L'État-patron [Emmanuel Desgrées du Loû - Ouest-Éclair - 24/08/1905]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 14/10/2019]

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[Ouest-Éclair - 24 Août 1905 - retranscription]

EN PASSANT

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L’ÉTAT-PATRON

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Depuis que les agents des postes de la capitale ont saisi le public de leurs doléances, ce n’est dans les journaux parisiens, qu’un concert de récriminations et de malédictions contre l’État patron. Il convient d’ailleurs, de reconnaître que celui-ci a tous les torts. Il surmène odieusement ses employés, il ne les paie pas et grâce à cette administration défectueuse il y a chaque jour, un peu plus de cent mille correspondances qui n’arrivent à destination qu’avec vingt-quatre heures de retard.

C'est une situation intolérable et l'on ne peut qu’applaudir la campagne que mène la presse toute entière pour la faire cesser. 

Mais ce qui ne laisse pas d'être piquant, c'est que nos confrères socialistes se distinguent dans cette levée de plumes par leur véhémence. 

Par exemple, M. Gérault-Richard, rédacteur en chef de la “Petite République” et collectiviste bon teint, définit en ces termes l’administration des postes, télégraphes et téléphones: “Une entreprise d’État qui extorque littéralement l’argent du public et qui exploite d’une façon inhumaine son personnel”. Et il ajoute: “Un négociant qui en userait de la sorte avec sa clientèle, passerait en correctionnelle”... Pendant ce temps-là, les ouvriers des arsenaux se plaignent d’être exploités et menacent de décréter la grève générale.

Voilà donc deux catégories considérables de salariés qui ne paraissent pas avoir à se louer des procédés de l’État patron. Et il est probable que si vous faisiez une enquête auprès des ouvriers des autres industries dont l'État s’est arrogé le monopole, ils vous confesseraient que tout n’est pas rose dans leur existence: croyez-vous que les travailleurs des tabacs et ceux des manufactures d’allumettes soient en possession du bonheur parfait?

Dès lors, après avoir constaté que les monopoles d'État sont impuissants à mieux faire que l’industrie privée, et que souvent même, - M. Gérault-Richard en témoigne, - ils font plus mal, comment les socialistes peuvent-ils s’y prendre pour concilier leur doctrine étatiste avec cette constatation?...

S’ils étaient les maîtres, on sait que sans plus attendre, ils incorporeraient aux services de l’État ou des communes les chemins de fer, les raffineries de sucre et de pétrole, les assurances, le gaz et l’électricité. Ces réformes, en effet, figurent à leur programme comme étant de celles que l’on doit immédiatement réaliser.

Et enfin, l’on n’ignore pas que ce ne serait là qu’une entrée de jeu et comme une préparation de la réforme collectiviste intégrale qui fera de l’État l’unique producteur et distributeur de la richesse, l’administrateur universel, l’universel marchand de soupe!...

Jolie perspective!

Quand on la montre à certains auditoires révolutionnaires, il paraît cependant qu’elle provoque l’enthousiasme et que de pauvres diables de miséreux l’acclament comme une vision du paradis sur terre… Le paradis des ouvriers des arsenaux! Le paradis des manufactures de tabac! Le paradis des allumettiers! Le paradis des postes et télégraphes!...

Ah non! qu’on nous laisse plutôt en purgatoire! - E.D.L.

 

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