Mémoire pour le Comte Desgrée [V/VII : Troisième partie: Discussion des pièces.]

Publié le par Louis Gohier (1746-1830)

[publié le 09/10/2018]

[Sommaire:

Couverture - Introduction.

Première partie: Conduite du Comte Desgrée.

                              Les États de 1766 à 1772

                              Député en Cour et États de 1774 et 1776

Seconde partie: Délibération du 5 Mars 1769.

Troisième partie: Discussion des Pièces.

Recueil de Pièces.

Consultation.]

[50]

TROISIEME PARTIE


 

Discussion des Pièces.


 

Après avoir prouvé qu’il n’existe point de crime, le Comte Desgrée pourrait se dispenser de répondre à ceux qui demandent s’il n’a pas été récompensé pour l’avoir commis. Une accusation sans délit, est évidemment sans objet.

On prétend que le Comte Desgrée a reçu quinze cent francs. Comment le prouve-t-on? De toutes les Pièces déposées au Greffe, une seule tend à établir la calomnie dont il se plaint. C'est la Lettre de M. le maréchal de Duras, datée de Catuellan, ce Vendredi. [C'est la seule date que porte cette lettre. Note de bas de page] Le Comte Desgrée ne cherche point à dissimuler que M. le Maréchal lui impute d’avoir reçu quinze cents francs, & s’annonce lui-même pour les avoir remis. Cette Lettre Décèle l'auteur de l'injure dont le Comte Desgrée poursuit la vengeance. Elle lui servira de moyens dans son action à calomnie; mais elle ne peut servir de preuve au calomniateur.

M. le Maréchal, craignant de se charger seul du titre odieux de corrupteur, a avancé qu’il avait été autorisé par M. le Contrôleur-Général, à remettre 1500 livres au Comte Desgrée; & M. le Contrôleur-Général a nié formellement cette autorisation supposée, dans la lettre qu’il a écrite à la Comtesse Desgrée, le 20 janvier 1778.

Je n’ai, dit-il, Madame, aucune connaissance du fait, au sujet duquel vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 16 de ce mois. Si l'on dit qu'il a été donné à M. Desgrée, en [51] 1768, une gratification de quinze cents livres, je n'en ai aucun souvenir, & encore moins d'avoir contribué à la lui faire obtenir. Ce que peut je peux assurer, c'est que, si le fait de la gratification était vrai, & que ce fût par moi qu’il l’eût obtenue, elle n'aurait certainement pas eu pour motif de faire passer une Délibération, &c. &c. &c.”

À la noblesse de cette déclaration, on reconnaît les sentiments de droiture & de probité qui caractérisent cet ancien Ministre; ennemi de la corruption, il se respecte trop lui-même, pour avoir autorisé des moyens, capables d'avilir le Gouvernement, et d'altérer la confiance de la nation.

La prétendue autorisation de M. d’Invau, n’est pas le seul fait dont la fausseté soit démontrée. Pour accréditer les bruits calomnieux qu’on avait répandus contre le Comte Desgrée, on les avait d’abord attribués à l’indiscrétion d’un premier Commis des Finances. On avait fait circuler dans le Public, que le sieur Menard de Conichard en était le premier auteur. Le sieur Menard de Conichard, instruit de ces propos par M. de Coniac, s'empresse de les démentir; il atteste qu'on peut d'autant moins le soupçonner d'être l'auteur des bruits répandus contre le Comte Desgrée, qu'il n'a aucune connaissance des faits.

Je suis bien étonné, écrit-il le 17 Janvier 1778, qu'on ait osé m'accuser d'être l'auteur des bruits qui se sont répandus sur les quinze cents livres que M. Desgrée est taxé d'avoir reçu de M. le Duc de Duras; jamais je n'ai rien dit qui en approchât; il m’eût été d'autant plus difficile de le faire, que je n'ai véritablement pas connaissance qu’il se soit rien passé de semblable entre M. le Duc de Duras, et M. le Comte Desgrée.....“

[52] Cette lettre étant devenue publique, les ennemis du Comte Desgrée se livrent à de nouvelles suppositions; ils ne craignent pas de compromettre un Ministre respectable, en le substituant au sieur Menard de Conichard. C’est M. Turgot qu’ils nomment alors pour le premier dénonciateur du Comte Desgrée. Mais ce Ministre, incapable de déguiser la vérité, démentit bientôt une imputation qui ne pouvait venir de lui, dont il n’avait aucune connaissance, & qu’il jugea n’avoir aucune vraisemblance. ”Il est impossible, répond M. Turgot, en donnant les éclaircissements qui lui étaient demandés; ”il est impossible que l’imputation faite à M. le Comte Desgrée d’avoir reçu quinze cents livres, en 1768, pour faire passer une Délibération aux petits Etats, vienne de moi; I°. parce que je n’ai aucune connaissance de ce fait, dont j’entends parler pour la première fois, qui ne me paraît avoir aucune vraisemblance, & qui, s’il était vrai, se serait passé avant mon administration; 2°. parce que, si un pareil était venu à ma connaissance, je n’aurais aucun motif de le divulguer, & je ne me le serais pas permis. [Cette Lettre est du 18 Février 1778 - Note de bas de page]....

