Le comte Desgrées du Loû, président de la noblesse aux Etats de Bretagne de 1768 et de 1772, par le comte de Bellevüe - II/XI [Chapitre premier]

Publié le par Xavier Fournier de Bellevüe (1854-1929)

[publié le 25/02/2018]

[Sommaire et Introduction]

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LE COMTE DESGREES DU LOU

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CHAPITRE PREMIER

Naissance et famille du Comte Desgrées du Loû. - Il devient en 1758 Commissaire des Etats de Bretagne pour l’Evêché de Saint-Malo. - Situation de la province et aperçu sur la lutte des Etats et du Parlement contre le pouvoir absolu. - Mariage du Comte Desgrées avec Mademoiselle du Hallay. - Etats tenus à Saint-Brieuc, du 12 décembre 1768 au 6 mars 1769. - Présidence intérimaire du comte Desgrées. - Délibération du 5 mars 1769.

Jacques-Bertrand-Colomban Desgrées, comte du Loû, qui devait avoir le très grand honneur d'être élu Président de l'Ordre de la Noblesse aux États de Bretagne de 1768 et de 1772, naquit le 17 novembre 1725 au château de Kerhoarno, près de Locminé, qui appartenait à sa mère, Julienne Le Malliaud. Il fut baptisé le surlendemain dans l'église Saint-Colomban de Locminé, et il eut pour parrain messire Jacques Angeneau, recteur de Plumelin, et pour marraine sa grand-mère maternelle, Suzanne Le Queux, veuve de François Le Malliaud de Kerhoarno [Arch. dép. Morbihan, E., supp. G. 62 - note de bas de page].

La famille Desgrées [Ce nom s’écrit tantôt “Desgrée”, “des Grées” et “Desgrées”; le Président, et après lui tous les acte du XVIIIe siècle, portent “Desgrée”; l’orthographe qui a généralement prévalu est celle de “Desgrées”. - note de bas de page], d’ancienne extraction de chevalerie, est, dit-on, originaire d’Ecosse, où elle [10] serait encore représentée. Un de ses membres, Jean Desgrées (de Gray), l'un des principaux officiers du roi d'Angleterre, Henri III, fut envoyé par ce prince, en 1234, au secours du duc de Bretagne, Pierre de Dreux, et se fixa dans le pays de Ploërmel où sa postérité se perpétue depuis plus de six cents ans.

Son premier chef-lieu le château de la Touraille, en la paroisse d’Augan [Le château de la Touraille appartient au marquis de Bellevüe - Vois à l’Appendice, la Généalogie des Desgrées - note de bas de page], où les Desgrées demeurèrent jusqu'en 1622; ils allèrent ensuite se fixer au château du Loû, en Saint-Léry, près de Mauron, qu’ils habitèrent jusqu’en 1829.

Maintenus avec qualité de chevaliers et d'écuyers aux Montres et aux Réformations des XIVe, XVe et XVIe siècles [Montres (revues) de Jean de Beaumanoir en 1368, de Duguesclin en 1373, de Guillaume de Beauvais en 1375; et Réf. de 1427, 1440, 1448, 1454, 1513, 1536, en Augan et Guer. - note de bas de page], les Desgrées portèrent le titre de “vicomtes de la Touraille” de 1560 à 1622, et celui de “comtes du Loû”, à partir de 1659. Ils ont contracté des alliances avec les plus illustres familles bretonnes et se sont rattachés par quatre côtés différents à la maison ducale de Bretagne [Alliances avec les d’Avaugour en 1450; les Quéjau en 1567; d’Angoulevent, 1607; Avril, 1620 - Voir Généalogie - note de bas de page].

Après avoir vaillamment combattu sous Beaumanoir et Duguesclin, qui les traitait de cousins, ils donnèrent toujours sans compter leur sang et leur or pour le service de leurs souverains. Jean IV Degrées, vicomte de la Touraille, mérita le surnom de “prodigue” pour avoir dépensé toute sa fortune pour la cause royale, durant les guerres de la Ligue, et avoir vu ses [11] châteaux de la Touraille, de Jerguy, de Boquidé et du Gaffre ruinés par les partisans de Mercoeur, irrités de la fidélité de ce gentilhomme à ses princes.

Cette famille, qui compte encore de nombreux représentants, fut, lors de la Réformation de 1668, maintenue dans sa noblesse d'ancienne extraction avec onze générations.

Elle s’arme: “d’azur à la fasce d’hermines, accompagnée de trois étoiles d’argent”. - Devise: “SEMPER FIDELIS”.

