Les trois périls [François Desgrées du Loû - 15/06/1961 - Ouest-France]

Publié le par François Desgrées du Loû (1909-1985)

[publié le 20/03/2019]

 

[Ouest-France - 15/06/1961]

 

LES TROIS PÉRILS

 

Les incidents d’hier - sabotages divers, barrages - appellent quelques commentaires.

Nos lecteurs paysans nous ont fait part, en des termes qui nous touchent, de leur inquiétude et de leurs déceptions, et ils savent - ils nous l’ont dit - que nous les comprenons. Un jeune cultivateur du Léon, citant des exemples trop réels de détresse et d’abandon, résume fort bien l’affaire: “C’EST UNE QUESTION DE PAIN QUOTIDIEN ET DE VIE HUMAINE, NON DE POLITIQUE”. Nous pensons donc être d’accord avec les plus nombreux et les plus autorisés d’entre eux pour indiquer les périls de l’heure.

Du côté du gouvernement, c’est la tentation du recours aux solutions brutales, au raidissement de l’autorité: s’il est vrai que nul ne doit s’insurger contre la loi, le problème demeure et l’on ferait le jeu des éléments les plus douteux, des professionnels de l’agitation et des chercheurs de querelles si les violences d’un petit nombre avaient pour résultat de retarder en haut lieu les décisions de justice qu’attend la paysannerie, qu’elle a trop longtemps attendue. Nous ne pensons pas qu’une telle erreur puisse être commise si nul incident nouveau ne vient aggraver le conflit: l’annonce d’une réunion à laquelle le gouvernement invite les représentants des organisations agricoles manifeste une réelle volonté d’apaisement.

Du côté des manifestants, le risque est double.

Tout d’abord, l’impatience de l’opinion moyenne, qui accueille avec sympathie des revendications cent fois motivées, mais n’admet pas la dégradation de l’action revendicatrice. Nul ne devrait ignorer que dans le passé les excès de certaines grèves ont heurté profondément le bon sens et l’humanité d’une foule d’honnêtes gens. Il en irait de même cette fois si l’on cédait à la tentation de la violence, si l’on passait de l’imprudence excusable au sabotage prémédité.

En second lieu, n’oublions pas que toute entreprise de ce genre offre un terrain d’expérience à des gens dont les intentions et les intérêts n’ont RIEN À VOIR avec le malaise paysan en général, avec le malaise breton en particulier. Attention aux fauteurs de troubles et aux provocateurs!

Nous parlions dernièrement du rôle précieux des corps intermédiaires entre le peuple et le pouvoir: assemblées élues, groupements professionnels. On nous a fait observer que si les corps intermédiaires devenaient un jour des instruments au service exclusif d’intérêts politiques ou matériels, leur utilité disparaîtrait. Rien n’est plus exact. Mais nous savons que dans notre région, à l’instant critique où nous sommes, les élus des communes et des cantons, les dirigeants des syndicats agricoles, sont dans l’ensemble des patriotes authentiques, des serviteurs du bien commun, intransigeants sur les principes essentiels, profondément attachés à la liberté de ceux qui leur ont donné mandat et désireux de leur apporter un concours efficace. Cette mission d’aide et de conseil, que nous avons souvent évoqués, le moment est venu de l’assumer tant auprès des gouvernés qu’auprès des gouvernants. Pour notre part, nous tâchons de faire entendre ce que nous croyons sincèrement être juste et vrai. Puissions-nous être écoutés, de part et d’autre, de ceux qui voient en nous - c’est notre fierté - non des flatteurs, mais des amis.

 

François DESGREES DU LOU

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article