Ces lettres sont les principales pièces dont M. le Procureur-Général a requis le dépôt. La lettre datée de Catuellan, contredite par les trois autres, n’est pas un témoignage qu’on puisse opposer au Comte Desgrée. L’auteur de la calomnie ne sera pas sans doute admis comme témoin contre celui qui l’accuse d’être son calomniateur. Accordera-t-on plus d’autorité aux Pièces que M. le Procureur-Général a fait signifier?

Tout se réunit, dans cette affaire, pour causer de la surprise [53]. Le Comte Desgrée se plaint qu’on l’a calomnié, en supposant qu’il avait trahi les intérêts de son pays, pour une somme de quinze cents francs. M. le Procureur-Général, au lieu d’accueillir la plainte, prend l’alarme, & demande lui-même à informer de la prétendue trahison. La Cour adopte ses conclusions, lui permet d’informer, nomme un Commissaire pour procéder à l’information, & M. le Procureur-Général n’informe point. Ses inquiétudes semblent disparaître dès l’instant que l’Arrêt du 26 Novembre est rendu. Depuis cette époque, on ne voit de sa part aucune démarche juridique qui tende à lui procurer les moindres éclaircissements. Mais, après six semaines d’un calme apparent, on notifie au Comte Desgrée une lettre écrite à M. Neker par son premier Commis, & l’extrait d’un prétendu état de distribution des fonds du Port-Louis. Voilà les singuliers témoignages qu’on substitue à ceux qui devaient réfuter d’une information régulière; voilà les [atrocités?] graves qu’on présente à la Justice, dans une accusation qu’on traite de lèse-patrie.

Magistrats illustres, dont les vertus n’ont pas été elles-mêmes à l’abri de la calomnie, au lieu de chercher à introduire une forme de procéder aussi illégale, aussi dangereuse, rendons grâces au ciel, qu’elle ait été proscrite dans tous les temps.


 

Pièces notifiées au Comte Desgrée, par M. le Procureur-Général.


 

Extrait de l’Etat de distribution du fonds du Port-Louis, pour l’année 1769, arrêté par le Roi, le 5 novembre de la même année.


 

N°.36. Ausieur Desgrée Dulou, . . . 1500 l.

De la main du Roi, Bon.

Pour Ampliations. Signé, NEKER.


 

[54]

Lettre du sieur Menard de Conichard, à M. Neker, datée de Paris, le 21 décembre 1778.


 

MONSEIGNEUR,


 

J’ai l’honneur de vous renvoyer [Il paraît que M. le Directeur-Général des Finances avait pris la peine d’envoyer au sieur Menard de Conichard une copie de la Lettre du 17 janvier. La Lettre du 21 Décembre est la riposte à la Lettre qui dut accompagner cet envoi. M. Neker, qui a eu la bonté de faire passer à M. le Procureur-Général celle de son Commis, aurait bien dû y joindre une copie de la sienne. - Note de bas de page] la copie de la Lettre que j’ai écrite, le 17 janvier dernier, à M. de Coniac, & dont M. Desgrée a déposé une copie certifiée de lui au Greffe du Parlement de Bretagne. [Le sieur Menard de Conichard est bien instruit! - Note de bas de page] Il est constant que j’ai écrit cette Lettre à M. de Coniac, mais je ne vois pas quelle induction on peut en tirer, pour la mettre en contradiction avec celle que M. le Maréchal de Duras a écrite à M. Desgrée.

J’avais déjà entendu dire que quelques personnes cherchaient à donner en Bretagne une interprétation fausse à cette Lettre; un Gentilhomme de cette Province m’ayant écrit le 22 Février dernier, pour me prier de lui marquer, s’il était vrai que j’eusse écrit la Lettre qu’on citait de moi, du mois de Janvier précédent, & dont le contenu était transcrit dans la sienne; je lui répondis que c’était mot pour mot ce que j’avais écrit à la personne qui m’avait donné avis du propos que l’on me prêtait, & que sa Lettre m’ayant trouvé à Paris, j’avais attendu mon retour à Versailles, pour vérifier sur ma minute, ce qui m’avait empêché de lui donner sur le champ l’assurance qu’il désirait.

[55] “Je crois nécessaire de vous observer, Monseigneur, pour l’intelligence de la Lettre déposée que je rappelle ici, qu’on marquait de Rennes, pour provoquer ma réponse, qu’on y faisait courir le bruit que j’avais dit que M. Desgrée avait reçu 1500 liv. pour faire passer une Délibération qu’on avait désiré dans les États de 1768.

Je répondis que je n’avais rien dit qui en approchât, & qu’il m’aurait été d’autant plus difficile de le faire, que je n’avais véritablement pas connaissance qu’il se fût rien passé de semblable.

Ainsi, Monseigneur, ma réponse avait deux objets: repousser un fort mauvais propos qu’on me prêtait aussi gratuitement, & affirmer que je n’avais aucune connaissance que ce fût pour faire passer une Délibération, que M. Desgrée avait reçu une gratification, & c’est dans cet esprit qu’ont répondu M. d’Invau et M. Turgot.

