Les cambrioleurs [Emmanuel Desgrées du Loû - Ouest-Eclair - 26/05/1905]

Publié le par Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933)

[publié le 15/01/2019]

[article précédent]

 

Ouest-Éclair - 26 mai 1905

 

Les cambrioleurs

 

L’ardent débat soulevé à la Chambre par l'article 6 du projet sur la séparation a rejeté un peu trop dans l'ombre l'odieuse iniquité dont la majorité a si aisément pris son parti en votant l'article 5.

On sait qu'un assez grand nombre de conseils de fabrique ont reçu, avec autorisation régulière de l'État, des libéralités destinées à entretenir des écoles confessionnelles. Or, sous le régime séparatiste, les conseils de fabrique devront disparaître. Ils seront remplacés par les associations cultuelles. Mais ces associations ne pouvant rien posséder qui ne soit exclusivement affecté à l'entretien du culte proprement dit et les libéralités en question ne répondant point à cette affectation, il restait à déterminer quel serait, pour cette part de son patrimoine, l'héritier du conseil de fabrique. M. Aynard demandait que les biens ainsi donnés ou légués en vue de l'enseignement fussent transmis à des associations déclarées et ayant l'enseignement pour objet. C'était logique et c'était équitable... aussi la Chambre s'est-elle empressée de repousser l'amendement de M. Aynard et de décider que ces dons et legs ne pourront être attribués qu’à des établissements publics ou reconnus d'utilité publique. Et comme il n'existe plus aucun de ces établissements qui puisse légalement donner l'enseignement confessionnel, il en résulte que les libéralités des donateurs seront désormais employées à un usage étranger et souvent même directement contraire à celui pour lequel elles avaient été faites.

Voici, par exemple, un propriétaire qui a fondé dans sa paroisse une école primaire catholique. Aux approches de la mort, voulant assurer la perpétuité de son œuvre, il a fait un testament et légué à la fabrique une rente destinée à l’entretien de cette école. Mais le Concordat est dénoncé, le régime de la séparation entre en vigueur et la commune hérite de la rente constituée par le propriétaire. Que va-t-elle en faire? Elle ne peut l’affecter à l’école libre: la loi le lui défend. Elle l’affectera donc à l’école laïque et nous assisterons alors à ce spectacle à la fois grotesque et odieux d’une maison d’éducation qui utilise à son profit les ressources de la maison concurrente et qui s’enrichit des dépouilles de ceux là même qui avaient résolu de se soustraire à son enseignement.

Le chapitre du projet de loi qui contient ces jolies choses est intitulé: “De la dévolution des biens”. Il eût été plus franc de lui donner pour vocable ces mots dépourvus de tout artifice: “Comment on légalise le cambriolage”. Mais ce serait trop demander à des voleurs que de pratiquer la loyauté, cette vertu des honnêtes gens.

 

Emmanuel Desgrées du Loû

[article suivant]

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article