De l'indifférence au désordre [François Desgrées du Loû - 09/06/1961 - Ouest-France?]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 08/04/2019]

Morlaix en 1873

[retranscription]

 

[Ouest-France? - 09/06/1961]

 

DE L'INDIFFÉRENCE AU DÉSORDRE

 

Nous vivons un temps d’incohérence où le désordre appelle le désordre, mais cela n’explique pas tout. Nous manquerions à notre mission et nous répondrions mal à la confiance de nos lecteurs si nous ne disions pas un mot des réflexions que nous inspirent les incidents de Morlaix.

Cette brusque flambée démontre que la longue patience des citoyens les plus pacifiques ne doit pas faire illusion: ceux qui cultivent la terre peuvent être entraînés, en quelque sorte malgré eux, à de périlleuses épreuves de force.

Le paysan n’est pas un homme de désordre. Il n’en ressent que plus vivement l’apparente indifférence des pouvoirs publics et lorsqu’il l’a éprouvée, il s’en souvient longtemps. Qui pourrait honnêtement le lui reprocher? Si nous parlons d’APPARENTE indifférence, c’est parce que nous croyons à un malentendu, dans la circonstance présente, entre les producteurs et le Gouvernement. Celui-ci, lentement informé, a pris son temps pour répondre, et ceux-là, comparant leurs efforts à ceux d’autres catégories sociales plus favorisées, leur travail quotidien à celui de certains intermédiaires, ont rompu le dialogue lorsque l’efficacité de la violence leur a paru supérieure à celle de la raison.

Erreur, mais erreur explicable après des années de dégradation des vertus civiques, d’écrasement des faibles et d’insolence des forts, de glissement continu sur une pente qu’il faudra remonter lentement et péniblement. On a trop longtemps donné l’impression en haut lieu, même en des temps moins difficiles, que les avertissements mesurés et les sages remontrances étaient sans effet, et cela n’a pas porté bonheur à aucun des régimes qui se sont succédé en deux générations. L’injustice, elle aussi, est un désordre.

C’est donc bien une question de justice sociale qui se trouve ainsi posée. N’ayant pas compétence pour dicter la réponse, tirons-en une leçon: les hommes qui préparent les plans économiques devront s’associer plus directement les interprètes qualifiés des populations en cause, écouter d’une oreille plus attentive les conseils désintéressés, ne pas oublier que la sécurité de chaque foyer et, comme on dit, “le panier de la ménagère”, dans un régime de liberté, sont les juges, en dernier appel, de l’efficacité gouvernementale.

Que cela serve aussi dans un domaine plus vaste: si le prix des pommes de terre provoque de telles secousses, qu’arriverait-il le jour où l’État, sacrifiant l’homme au rendement, déracinerait des centaines de milliers de modestes exploitants qu’un effort d’imagination et de coopération pourrait sauver?

Nous venons de rappeler les responsabilités des gouvernants. Disons aux gouvernés, compte tenu des motifs de leur mécontentement, qu’en bafouant l’autorité légitime ils favoriseraient les éléments troubles et les agents du régime totalitaire. Quand un parti tout puissant occupera nos préfectures et nos mairies, personne ne bougera plus, et pour cause.

Le citoyen, alors, serait muselé, le producteur étatisé, le syndicat dissous, toute revendication impensable.. Qui voudrait en venir là?

 

François DESGREES DU LOU

 

 

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