Mais si l’on on a voulu conclure de ma lettre, pour la mettre en contradiction avec celle de M. le Maréchal de Duras, que j'affirmais que M. Desgrée n'avait point reçu de gratification, on l'a faussement & malignement interprétée; car elle ne présente point ce sens, [Quel sens présente-t-elle donc ? - Note de bas de page] & d'ailleurs je n'aurais jamais pu affirmer que M. Desgrée n'avait point reçu de gratification. J'aurais bien plutôt affirmé le contraire, puisqu'il est constant par les pièces originales qui sont déposées dans mon Bureau & que j'ai sous les yeux, que M. Desgrée est employé dans l’État de distribution, fait par le Roi en 1769, des fonds du Port-Louis, pour une somme de 1500 livres, sur la demande de M. de Duras.

[56] “Voilà, Monseigneur, l’explication des faits que je me devais & à la vérité; j’ai cru devoir la déposer dans vos mains, vous pouvez seul juger de l’usage que vous croirez devoir en faire. Je suis avec un profond respect, &c.

Signé, MENARD DE CONICHARD.


 

Soit que l’on considère ces Pièces dans la forme, soit qu'on les examine au fond, elles ne peuvent soutenir l'épreuve d'une discussion sérieuse. La forme, elles ne sont pas recevables; au fond, elles ne prouvent rien.


 

[Examen des notes dans la forme. - Note de marge] Le Comte Desgrée ne conteste point que tout appointement, tout jugement qui ordonne ou permet une preuve, ne puisse s’appliquer à la preuve par titre; comme à la preuve testimoniale. Mais il faut que le titre soit reconnu ou authentique, que la forme en soit irréprochable, que la fidélité ne puisse être révoquée en doute, qu'il mérite, en un mot, la confiance entière de la Justice.


 

Attribuera-t-on ces caractères aux Pièces notifiées au Comte Desgrée ? Fera-t-on dépendre la réputation des Citoyens, d'une opération de Finance, & de la foi d'un Commis ? Qui ne tremblerait d'être accusé, d'être jugé sur une pièce sortie d'un lieu inaccessible aux recherches de la Justice ? Quelle ressource aurait celui qui ne peut employer que les formes judiciaires, pour se mettre en garde contre les altérations, contre les fabrications des subalternes ? Qui pourrait être tranquille sur son sort, si l’on ouvrait une pareille source de déshonneur ? Quel est le Magistrat, quel est l'homme public qui oserait se dira à lui-même, j'emporterai dans le tombeau [57] l’estime de mes concitoyens, s’il pouvait être marqué du sceau de la diffamation, par ceux mêmes dont il est trop souvent obligés de combattre les opérations. Le Parlement connaît trop le prix de l'honneur, pour décider de celui des citoyens sur des Pièces dont la vérité n'est pas mieux assurée, que leur forme n'est connue. Donnera-t-on plus d'importance à la Lettre du sieur Menard de Conichard.


 

Malgré la notification qui en a été faite, le Comte Desgrée ne saurait se persuader que M. le Procureur-Général veuille adopter un pareil genre de preuve.


 

Quel privilège, quelle prérogative a le sieur Menard, pour être exempt de comparaître devant les Tribunaux? Quel titre a-t-il pour faire admettre ses déclarations, sans qu’elles soient accompagnées de serment, sans qu’elles soient reçues dans la forme ordinaire, sans qu’elles puissent être combattues par les moyens que les Loix accordent à l’accusé contre les témoignages justement reprochables. Si ses occupations, ses emplois ne lui permettent pas de se déplacer, il était facile de faire décerner une commission pour l’entendre. Mais ce n’était point en s’adressant à M. le Directeur Général des Finances, en le faisant écrire ou parler à son Commis, qu’on devait se procurer des éclaircissements.


 

Personne n'ignore que M. Neker est incapable d'user de son autorité pour forcer à un homme, dont l'existence dépend de lui, à déguiser la vérité. Mais la Lettre qu'on représente n'en prouve pas moins combien cette voie est dangereuse. Le sieur Menard de Conichard a pu croire que M. le Directeur Général s'intéressait dans cette affaire; il a pu penser que la Lettre qu'on lui remettait sous les yeux n'était [58] pas agréable; qu’en requérant un second témoignage, c’était lui dire assez que le premier ne convenait pas; & pour des hommes subordonnés, ces considérations sont toujours trop puissantes. La conduite du Commis en est une preuve. Il croit s’apercevoir que la Lettre du 17 janvier ne convient ni à M. le Maréchal de Duras, ni à ses amis; il en écrit une autre: ses premières lignes décèlent son embarras. On voit bien combien l’hommage qu’il a rendu à la vérité l’inquiète, & les soins qu’il prend de réparer cette première faute, annoncent qu’il est bien décidé à n’en plus commettre de semblables. Il est confiant, dit-il, “que j’ai écrit cette Lettre à M. de Coniac, mais je ne vois pas quelle induction on peut en tirer, pour la mettre en contradiction avec celle que M. le Maréchal de Duras a écrite à M. Desgrée.”

