Souvenirs de Mère Philomène Desgrées du Loû (1861-1940)

Publié le par Soeur Sybille Franque

[publié le 11/03/2018]

Souvenirs de Mère Philomène Desgrées du Loû

Moniale du Carmel de Saint-Brieuc


« Marie Philomène, fille de « Monsieur Henri-Xavier et de Dame Philomène Léontine Gaubé de la Gaudinais », est née à Vannes le 16 septembre 1861. Elle a été baptisée le même jour dans l’église de St Patern de cette ville. »
Elle est entrée au Carmel de Saint-Brieuc le 21 novembre 1884, à l’âge de 23 ans. Le carmel de Saint-Brieuc était de fondation récente (1857) et avait déjà connu un déménagement. La communauté des 8 sœurs fondatrices avait d’abord habité une grande maison à La Ville Berno, mais trop éloignée de la ville. Le 20 janvier 1862, la communauté déjà formée de 12 sœurs, vient habiter la maison située rue de la Corderie, qu’elles ont pu acquérir. C’est donc là qu’entre Marie Philomène, sous le priorat de Mère Madeleine Angéline.
Ayant pris le nom de Soeur Marie Philomène Joseph du Sacré-cœur de Jésus, elle revêt l’habit du Carmel le 8 novembre 1885. Après un an et 6 jours de noviciat, elle est admise à prononcer ses vœux perpétuels, ayant été « examinée » par Monsieur l’Abbé Chatton, vicaire général du diocèse, délégué de Monseigneur Bouché (aujourd’hui on parlerait de s’assurer des motivations profondes de la jeune novice, d’autant qu’elle s’engageait pour toujours !) Elle fait profession le 14 novembre 1886 entre les mains de la Révérende Mère Madeleine Angéline, prieure, en présence de sœur Marie Emmanuel, sous-prieure et des autres religieuses de ce Monastère, en prononçant trois fois à haute et intelligible voix, et signé de sa main, la formule des voeux qui suit :


« Je, Sœur Marie Philomène Joseph du Sacré-cœur de Jésus, fais ma profession, et promets Chasteté, Pauvreté et Obéissance à Dieu Notre Seigneur et à la bienheureuse Vierge Marie, sous l’obéissance, la visite et la conduite de nos Révérends Pères Visiteurs et Supérieurs, selon qu’ils sont établis sur notre Saint Ordre par les Bulles et les Brefs de nos Saints Pères les Papes (lesquels nous sont représentés par Monseigneur l’Évêque), et fais cette profession selon la Règle primitive de l’Ordre dit du Mont Carmel, qui est sans mitigation, et ce jusqu’à la mort. »
« Le 24 du même mois, notre chère Sœur Marie Philomène Joseph du Sacré-Cœur de Jésus a reçu le voile noir des mains de Monsieur l’Abbé Michel, curé de Saint Michel de Saint-Brieuc, chanoine honoraire, avec les cérémonies accoutumées. Le discours a été prononcé par Monsieur l’Abbé J. de Bellevue, professeur de philosophie au petit séminaire de Ploërmel, en présence d’un nombreux clergé, de parents et d’amis dévoués, lesquels ont signé le présent acte avec Monsieur le Curé. »
[Suivent une quinzaine de signatures, illisibles pour la plupart.]


NOTE :
Tout ceci est extrait du Livre « Actes de la profession religieuse »


Comme vous le constatez, les délais étaient bien courts pour la formation, à cette époque où les jeunes carmélites ne faisaient pas profession temporaire !
A signaler aussi que la profession se faisait en présence uniquement des sœurs de la communauté. C’est pourquoi il y avait un supplément de cérémonie : la réception du voile noir, en présence de l’Évêque (quand il pouvait être présent), de la famille, des amis et du peuple chrétien.

D’autre part, Mère Philomène a fait profession alors que le carmel de Saint-Brieuc était encore sous la dépendance de supérieurs réguliers, et cela depuis Bérulle.
Cependant, en 1891, la communauté, unanime, approuvée par Monseigneur Fallières, Évêque de St-Brieuc, fait le choix de se rattacher désormais à la Congrégation de St Elie, et donc à suivre le cérémonial et les coutumes des Carmels de France déjà rattachés à cette Congrégation (Carmels qui se voulaient plus proches des Pères Carmes, tout en gardant l’Évêque du lieu comme supérieur.)