Jacques-Bertrand-Colomban descendait en quatorzième génération de Berthieu Desgrées, chevalier, seigneur de la Touraille; il était fils aîné de Bertrand, comte Desgrées du Loû, chef de nom et d'armes, seigneur du Loû et de Lesné, ex-officier au régiment des Bombardiers, avocat et sénéchal de Ploërmel, et de julienne le malliaud, dame de Kerhoarno. Son père mourut à Ploermel, et fut inhumé le 29 décembre 1734, dans la chapelle des Carmélites de cette ville [Nune, chapelle des Ursulines - note de bas de page]; sa veuve lui survécut cinquante ans et mourut au Loû le 27 août 1784.

Colomban, à la mort de son père, venait d'avoir dix ans; il fut placé sous la tutelle de sa mère, qui l'envoya faire ses études à Rennes, au collège des Pères Jésuites. Émancipé par acte du 14 avril 1744, il voulut d'abord entrer dans les ordres et fut même tonsuré le 10 septembre 1746. Mais il quitta peu après la soutane pour la toge, et se fit recevoir licencié en 1747 et avocat en 1748. Il se lança alors dans l'arène politique et prit une part active à tous les travaux et à toutes les luttes des États de Bretagne, où son intelligence, son caractère et [12] ses relations lui acquirent bientôt une grande influence.

Emmanuel-Armand du Plessis, duc d'Aiguillon (1720-1788)

Ces luttes des Etats et du Parlement, défenseurs des libertés bretonnes contre les empiétements du pouvoir royal, commencées depuis longtemps déjà, avaient repris avec une nouvelle ardeur. Aux Etats, tenus à Rennes du 25 septembre au 26 décembre 1752, le commandant pour le roi en Bretagne, le duc d'Aiguillon avait renouvelé la prétention de faire payer par les Bretons des impôts dont jusque-là ils avaient été reconnus exempts. La Noblesse voulait maintenir les privilèges et les franchises de la province, qui, formellement réservés lors de l'annexion du duché à la couronne en 1491 et 1499, avaient été ratifiés depuis par tous les rois de France et confirmés par Louis XV lui-même à son avènement au trône. D’Aiguillon dut employer la violence pour essayer de vaincre cette juste et courageuse résistance. La lutte n’en reprit qu'avec

plus d'énergie aux Etats de 1758 et de 1763; c'était toujours la même prétention de la Cour de frapper la Bretagne de nouveaux impôts, et toujours aussi la même opiniâtreté des Bretons, rappelant à la monarchie ses serments et soutenant le droit contre l'arbitraire. Pour cette cause légitime et patriotique nos paysans avaient été pendus sous Louis XIV et nos gentilshommes décapités par le Régent [Révolte du Papier Timbré, en 1675; Conspiration de Pontcallec en 1718. - note de bas de page].

Louis-René Caradeuc de la Chalotais (1701-1785)

 

Par les menaces, la prison et l'exil, le roi essaya de dompter cette rébellion. Mais les Bretons ne se courbent jamais devant la violence, et, sur les quatre-vingt-cinq membres dont se composait le Parlement de Bretagne, soixante-treize répondirent à l'oppression en donnant leur démission. Les douze dissidents furent injuriés, [13] chansonnés, caricaturés, le surnom des Ifs (J… F…), tandis que les démis, dits Bastionnaires, rempart et protecteurs du pays, recevaient chacun, des dames de la halle, un bouquet de fleur d'oranger, et, sous le nom d' orangistes, étaient acclamés par tout le peuple breton. À la tête des opposants était le procureur général La Chalotais, qui, sur une fausse accusation, fut arrêté avec son fils et enfermé au château du Taureau, près de Morlaix, tandis que la plupart des démissionnaires étaient exilés ou emprisonnés (novembre 1765).

La lutte des Etats et du Parlement contre l'autorité royale passionna bientôt la France entière, qui fut dès lors divisée en deux partis irréconciliables: d'un côté, la cour, les ministres, les fonctionnaires, les Jésuites, et quelques membres du haut clergé de la noblesse; de l’autre, les Parlements, et, derrière les Parlements, la Nation. Ce fut en réalité le début de la Révolution, qui, commencée par la noblesse bretonne pour la protection des droits constitutifs de la Bretagne, allait aboutir à la ruine de la noblesse et de la Bretagne en même temps qu’à celle de la monarchie.