Le sieur Menard craint de se trouver en contradiction avec M. le Maréchal de Duras, & il ne craint point de contredire la vérité qu’il a lui-même attestée. Cette dernière crainte est cependant la seule qui doive frapper l’homme honnête. Loin que cette Lettre postérieure à l’Arrêt qui permet d’informer, mérite aucune attention, elle exclut à jamais le témoignage de son auteur.

 

[Examen des Pièces au fond. - Note de marge] Inadmissibles dans la forme, les Pièces signifiées ne prouvent rien au fond. Il n’en résulte ni que le Comte Desgrée ait reçu 1500 livres aux États de 1768, pour faire passer une Délibération, ni même qu'il ait reçu aucune gratification.

[Etat de distribution - Note de marge] Il faudrait prouver d'abord que le prétendu Etat de distribution, a eu son effet. Et cet Etat indiquerait seulement [59] que le Comte Desgrée pouvait être fondé à recevoir une somme de 1500 livres, plus de huit mois après l’époque où l’on a soutenu qu’elle lui avait été remise.

À supporter l’octroi de cette gratification, qu’en peut-on inférer? Que le Roi aurait voulu lui faire un don; mais l’intention du Roi a-t-elle été remplie? Le don a-t-il été reçu? Voilà ce qui n’est pas prouvé, & ne le sera jamais. Ce n’est pas un droit à la réception, mais la réception qu’il faut constater; & loin que l’extrait du prétendu état de distribution fournisse cette preuve, l’époque même qu’on lui donne, concourt à justifier le Comte Desgrée, à réfuter Lettre datée de Catuellan.

Toute laconique qu’elle est, cette Lettre contient trois assertions. M. le Maréchal de Duras y déclare qu’il a remis lui-même 1500 livres au Comte Desgrée; qu’il les lui a remises aux États de Saint-Brieuc; qu’il était autorisé à les lui remettre par le Contrôleur-Général. Or, l’état qu’on représente, loin de confirmer ces trois propositions, les contredit ouvertement.

I°. Le don qui s’y trouve référé, était assis sur les fonds du Port-Louis; c’était donc par le receveur de ces fonds que la prétendue gratification aurait dû être payée. La somme n’aurait donc pu être remise par M. le Duc de Duras.

2°. La Lettre de M. le Maréchal porte que les 1500 livres ont été comptées & reçues aux États de Saint-Brieuc. Cette Allégation se trouve également démentie par l’état de distribution, qui n’a été arrêté que le 5 Novembre, huit mois après la clôture des États. Cette pièce, loin d’établir la preuve d’une remise antérieure à sa date, en exclut absolument [60] toute idée. En donnant seulement au Comte Desgrée le droit de recevoir, elle prouve évidemment qu’il n’a rien reçu.

3°. Enfin, M. le Maréchal de Duras se prévaut d’une autorisation de M. le Contrôleur-Général. Il prétend non-seulement avoir donné, aux États de 1768, 1500 livres au Comte Desgrée, mais il ajoute qu’il ne les a donnés qu’après y avoir été autorisé par le Ministre qui était alors à la tête des Finances. La date de l’état de distribution contredit encore cette assertion. Si la gratification n’a été accordée que le 5 Novembre 1769, M. le Maréchal ne peut avoir été autorisé à en faire la remise, aux États de St. Brieuc qui finirent le 6 Mars précédent.


 

Ainsi, contradiction, relativement au lieu où la somme a dû être remise; contradiction, relativement à la personne qui a dû être chargée de la remettre; contradictions, relativement au temps où cette remise a dû se faire. Inutilement, pour concilier des faits qui se détruisent eux-mêmes, trouverait on, dans les Bureaux, de nouvelles ressources. Quelques efforts que l'on fasse, quelques soins que l'on se donne, on ne réussira jamais à persuader qu'un acte du 5 Novembre 1769 puisse prouver qu'une somme de 1500 livres ait été reçue avant le 6 de Mars.


 

Les ennemis du Comte Desgrée ont senti les inconséquences de ce système, &, pour les pallier, ils sont devenus plus inconséquents encore; en faisant circuler l'extrait de l'état de distribution, on a débité que la de la gratification de 1500 livres avait été accordée au Comte Desgrée sur les fonds du Port-Louis, pour rembourser la somme remise par M. de Duras, aux États de Saint-Brieuc. Dans cette [61] nouvelle hypothèse, M. le Maréchal aurait réellement reçu cette gratification, sous le nom du Comte Desgrée.

Cette idée peut-être une des plus extravagantes que les suppôts de la calomnie aient pu mettre au jour. On suppose que le Roi accorde une gratification au Comte Desgrée; &, sans être autorisé par celui à qui elle serait destinée, sans pouvoirs, sans procuration, c’est M. le Maréchal de Duras qui se présente, & qui la reçoit!

