait à sa suite. S’il n’a pas été assez écouté, est-ce à lui qu’il faut en faire le grief? La collégialité elle-même a été pratiquée maintes fois avant d'avoir un nom, et demain comme hier le recours au Pontife romain, surtout dans les circonstances difficiles, sera un espoir et une sécurité dans le désarroi des esprits et des mœurs. 

On voudrait aussi rappeler aux contestants que la tentation de reléguer Dieu dans le passé et de calquer la vie de la comité communauté chrétienne sur un instant de celle du monde n'est pas d'aujourd'hui. En y cédant, certains hommes d'Église on écrit de tristes pages d'histoire. Qui a surmonté ces difficultés, sinon le magistère - et avec lui la simplicité du peuple chrétien ? Paul VI devra les surmonter à son tour, aidé et compris, sans nul doute, par la plupart des évêques. La masse silencieuse, trop silencieuse, des simples fidèles ne saurait s'en plaindre.

 

François DESGREES DU LOU 

 

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