Mais, de cette rébellion au despotisme et à l'arbitraire, il ne faut pas conclure que les chefs de l'opposition bretonne n'étaient que des “séditieux”, des “entêtés” et des “brouillons”. Patriotes zélés et indépendants, ils bravèrent la disgrâce, la prison et l'exil pour la défense de leurs droits contre un gouvernement exacteur. Royalistes ils l’étaient plus que personne ces énergiques gentilshommes, et les martyrologes de Quiberon et des guerres de l’Émigration et de la Chouannerie le prouveront éloquemment; mais ils étaient des sujets fidèles, non des serviteurs et des courtisans; et, préférant l'honneur aux honneurs, ils exigeaient d'abord le maintien [14] intégral des privilèges de leur province et le respect des promesses jurées.

Les États réclamèrent avec persistance le retour des soixante-dix magistrats exilés, qui fut enfin accordé en juillet 1769. Dès le 11 septembre 1768, le duc d'Aiguillon avait été révoqué de ses fonctions; et cependant, bien qu’accusé de faux, de malversations et d'abus de pouvoir, il fut, quelques mois après, trouvé bon par le roi pour être un de ses ministres: la monarchie semblait à plaisir se précipiter vers l'abîme. “La Bretagne n'avait pas seulement vaincu son adversaire, elle l'avait flétri; et cette victoire avait en même temps porté un coup profond à l'autorité royale: c'était le premier grondement de la foudre annonçant un grand orage”.. [Histoire des États de Bretagne, par le comte de Carné - note de bas de page] Le duc avait sauvé sa tête; mais le Parlement lui avait tordu le cou”.. [Expression du Maréchal de Brissac. - note de bas de page]

Cette explication préalable était nécessaire pour montrer les difficultés qu’allait rencontrer le comte Desgrées comme Président des États en 1769 et en 1772, et pour apprécier combien étaient grandes l'estime et la confiance qu'il avait su inspirer à ses amis pour mériter le grand et périlleux honneur d'être choisi par eux dans des circonstances aussi difficiles.

Dès l'âge de vingt-cinq ans, le comte Desgrées avait pris une part active aux luttes précédentes; il avait siégé aux États de 1752 à 1766 et s’y était fait remarquer parmi les plus zélés bastionnaires. Depuis 1758 il faisait partie de la Commission Intermédiaire de l’Évêché de Saint-Malo [Les États ne siégeant régulièrement que tous les deux ans, la Commission Intermédiaire, (établie en 1734), continuait leurs travaux. Nommée à chaque tenue, elle se composait d'un bureau central dans le siège était à Rennes, et qui, sous la présidence de l’Évêque comptait dix-huit délégués, six de chacun des trois Ordres; avec ce bureau central correspondaient les bureaux secondaires des huit évêchés de Bretagne, comprenant chacun neuf membres également choisis parmi les trois Ordres. Cette commission, ainsi formée d'administrateurs élus qui remplissaient gratuitement leurs fonctions délicates et complexes, centralisait tous les renseignements locaux et statuait sur les affaires urgentes introduites dans l'intervalle des tenues. “Ainsi était réalisé autant que possible, écrit M. du Bouétiez, le vœu si souvent émis de nos jours de l'administration du pays par le pays”; administration économique et intelligente, qui assurait la protection permanente de tous les intérêts de la province. C'est à peu près au même but que répond actuellement la Commission Départementale du Conseil général. - note de bas de page]. Son intelligence et son énergie le faisaient [15] redouter des agents du gouvernement et, en 1766, les commissaires du Roi, prétextant d'un retard de quelques jours qu'il avait mis à se faire inscrire sur la liste de son Ordre [La liste de chacun des Ordres devait, d'après un décret de 1736, être arrêtée dans les six premiers jours de chaque session; et régulièrement nul ne pouvait siéger s'il n'avait été inscrit avant ce délai. Mais, de fait, cette mesure souffrait de fréquentes exceptions. - note de bas de page], lui avaient interdit l'entrée des États. Plus de quarante gentilshommes, dans le même cas, avaient obtenu de siéger quand même; mais, pour lui, vu son indépendance et son influence, il fallut que son Ordre tout entier réclamât à plusieurs reprises pour qu'après deux mois de sollicitations le Commandant consentit à lui accorder l'accès demandé.

Les États suivants devaient lui donner une preuve d'estime plus éclatante encore.

Dans l'intervalle entre ces deux tenues eut lieu à Rennes le mariage du comte Desgrées du Loû.