On ignore quelle peut avoir été la manière de régir les fonds du Port-Louis, & s'ils se distribuaient sur des Bons, écrits de la main du Roi, ou de celle d'un Préposé. Mais quelque forme qu'on suppose à cette administration, il n'est pas possible d'imaginer que les gratifications assises sur ces fonds, aient jamais pu se recevoir, sans autorisation de ceux à qui elles étaient accordées, sans quittance de leur part; & si une pareille régie avait pu subsister, loin d'adopter ses opérations, la Justice frémirait des abus dont cette régie eût été susceptible. En effet, que de moyens pour surprendre la religion du Roi ? Comme alors il eût été facile aux hommes en place de récompenser les services honteux des vils agents qu'on a vus trop souvent à leur suite! comme on eût aisément fait servir les noms des citoyens les plus vertueux, pour faire tomber des grâces sur d'indignes protégés!

L'interprétation donnée à l'extrait qu’on représente, ajoute à l'invraisemblance des faits supposés. Il est ridicule d'imaginer qu'un premier Commissaire du Roi, qui vient tenir les États dans une grande Province, soit réduit à faire, de ses deniers, l'avance des sommes que M. le Contrôleur-Général l'autorise à remettre. Tout le monde sait qu'un Commandant [62] prend dans la caisse du Trésorier tout l’argent dont il a besoin. Il est encore plus ridicule de vouloir persuader que M. de Duras, après avoir donné 1500 livres sur l'autorisation de M. le Contrôleur-Général, n’eût pas pris le parti si naturel de faire entrer cette somme dans son compte, & qu’on eût été obligé, pour lui en procurer le remboursement, d'accorder, huit mois après cette prétendue remise, une gratification à la personne même par qui la somme aurait été reçue.

Lorsque les auteurs de cette fable l’ont mise au jour, dans l'intention d’étayer la lettre datée de Catuellan, ils n'ont pas réfléchi qu’au lieu d'excuser M. le maréchal de Duras, ils le compromettaient de plus en plus.

M. le Maréchal reçoit une gratification accordée au Comte Desgrée, sous prétexte qu'il en a fait les avances; mais ces avances sont-elle prouvées? Elles ne peuvent l'être; elles n'ont pas été faites. Le remboursement supposé, loin de le dispenser de la preuve qu'on lui demande, lui en impose une nouvelle obligation.

S’il s'est fait un titre de la remise qui lui est contestée, pour intercepter une gratification qu'on lui destinait pas, la preuve de cette prétendue remise devient encore plus indispensable; & si M. le Maréchal ne peut administrer, que résulte-t-il de l'état de distribution & de son commentaire ? Que M. de duras aurait reçu une somme qu'il ne devait pas recevoir. En voulant se justifier d'un crime, on l'accuse d'un autre.


 

[Lettre du Sr. Menard de Conichard. - Note de marge] La Lettre du sieur Menard de Conichard offre-t-elle des inductions plus propre à étayer la calomnie ? Lorsque ce premier Commis a écrit à M. Neker, il paraît que son objet était [63] moins de porter un témoignage, que d’anéantir celui qu’il avait rendu précédemment. On ne pouvait se dissimuler que sa lettre du 17 Janvier prouvait, de la manière la plus évidente, qu'il n'existait dans son bureau, à l'époque où elle a été écrite, rien de relatif à la gratification prétendue. Il était indispensable de faire rétracter ce premier témoignage, & le sieur Menard de Conichard a fait voir avec quelle facilité il savait varier ses déclarations.

En vain, pour rendre ses inconséquences moins frappantes, veut-il expliquer sa première lettre par celle de M. de Coniac. “M. de Coniac, écrit-il, me marquait de Rennes qu’on y faisait courir le bruit que j’avais dit que M. Desgrée avait reçu 1500 livres pour faire passer une Délibération qu’on avait désirée dans les États de 1768.”

Que répond le sieur Menard de Conichard ? Il se défend d'être l'auteur des bruits qui se sont répandus sur les 1500 l. que le Comte Desgrée est taxé d'avoir reçues de M. le Duc de Duras; il proteste qu'il n'a véritablement pas connaissance qu'il se soit bien passé de semblable entre M. le Maréchal de Duras & le Comte Desgrée.

Est-ce ainsi qu'on s'explique sur un fait dont on a la preuve sous les yeux ? Le sieur de Conichard peut-il avoir la hardiesse de soutenir aujourd'hui que, dans sa lettre du 17 Janvier, il ait voulu seulement affirmer qu'il n'était point l'auteur de l'imputation faite au Comte Desgrée, & qu'il ignorait que le Bon de 1500 livres eût été le prix d'une Délibération. Comment ose-t-il avancer que, lorsqu'il écrivait cette Lettre, il avait connaissance d'un don fait & accepté ? Y trouve-t-on un seul mot qui offre l'idée de 1500 livres comptées & reçues ? Qu'on la relise avec attention, qu'on en pèse tous les termes, & l’on [64] verra s’évanouir tous les subterfuges dont voudrait use le sieur Menard, pour atténuer la force d’un premier aveu.

