Gabrielle Desgrées du Loû (1880-1955) [Mémoire vivante, de Gabrielle Baron, 1981 - Extrait]

Publié le par Gabrielle Baron (1896-1986)

[publié le 26/06/2018]

[extrait de Mémoire vivante, de Gabrielle Baron, 1981]

Gabrielle Desgrées du Loû (1880-1955)

L’île Jersey appartient à la duchesse de Normandie, qui se trouve aussi être la reine Elisabeth d’Angleterre. L’île se trouve une trentaine de kilomètres à l’ouest de la côte de Normandie, et une soixantaine de kilomètres au nord de la côte de Bretagne (Paimpol, Saint-Brieuc, Saint-Malo). Quand les Jésuites ont été expulsés de France en 1905, ils ont transféré à Saint-Hélier, au sud de l’île, leur maison pour les étudiants en philosophie. Pierre Teilhard de Chardin et Henri de Lubac y ont étudié, et Marcel Jousse aussi. Il disait la messe au carmel, où la prieure était une Desgrées du Loû (Baron, p. 59).

     La famille Desgrées du Loû appartenait à la noblesse bretonne et venait en vacance à Jersey. En 1922, rencontrant la famille dans le jardin du carmel, Jousse y fit la connaissance de Gabrielle, alors âgée de quarante-deux ans. Orpheline de mère depuis l’âge d’un an, elle était la parente pauvre. Elle avait étudié la musique en Angleterre et gagnait sa vie à Paris en donnant des leçons de musique. Elle connaissait aussi la tradition bretonne de style oral.

     Comme tout le monde, Jousse avait entendu La Paimpolaise, de Théodore Botrel. À travers le barde breton, il entrevoyait le monde des « gwerzes et des zônes bretonnes » :

L’ai mêlé tant et tant au mien
Que ne sais plus quel est le tien
Que ne sais plus quel est le mien...

     Pendant la guerre de 1914-1918, Jousse avait eu sous ses ordres des soldats bretons : « Ces Bretons avec leurs différents dialectes, je les ai écoutés et je me suis promis que je me servirais de ces Bretons pour expliquer les lois de la tradition du style oral. » (Du style oral, p. 38) Plus tard, quand Jousse vit Gabrielle Desgrées du Loû « réciter », « rythmo-mélodier », mimer ces « récitatifs », il retrouva en elle sa mère, sarthoise, non pas bretonne, mais rythmeuse qui lui avait appris le sens du balancement.

     Depuis longtemps déjà, Jousse cherchait à renouer avec la tradition orale araméenne, à reconstituer les paroles de Jésus à partir des formules conservées dans les targums. Il n’était pas le premier: un théologien luthérien allemand, Gustaf Dalman, l’avait précédé dans cette entreprise. Il avait publié un dictionnaire araméen et avait recueilli des mélodies palestiniennes encore en usage au dix-neuvième siècle. S’inspirant de ces mélodies, Gabrielle rythmo-mélodia les récitatifs reconstitués par Jousse, par exemple la lamentation de Jésus sur Jérusalem :

 

« Voilà, écrit Jousse, ce qui est tombé rythmo-mélodiquement et mélancoliquement des lèvres de notre petite mimeuse et rhtymeuse bretonne, comme c’était tombé rythmo-mélodiquement et mélancoliquement des lèvres du Iéshoua galiléen, en face de la capitale palestinienne qui le reniait!... » (p. 56).

Gabrielle Baron, Mémoire vivante. 1981, repris ici

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