Il était alors âgé de quarante-trois ans, d'une taille moyenne (1m65 environ), il était brun, maigre et pâle, avec un nez aquilin, des lèvres minces, de grands yeux [16] bruns et expressifs et d’épais sourcils [Le portrait du comte Desgrées, peint vers 1770, se trouve actuellement, ainsi que celui de sa femme, Marie-Sainte du Hallay, chez son arrière-neveu, le comte Roger Desgrées du Loû. - note de bas de page]. Il épousa en l’église Toussaint de Rennes, le 21 mai 1767, par contrat passé le 18 mai, Mademoiselle Marie-Sainte du Hallay, née en 1743, fille de feus Christophe-René, comte du Hallay et de Montmoron, seigneur de La Borderie, et de Marie-Renée de Bizien du lézard, et petite-fille d'Emmanuel, marquis du Hallay, et de Marie-Reniée de Sévigné, comtesse de Montmoreau, dame de Rimou. La Maison du Hallay, d’ancienne extraction de chevalerie bretonne, s’armait: fretté d’argent et de gueule; elle s’était alliée en 1576 aux Coëtquen, descendants des comtes de Dinan et de Penthièvre [Pour les du Hallay, voir à la Généalogie Desgrées en appendice. - note de bas de page]; et, par suite de ce mariage, le comte Desgrées devint parent du duc de Duras, qui avait épousé le 16 juin 1736 Mademoiselle de Coëtquen, dame de Combourg. Il se trouvait également parent, par suite d'alliances précédentes, du duc d'Aiguillon par les Bréhant, du vice-amiral d’Estaing par les la Porte d'Artois, des Sérent et des Geslin de Trémargat, par les Judes, des Coëtlogon, des Rosmadec, etc. - Après son mariage, le comte Desgrées se trouva posséder, y compris la fortune de sa femme, environ dix à douze mille livres de rente.

Les États de 1768 s'ouvrirent à Saint-Brieuc le 12 décembre, sous la présidence du duc de Rohan [Louis Antoine Auguste de Rohan-Chabot, duc de Rohan, prince de Léon, comte de Porhoët, né en 1733, époux depuis 1757 de Élisabeth-Louise de La Rochefoucauld, et lieutenant général des armées du Roi. Il émigra à l'armée des Princes en 1790, et fut rayé de la liste des émigrés le 2 juillet 1796; il a pour arrière-petit-fils Alain, duc de Rohan, député du Morbihan. - note de bas de page], et [17] peu de temps après la rentrée triomphale des Bretons exilés et la révocation du duc d'Aiguillon, auquel avait succédé dans le commandement de la Bretagne le duc de Duras [Pour le duc de Duras, voir notice plus loin. - note de bas de page].

La tenue eut lieu dans la chapelle du Séminaire.

Le 17 février 1769, le siège de la présidence étant devenu vacant par suite d'une absence du duc de Rohan, tous les suffrages se portèrent sur le comte Desgrées, qui fut proclamé Président Intérimaire de son Ordre. Le duc de Rohan, rentré cinq jours après, le 22 février, repris la présidence et la conserva jusqu’à la clôture des États, qui eut lieu le 6 mars suivant.

Ce fut pendant cette session que, plus tard, en 1777, comme nous le verrons plus loin, le comte Desgrées fut accusé d'avoir reçu du duc de Duras, commandant de la province, une somme de quinze cent livres pour faire passer une délibération, celle du 5 mars 1769; voyons donc de suite ce que fut cette délibération.

De tout temps les États avaient fait eux-mêmes leur règlement. Ce droit, constamment reconnu, tenait à leur constitution même et dérivait de la liberté dont tout corps national doit jouir son peine de perdre son autorité. Jamais encore le gouvernement n'avait osé contester ce privilège essentiel, quand, le 10 mai 1767, le duc d'Aiguillon prétendit l'abolir. Il fit enregistrer un règlement “par ordre du Roi”, ne laissant plus aux représentants de la province que le droit fort platonique de faire des remontrances. Les États se bornèrent alors à faire des représentations, qui signées de cent trente et un gentilshommes, furent portés le 22 mai 1767 par quinze d'entre eux, dont le comte Desgrées, à [18] Me Pocquet, notaire, qui les enregistra. L'assemblée de 1768 suivit d'abord la même voie et adressa au roi des remontrances; puis, au moment de se séparer, la noblesse, comprenant l'inutilité et le danger de ce moyen, reconnut la nécessité de reconstituer le droit qui lui avait été enlevé injustement et qui annihilait sa liberté. Mais les circonstances étaient délicates: refuser d'enregistrer les dernières réponse du Roi à ce sujet c'était reconnaître qu'on avait eu tort d'enregistrer les premières, avouer que l'on s'était compromis précédemment, et, par là-même, se compromettre davantage encore; de l'autre côté, consentir à ce nouvel enregistrement c'était accepter irrévocablement le fait accompli et vouer pour jamais les États à l'impuissance et à l'esclavage. Il fallait donc, dans cette position critique, réparer une faute sans laisser voir qu'on l'avait commise, assurer les droits de la nation sans blesser l'autorité royale, changer de tactique sans paraître inconséquent. Tel fut l'objet de la délibération du 5 mai 1769.