Les déclarations contenues dans cette Lettre, doivent être d'autant moins suspectes, qu’elles ont été librement données à un Gentilhomme qui n'avait aucune autorité sur le sieur Menard de Conichard; à un Gentilhomme qui, sans intérêt dans l'affaire, ne cherchait & ne demandait que la vérité. Et ce n'est pas une seule fois que le sieur Menard de Conichard a écrit qu'il n'avait aucune connaissance de la prétendue remise des 1500 livres. Il nous apprend lui-même que cette première Lettre ayant circulé dans le Public, un autre Gentilhomme de la Province lui en avais envoyé une copie le 22 Février suivant, & l’avait interpellé d’en avouer, ou d’en contester la vérité.

Dans ce moment, au moins le sieur Menard, qui n'avait jamais dû se méprendre sur le sens que présente naturellement sa lettre, ne plus douter des inductions qu'on en tirait. Chercha-t-il à les affaiblir ? Non. On n’avait fait encore aucune démarche auprès de lui, pour l'engager à se rétracter. Sans motif alors pour se contredire, il répéta, il confirma ce qu'il avait dit la première fois. À cette seconde interpellation, “je répondis, convient-il lui-même, que c'était mot pour mot ce que j'avais écrit à la personne qui m'avait donné avis du propos qu'on me prêtait, & que la lettre m’ayant trouvé à Paris, j'avais attendu mon retour à Versailles, pour vérifier sur ma minute; ce qui m'avait empêché de lui donner sur-le-champ l'assurance qu'il désirait.” ......

Le sieur Menard présumait, sans doute, que cette seconde Lettre serait connue, comme l’avait été la première; &, par celle du 21 Décembre, il veut, d’un même trait, [65] effacer les impressions qu’elles pourraient faire naître toutes les deux! Mais ses efforts sont inutiles. Il reste toujours démontré que deux fois, & auprès de deux personnes différentes, le sieur Menard a démenti formellement la supposition qui alarmait des Gentilshommes de la Province, & dont se plaint aujourd'hui le Comte Desgrée. Loin d'anéantir ces déclarations, la lettre du 21 Décembre leur donne une nouvelle force, en constatant qu'elles n'ont été faites qu'après la plus mûre réflexion; que le sieur Menard a tenu registre de la première, & qu'il ne l'a confirmée qu'après la vérification la plus exacte.

Si, à l’époque de ces deux lettres, l’état de distribution avait existé tel qu’il est annoncé; s’il avait été déposé dans son bureau, le sieur Menard de Conichard eût-il ignoré que le Comte Desgrée y était employé pour une somme de 1500 livres? Encore une fois, aux yeux de tout homme impartial, la lettre du 21 Décembre ne passera jamais que pour une rétractation inspirée par la crainte d'avoir offensé un homme puissant. Quand on n’a que la vérité pour objet, on ne se contredit point, sous prétexte d'expliquer ce qui n'a pas besoin d'explication.

Mais le sieur Menard de Conichard ne se borne pas à faire des commentaires sur sa première lettre; il ose encore faire parler deux Ministres qui ne le chargent point d’être leur interprète. C’est, dit-il, dans le même esprit qu’ont répondu M. d’Invau & M. Turgot. Quelle hardiesse! Avant de tenir un pareil langage, que le sieur Menard de Conichard n’a-t-il pesé les expressions de la lettre de M. d’Invau? Il eût vu que le témoignage de ce Ministre ne porte pas uniquement sur le motif de la prétendue remise, mais sur la remise même. M. d’Invau ne [66] dit pas seulement qu’il ignore si les 1500 livres sont le prix d’une Délibération, il déclare qu’il n’a aucune connaissance que le Comte Desgrée ait reçu cette somme, même à titre de gratification.

Si l’on dit qu’il a été donné à M. Desgrée, en 1768, une gratification de 1500 livres, je n’en ai aucun souvenir, encore moins d’avoir contribué à la lui faire avoir.

C’est ainsi que s’exprime le Ministre qui devait avoir aussi autorisé M. le Maréchal Duc de Duras à remettre les 1500 livres au Comte Desgrée. Il atteste n’avoir aucun souvenir du fait, & il se défend, dans les termes les plus exprès, d’y avoir eu aucune part. La prétendue gratification est donc supposée, ainsi que l’autorisation qui devait en être le principe. [On s'est bien gardé de tenter envers M. d’Invau les démarches qui ont eu un si heureux succès auprès du sieur Menard de Conichard; M. le Duc de Duras invoque cependant l'autorisation de M. le Contrôleur-Général, & non celle du Commis. C'était donc du moins M. le Contrôleur-Général qu'il fallait appeler en témoignage. - Note de bas de page]

Voilà les conséquences naturelles que présente la lettre de M. d’Invau; il la termine, en assurant que, si le Comte Desgrée avait reçu une gratification sous son Ministère, & que c’eût été par lui qu’elle eût été obtenue, elle n’eût point eu pour motif de faire passer une délibération. Cette déclaration est précise. Le langage de M. d’Invau est celui de la droiture & de la probité. Qu’on jette les yeux sur la lettre du Commis, & l’on verra si, comme il l’ose dire, il a écrit dans le même esprit qu’ont répondu M. d’Invau & M. Turgot.

