Messe d'enterrement de Guy des Prez de la Morlais - Homélie

Publié le

[publié le 04/06/2018]

[tapuscrit]

[retranscription]

 

Messe d’enterrement de Guy Despretz de la Morlais

Le 25 Septembre 1946

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Mes frères,

 

L'Église Catholique répugne aux oraisons funèbres des fidèles. Si vertueuse qu’ait leur vie, si édifiante qu’ait été leur mort, elle s'abstient de les louer. La seule voix qu'elle fait entendre autour de leur catafalque, c'est celle de la prière.

 

Il est cependant des cas où elle déroge à ses habitudes, c’est lorsqu'elle est tenue par la reconnaissance. Alors elle n'hésite pas à interrompre quelques instants les prières liturgiques pour rappeler devant les autels les mérites du défunt. Voilà pourquoi j'estime que lorsque des hommes comme Guy de la Morlais sont couchés dans la tombe, ils ont droit à la louange et à la reconnaissance de leurs compatriotes.

 

Vous êtes venus nombreux ce matin dans cette église assister à la messe d'enterrement de ce fier et vaillant soldat. Devant le Christ qui aime les Francs, les braves, en présence de sa famille éplorée dont le cœur a saigné douloureusement pour la Patrie, vous êtes venus lui apporter avec vos prières l'assurance de votre fidèle souvenir, lui payer le tribut de l'amitié, la dette de l'amour. Comme vous avez bien fait!

 

Je suis heureux de reconnaître parmi vous le représentant du gouvernement, M. le Sous-Préfet et le Ier Magistrat de notre ville, qui se sont fait un devoir de signifier par leur présence ici ce matin, l'estime et la gratitude que la cité de Dinan et l'arrondissement de Dinan gardent à celui dont nous vénérons en ce moment la mémoire.

 

Beaucoup parmi vous connaissaient Guy de la Morlais. Je n'avais pas cet honneur mais je sais de source sûre que c'était un bon fils, un chrétien convaincu et un cœur d'or; un homme loyal, un homme comme celui dont parle Bossuet à propos de Turenne, un homme qui faisait honneur à l'homme.

 

Je n'entreprendrai point de vous raconter toutes les péripéties de sa vie de soldat. Ce que je sais, c'est qu'au début de la guerre, lorsque la France fit appel à ses preux, il ne fut pas le dernier à se mettre sur les rangs. Alors que d'autres cherchaient des certificats de réforme, il s'engage volontaire dans l'aviation en Septembre 39 et, en Mars 40, il sort premier de l'École de pilotage militaire avec le grade de Caporal-Chef. Trois mois après, il se trouvait à Saint-Brieuc à l'Ecole de perfectionnement lorsque les premiers motorisés allemands arrivent en trombe et en force près de son avion. Alors, admirable d'audace et de sang-froid, il réussit à décoller devant eux, à leur nez si j'ose dire, et à leur échapper. Puis, suivant la côte de l'Océan, après une escale à La Baule et à La Rochelle, il gagne Tarbes où il remet son avion aux autorités militaires françaises.

 

Ce fut son premier exploit. Mis en congé d'armistice au printemps de 41, il reprend ses études à l'Ecole Coloniale d’où il sort second en 1943. Mais déjà il est acquis depuis longtemps à la cause de la Résistance et il entend y jouer un rôle de plus en plus actif. Avec plusieurs de ses camarades, il tente de rejoindre par l'Espagne l'armée Française d'Afrique et c'est à Dax, le 30 juillet 1943 qu'il est arrêté par la Gestapo. Alors commence pour lui la voie douloureuse. Il connaît successivement le régime des prisons de Biarritz, Bordeaux et Compiègne. Mais ce n'était pas assez pour lui, pour un jeune homme de sa trempe, pour le fils du général d'aviation de la Morlais; bientôt il fut déporté au camp de Buchenwald, au camp de Dora et enfin au camp de Bergen-Belsen où il mourut au début de 1945, à l'âge de 23 ans.

 

Dans quelles circonstances est-il mort ? De misère, de mauvais traitements ? Sous les balles de ses geôliers ou dans une chambre à gaz ? Qui nous le dira. Ces héros de l'indépendance française n'étaient pour leurs gardiens qu'une foule de vils esclaves. Sa famille n’aura même pas la consolation de recueillir ses os, de les ramener en terre française et de fleurir sa tombe. Cette suprême consolation humaine, elle ne l'aura pas. Et pourtant, à l'endroit où il succomba, ne pourrait-on pas placer ces deux inscriptions, imitée[s] des anciens:

“Arrête-toi ici, voyageur, car tu foules un héros!”

ou celle-ci:

“Voyageur, va dire à la France que ce jeune homme est mort obéir à ses lois.”

 

Mes frères, inclinons-nous bien bas devant la force de caractère de ce jeune Français qui, après avoir lutté, exposé sa vie, opta de mourir en exil plutôt que de courber l'échine devant le vainqueur d'alors.

 

Inclinons-nous et méditons les leçons qui se dégagent pour nous de sa vie et de sa mort.

 

D'abord, devant cette carrière si vite parcourue, souvenons-nous que nous ne sommes que des pèlerins ici-bas. Nous vivons sous une tente qu'il faudra replier bientôt quand Dieu nous fera signe. Comme de bons soldats, soyons toujours prêts!

 

Et puis, admirons cette haute idée du devoir dans ce jeune homme de 23 ans. Aussitôt qu’il voit la patrie en danger, il n'hésite pas, il ne calcule pas, il part, il se donne, il se sacrifie jusqu'au bout. Si aujourd'hui la France est encore debout, c'est grâce à lui et à ses pareils. À nous de marcher sur ses traces!

 

Enfin, en échange de ce dévouement dont il fit preuve, et dont nous bénéficions, que nous demande t-il ? Des discours élogieux, des fleurs, des couronnes ? Mes biens chers frères, il est parti pour le grand voyage de l'éternité. Ce qu'il attend de nous désormais, ce sont des prières. Faisons monter vers Dieu, témoin de son courage, la prière confiante, ardente que l'on récite sur la tombe de

Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie

Et qui ont droit qu'à leur tombeau la foule vienne et prie.

 

Ainsi soit-il.

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