Il semble qu’à l’entrée de Sr Marie Philomène, les constructions étaient achevées : car il avait fallu agrandir le monastère tant les vocations étaient nombreuses. Les années 1886-1901 sont alors des années d’épanouissement (les chroniques qui parlent de ces années sentent un peu le panégyrique !). Simplement, c’était une communauté fervente et joyeuse, et pendant ces années Sœur Marie Philomène a pu profondément s’imprégner de la spiritualité carmélitaine et déployer ses qualités humaines et spirituelles. En effet, le 1er juin 1901, Mère Marie Philomène est élue prieure au cours des élections triennales présidées par Monseigneur Fallières, Évêque de Saint-Brieuc et Tréguier. (3 ans auparavant, elle avait été élue sous-prieure). Un mois après, la jeune prieure va devoir affronter une très grande épreuve et être placée devant un choix difficile : la loi du 1er juillet 1901 de Waldeck Rousseau sur les Associations imposait aux Congrégations religieuses l’obligation de solliciter l’autorisation gouvernementale pour continuer d’exister légalement. Que faire ? Solliciter cette autorisation ou partir en exil ? Monseigneur Fallières vint passer la journée du 1er septembre au Carmel pour décider de l’avenir de la communauté en fonction des directives générales reçues de l’Ordre du Carmel. La décision est prise de partir en exil, à l’île de Jersey, le départ est fixé au 30 septembre. (Les « États » de Jersey se montrèrent particulièrement accueillants : 3 carmels s’y réfugièrent, ainsi que le scolasticat des Jésuites, celui des Pères Oblats, etc…)
Beaucoup de personnes sont présentes lors de l’embarquement des sœurs au port du Légué car l’émotion est grande à Saint-Brieuc. Les religieuses font le voyage sur le steamer de Mr Le Gualès de Mézaubran, accompagnées de quelques prêtres et amis. Elles sont alors 17 ou 18, chacune a reçu, de Monseigneur Fallières « licence de quitter notre diocèse et de se réfugier à Jersey, sous la juridiction de Sa Grandeur Mgr Cahill, évêque de Porsmouth ».
Mère Madeleine Angéline ne fait pas partie du groupe des partantes, ne se sentant pas la santé pour partir en exil. Elle va être accueillie au Carmel de Poitiers qui n’envisageait pas de partir.
Après avoir vécu 7 ans dans une villa louée, Ker Anna, les sœurs eurent la possibilité d’acquérir une nouvelle demeure plus vaste et plus commode pour un couvent, Hautmont. Elles bénéficièrent toujours du soutien spirituel, et aussi matériel, des Jésuites et des oblats ; leur reconnaissance envers ces Pères et Frères était très grande.
En 1904, Mère Philomène est réélue prieure. Elle aura le chagrin de voir mourir une de ses sœurs, âgée de 66 ans, en 1905. Après 6 années de priorat, Mère Philomène laisse la responsabilité à Mère Marie Aloysia le 10 juin 1907. Cette dernière sera réélue en 1910. Mais aux élections de 1913, Mère Marie Philomène reprend la charge de prieure pour 2 triennats : 1913-1916 ; 1916-1919. En 1919, c’est Mère Aimée de Jésus qui devient prieure. Mais le 15 septembre 1922, à nouveau Mère Philomène est élue prieure pour 3 ans et réélue en 1925 !
Plusieurs jeunes filles entrèrent au carmel de Jersey, venant de France et surtout de Bretagne ; les archives font mention de 27 prises d’habit entre 1909 et 1940, mais de 20 professions perpétuelles seulement. La communauté était très joyeuse, cela se perçoit à travers les « petits chants de circonstance » que composait une sœur, sœur Agnès, très douée pour ce genre de chose. Et pourtant que d’épreuves : au moins 5 jeunes sœurs décédèrent de tuberculose entre 1914 et 1925. Les autorités de l’Ile s’inquiétèrent de ces morts prématurées et vinrent enquêter au Carmel !

Aux élections du 15 septembre 1928, c’est Mère Aimée de Jésus qui devient prieure. Trois ans après, le 15 septembre 1931 Mère Philomène reprend courageusement la responsabilité de prieure, et elle est réélue le 19 septembre 1934. Enfin, le 19 septembre 1937, elle sera déchargée et aura la joie de voir élue une de ses filles très aimée, Mère Thérèse de Jésus.
Les élections du carmel sont toujours présidées par un Père Jésuite. Les Évêques de Porsmouth qui se succèderont n’abandonnent cependant pas les carmélites de Hautmont, des visites canoniques sont faites régulièrement.
Le 28 août 1940, Mère Philomène est rappelée à Dieu. Voici ce que l’on peut lire dans le livre des actes d’inhumation :


« Aujourd’hui, 30 août de l’an mil-neuf cent quarante, a été inhumée dans notre cimetière de Hautmont (Jersey) le corps de notre chère Mère Philomène Joseph du Sacré Cœur de Jésus (professe de Saint-Brieuc), nommée au siècle Marie Philomène Desgrées du Loû. Cette chère et vénérée Mère, qui a gouverné notre Carmel pendant 24 ans, était âgée de 79 ans moins 19 jours, et avait passé 56 ans en religion. Elle est retournée à Dieu le 28 août 1940, à 5 h. moins 20, munie des Sacrements de la Ste Église. La dite inhumation a été présidée par le Révérend Père Maré, recteur de la Paroisse de St Thomas, supérieur des Oblats de Marie Immaculée. »
Suivent une douzaine de signatures, de Jésuites et d’Oblats, semble-t-il.


Note : C’est la guerre. L’Ile de Jersey est occupée par les allemands depuis le 1er juillet 1940. Il est plus que probable que la famille n’a pas pu être présente aux obsèques de Mère Philomène.

Lorsque la communauté va quitter Jersey en 1945, les sépultures de Mère Marie Philomène et des autres sœurs inhumées dans le cimetière du carmel de Hautmont seront transférée au cimetière catholique de l’Almorah (Jersey).

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F
La belle-mère d'une très bonne amie, née à Saint-Pierre-et-Miquelon (Canada), était pensionnaire dans sa jeunesse vers 1900 ou un peu avant, au Sacré-Coeur à Halifax (Canada). Elle avait pour (prieure?) Mother DESGREES DU LOU, une personnalité qui lui avait laissé de tels bons souvenirs que celle-ci en parlait souvent en famille lors de sa vieillesse. Je pense que les dates correspondants, Mother Desgrées du Loû avait dû être envoyée pour fonder une antenne du Sacré-Coeur à Halifax.
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