En réfutant l’assertion téméraire que le sieur Menard s’est permise sur les lettres de ces deux Ministres, on ne doit [67] pas omettre une réflexion intéressante. Par quel moyen le sieur Menard a-t-il pu savoir ce qu’ils ont écrit? D’où tient-il ses instructions? Qui lui a fait connaître jusqu’à la forme du dépôt fait par le Comte Desgrée? À la manière dont s’exprime ce premier Commis des Finances, ne dirait-on pas qu’il avait devant lui, lorsqu’il répondait à M. Neker, les copies des Pièces que le Comte Desgrée a déposées, & qu’il se croyait chargé de détruire les inductions qu’elles présentent? [Il est aisé de voir qu’en écrivant à M. Neker, le sieur Menard de Conichard s’est proposé, non de donner une explication des faits qu’il se devait & à la vérité, mais de répandre un voile sur cette vérité qui perce malgré lui; d’étayer, s’il était possible, les allégations irréfléchies du calomniateur du Comte Desgrée. Le sieur Menard pousse l’indiscrétion jusqu’à supposer, dans les pièces, des assertions qui ne s’y trouvent point. Il dit formellement que le Comte Desgrée est employé dans l’état de distribution, sur la demande de M. le Duc de Duras. Où a-t-il pris cette circonstance, dont l’état de distribution ne parle point? Quel peut être le but d’une pareille supposition? Pourquoi a-t-elle été imaginée, ou comment sera-t-elle justifiée? Le sieur Menard est-il sûr d’avoir quelque nouvelle pièce qui se trouve ou se trouvera dans son bureau, si l’on juge important de persuader que la gratification portée dans le prétendu état de distribution, a été accordée sur la demande de M. le Maréchal de Duras? Que, dans cette affaire, la conduite du sieur Menard est étrange! - note de bas de page]

 

Mais cette lettre ne peut heureusement servir qu’à manifester la trop faible complaisance de son auteur. Quelque disposé que fût le sieur Menard à trouver le Comte Desgrée coupable, il n’a pas eu la hardiesse de dire que la gratification dont il parle, ait été le prix d’une Délibération. Il déclare même expressément le contraire. Ma réponse avait deux objets, écrit-il; repousser un fort mauvais propos qu’on me prêtait aussi [68] gratuitement, & affirmer que je n’avais aucune connaissance, que ce fût, pour faire passer une Délibération.

Cette déclaration est d'autant plus frappante, qu'elle se trouve dans la bouche de celui même qui prétend avoir sous les yeux l'état de distribution dont on a fait signifier l'extrait. Il n’y voit aucun indice de corruption, & son témoignage ne doit pas être suspect. En supposant la réalité de la gratification, il déclare qu'il n'a aucune connaissance du motif malhonnête inventé par la calomnie.

Loin qu’on puisse induire de la lettre du sieur Menard, que le Comte Desgrée ait reçu 1500 liv. aux États de 1768, pour faire passer une délibération, il en résulte donc, au contraire, que le prétendu état de distribution n'établit point cette preuve.

Ainsi, les pièces notifiées ne prouvent rien contre celui qu'on accuse. Elles n'offrent pas le plus léger indice du délit qu'on lui impute; il est même impossible d'en conclure que le Comte Desgrée ait reçu une gratification qu’il aurait pu accepter sans crime. [L'état de distribution n'a point eu son effet en faveur du Comte Desgrée; on est obligé d'en convenir. Cet état est donc nul, respectivement au Comte Desgrée. Un autre que le Comte Desgrée a reçu la gratification qui s’y trouve portée. Ce titre ne prouve donc point que le Comte Desgrée ait reçu même une gratification. - Note de bas de page]


 

Le Comte Desgrée se trompe, quand il dit que les pièces qui lui ont été notifiées ne prouvent rien. L’obscurité dans laquelle elle sont été fabriquées, leur forme, tout, jusqu’aux moyens dont il a fallu se servir pour les mettre sous les yeux de la Justice, décèle des manœuvres qui doivent les faire [69] rejeter avec indignation. Le Comte Desgrée pouvait se dispenser d’entrer dans une discussion aussi étendue pour combattre les inductions qu’on en voudrait tirer; mais il convenait à la délicatesse de ne laisser aucun prétexte à la calomnie de dissiper jusqu’à l’ombre du soupçon.

Il ne s'agit pas de savoir s'il a accepté une gratification. Jamais, il le proteste, & il n'hésite pas à démentir hautement toute assertion contraire; jamais il n'a reçu les 1500 l. mais, quand il serait prouvé qu'on lui aurait remis une gratification de cette somme; celui qui s’est vanté de lui avoir donné 1500 livres, pour faire passer une délibération, n’en mériterait pas moins d’être poursuivi comme un calomniateur. L'auteur de l’inculpation n'en serait que plus coupable, s'il avait présenté un don honorable du Roi, comme le prix flétrissant de la corruption.

On impute au Comte Desgrée d’avoir reçu 1500 livres pendant les États de 1768, pour faire adopter une décision préjudiciable à la Province. Tel est le sujet de sa plainte; telle est la diffamation dont il poursuit la vengeance. Ainsi, le fait de la prétendue réception ne peut être séparé du pacte criminel dont on a, méchamment, supposé qu'elle était le salaire.