Le premier projet fut l’œuvre d'un gentilhomme justement considéré dans la province, le compte de Montmuran René Marie-Anne de la Motte, comte de Montmuran [René-Marie-Anne de la Motte, comte de Montmuran, né en 1713, fils de Pierre, sgr de la Ville-Agan et de Montmuran, et de Servanne Miniac, dame de la Ville-ès-Nouveaux; il fut l'un des plus zélés bastionnaires, et présida par intérim l'ordre de la noblesse aux États le 13 janvier 1773. Il mourut en 1795, sans postérité de Marie-Anne Vion de Tessancourt. - note de marge]. Ayant eu connaissance des réponses du roi aux dernières remontrances, la veille du jour où elles devaient être lues à l’assemblée, il rédigea, d'accord avec le comte Desgrées et quelques autres bastionnaires, un avis, dont voici le texte: “Les [19] États, pénétrés de respect et d'amour pour la personne sacrée du Roi et toujours occupés du désir de lui plaire, ont ordonné et ordonnent que, par soumission à ses volontés, la réponse de Sa Majesté à leurs dernières représentations sur divers articles du nouveau règlement, présentée ce jour à l'Assemblée par MM. les commissaires du roi, sera inscrite sur le registre des États. Et néanmoins, attendu que, suivant leur constitution nationale, le droit de faire leur règlement appartient aux États, sous le bon plaisir du Souverain, droit indéniable et inaliénable, Sa Majesté sera très humblement suppliée de ne donner au dit règlement qu'un effet provisoire jusqu'à ce qu'il y ait été pouvu [?] et satisfait par l'État pour le plus grand bien du service du Roi et pour celui de la province conformément à ce qui s'est passé en 1645, 1685 et 1687.”

Ce projet, fort habile, ayant été lu et approuvé par un grand nombre de gentilshommes, ce fut le comte Desgrées qui fut choisi pour en donner lecture à son Ordre, lequel l’adopta par acclamation et en ordonna l'envoi aux Chambres. Après une délibération qui dura plus de cinq heures, les trois Ordres finirent par accepter l'enregistrement de cette déclaration telle qu'elle avait été rédigée par le comte de Montmuran.

Le lendemain, 6 mars, les États était clos.

Telle fut la délibération du 5 mars 1769 pour le vote de laquelle les ennemis du comte Desgrées l'accusèrent, sept ans plus tard, d'avoir reçu quinze cent livres et trahi les intérêts de la province. Le succès de cette délibération n’avait été au contraire qu’un nouveau titre de gloire pour le comte Desgrées puisqu'elle avait rendu aux États leur indépendance et qu'elle leur permit de faire librement le règlement aux tenues de [20] de 1770 et de 1774. [Voir les arrêtés du 4 décembre 1770 et du 4 novembre 1774, pris par les États en se basant sur la délibération du 5 mars 1769. - note de bas de page] Le comte, accusé postérieurement d'avoir en cette occasion reçu de l'argent pour son pays, n'avait ni reçu, ni trahi; mais bien plutôt affirmé une fois de plus son indépendance et son zèle pour la province. Il venait d'ailleurs de prouver qu'il n'avait pas une âme vénale. Quand, à la fin de des mêmes États de 1768, plusieurs membres de l'Assemblée lui avaient offert de solliciter en sa faveur la gratification de dix mille livres, qu'il était d'usage d'accorder à tout président intérimaire et dont avait entre autres bénéficié en 1760 M. du Rocher de Beauregard, le comte Desgrées s'était opposé à cette démarche, déclarant “qu'il se trouvait largement récompensé des frais que lui avait occasionnés sa présidence par l'honneur qu'il en avait reçu”.

Après avoir pris une part importante aux travaux des États, tenus à Rennes du 25 septembre au 30 octobre 1770, sous la présidence de Guillaume de Rosnyvinen, marquis de Pirée, en l'absence du comte de la Trémoïlle, le comte Desgrées allait encore être élu président de son Ordre pour toute la tenue de 1772.

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[Chapitre second - Première partie]

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