Ces deux objets, indivisibles, le sont sur-tout à l'égard du Ministère public. M. le Procureur-Général a voulu, comme il le dit lui-même, éclaircir un fait important; il a voulu découvrir s'il s'était formé une association criminelle entre deux hommes qui seraient également coupables; il a voulu savoir s'il y avait un corrupteur et un corrompu, pour les livrer tous les deux à la rigueur des loix.

Ces motifs importants ont pu seuls engager le Parlement à [70] s’écarter des formes, & à déroger aux règles de l’ordre judiciaire. Mais, rassurée sur l'intérêt public, la Justice ne peut plus se dispenser d'entendre le cri du citoyen opprimé; elle ne peut lui fermer l'entrée de son sanctuaire, ni lui interdire plus long-temps les moyens de se venger d'une diffamation aussi horrible dans sa cause, que funeste dans ses effets.

Loin de vouloir surprendre la religion de ses Juges, le Comte Desgrée ne cherche qu’à l’éclairer. Justifié, à la fois, par l’invraisemblance des faits qu’on lui impute, par sa conduite, par la délibération qui a servi de prétexte à la calomnie, par la nature même des pièces qu’on lui a fait signifier, il demande à informer des faits qu’il a dénoncés à la Justice, il ne sollicite que l’exercice d’un droit naturel, celui de constater le délit de son calomniateur.

Eh! qui ne voit que la diffamation dont il se plaint, n’a d’autre objet que le dessein de perdre un citoyen honoré de la confiance publique. Son crime n’est pas d’avoir reçu, aux États de 1768, 1500 livres, pour faire passer, une délibération; mais d’y avoir reçu l’hommage le plus flatteur qu’on puisse rendre à un Gentilhomme; d’avoir été choisi, d’une voix unanime, pour remplacer le Président de son Ordre. Son crime est d’avoir réuni la pluralité des suffrages pour présider pendant les États de 1772; son crime est est de s’y être comporté avec distinction, d’y avoir montré un zèle inflexible, une fermeté inébranlable dans les circonstances les plus critiques; son crime est d’avoir été nommé député en Cour, & de s’y être conduit de manière à mériter la délibération du 30 Décembre 1774, d’avoir, suivant les termes de cette délibération glorieuse, des droits à l’estime publique, à l’attachement & à la reconnaissance [71] de tous ses concitoyens. Son crime est d’avoir en son nom placé dans les inscriptions honorables, faites à l’occasion du rappel de la Magistrature. Son crime est d’avoir été du nombre des procurateurs qui furent chargés; en 1776, de se rendre en Cour, pour défendre, pour réclamer un choix essentiel & inhérent à la constitution nationale, celui de choisir ses députés. Son crime est d’avoir sollicité pour le sieur Beaugeard, & d’avoir, en remplissant les devoirs de l’amitié, sans manquer à ceux de citoyen, traversé des vues secrètes & des intérêts privés. Son crime enfin est d'avoir pénétré & dédaigné de servir les intrigues de ceux qui prétendent devoir influer seuls sur le succès des affaires, qui veulent paraître tout protéger pour tout asservir, & qui parviennent ainsi à s'acquérir eux-mêmes des droits à la protection.

Voilà les vrais crimes du Comte Desgrée, les seuls que ses ennemis ne puissent pardonner.

Hommes courageux, qui consacrez vos jours à la défense de la chose publique, craignez de fixer sur vous les regards de vos compatriotes, tremblez d'exciter l'envie. Le Comte Degrée est aujourd'hui calomnié, demain vous pouvez l'être. Pour vous sauver de la diffamation, il ne reste qu'un parti, qui ne peut jamais être le vôtre; celui de vous déshonorer vous-même, en vous conduisant aussi lâchement que vos ennemis; celui de calmer l'inquiète jalousie qui dévore ces intrigants perfides, en vous rendant aussi méprisables, aussi vils que ceux qui peuvent devenir vos instigateurs.

Mais écartons les idées funestes que présente ce tableau désolant pour tous les citoyens honnêtes. S’il est possible de devenir l’objet de la calomnie, l’infortuné qui se voit [72] en butte à ses traits, peut traduire ses calomniateurs en Justice, & dans ses Juges il trouve alors les vengeurs de l’offense qu’il a reçue.

Tel est l’espoir qui soutient le Comte Desgrée. Si l’Arrêt du 26 Novembre alarme sa délicatesse, la pureté des intentions de la Cour rassure son innocence. Il aura donc la faculté de poursuivre ses calomniateurs; il connaît leur crédit & n’en est point effrayé. Il ne regrettera ni sa fortune, ni son repos, si, en réprimant l’audace de la calomnie, il épargne au dernier de ses concitoyens, l’humiliation dont on cherche à le couvrir.


 

Le Comte DESGREE persiste dans ses Conclusions, & demande à informer des Faits contenus en sa Plainte.


 

Le Comte DESGREE, Partie.


 

Me. GOHIER, Avocat.


 

Me.HERBERT, Procureur.


 

A NANTES, de l’Imprimerie d’A.-J. MALASSIS, ce 11 Août 1779.

 

[Suite du mémoire: Recueil de pièces.]
 

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