Bas les masques! L'Ouest-Eclair et ses dirigeants - Pamphlet d'Albert Monniot (I/IV)

Publié le par Albert Monniot (1862-1938)

[1] ALBERT MONNIOT

[note manuscrite] Brochure calomnieuses qui a donné lieu à un procès bien gagné

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BAS LES MASQUES!

L’Ouest-Eclair” et ses dirigeants

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Prix: 0 fr.50 FRANCO

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Chez l’auteur:

ALBERT MONNIOT

64, rue Turbigo 64

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PARIS

[2-3 manquantes]

[4] la légalité et la justice, la loi et le droit, subordonner en fait sa foi religieuse à sa foi politique, confondre dans la même admiration la forme républicaine et le gouvernement maçonnique haineux et persécuteur de la foi qui est le nôtre depuis une vingtaine d'années ?

Telles sont les questions que devra se poser le lecteur de cet opuscule.

Talonné par l'actualité, un journaliste ne peut aborder des discussions dans un quotidien: de cette difficulté est née l'idée de cette brochure.

Je ne connais pas les directeurs de l’Ouest-Éclair; je n'ai jamais vu ni M. Emmanuel Desgrées du Loû, ni M. l'Abbé Trochu: je ne connais que leurs actes, et ce sont leurs actes que je veux juger.

Toutes les opinions sincères sont respectables; mais l'équivoque doit être dénoncée et flétrie.

Si l’Ouest-Éclair s'était présenté à sa naissance comme l'organe des Bleus de Bretagne, on pourrait discuter ses thèses, l'accuser d'erreur, non de tromperie; mais qu'il ait été fondé par l'argent catholique, qu’en toutes circonstances il fasse la besogne du Bloc Judéo-Maçonnique et réserve ses coups sournois à la presse catholique, il y a là une équivoque qui doit prendre fin.

Son cas n'est pas isolé.

Partout où on a dû renoncer à entamer le catholicisme par une attaque de front, on a eu recours aux mouvements tournants opérés par des auxiliaires, conscients ou inconscients, qui manœuvraient avec [5] d'autant plus de sûreté que les troupes catholiques ne leur témoignaient aucune défiance.

N'a-t-on pas vu, au cours d'un procès récent, un abbé, un de ces clercs vagues comme il en est trop hors du service paroissial, avouer qu'il avait reçu de M. Clemenceau promesse d'une subvention mensuel de 10.000 francs pour fonder une feuille qui, sous le drapeau du catholicisme, servirait les projets schismatiques des auteurs de la loi de séparation.

Lui aussi aurait vitupéré comme vils réactionnaires les catholiques assez osés pour se rebeller contre les lois d’oppression des consciences et de spoliation; lui aussi aurait contribué à faire élire des Jacobins, parce que républicains, quitte à gémir ensuite sur leurs actes de sectaires anti-religieux.

Allons! allons!  bas les masques!

Albert MONNIOT

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[6-7]

L’Ouest-Eclair” et ses Dirigeants

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LES ORIGINES DE “L’OUEST-ECLAIR”

Un de nos amis, plus amusé encore qu’indigné par les cabrioles de droite à gauche de cette feuille Rennaise, eut l'idée d'aller consulter les premiers numéros à la bibliothèque municipale.

Fait unique dans les annales de l'imprimerie : cette collection commençait au numéro 17 !

Il serait donc assez difficile de dresser son état civil si, ce numéro 17 portant la date du 18 Août 1899, nous n'en pouvions conclure que l’Ouest-Éclair est né vers le 1er Août de cette même année.

Ainsi procède-t-on pour les enfants perdus, reniés par leur père, dont on suppute l'âge d'après la mine.

Mais pourquoi, pourquoi cette mutilation de collection qui suppose des complicités officielles?

Serait-ce que ces premiers numéros arboraient fièrement en manchette l'épithète de catholique, et que, voulant faire par la suite une besogne moins élégante, les Directeurs auraient éprouvé le besoin de changer de manchette ?

Serait-ce qu'en ses premiers vagissements L'Ouest-[8]Éclair aurait élaboré un programme gênant pour les combinaisons de l'avenir ?

Troublant problème, cruelle énigme!

Nous avons cependant quelques données sur la période de gestation, et elles nous permettront de dire les espérances fondées sur cette feuille par les catholiques qui la considèrent aujourd'hui avec l'étonnement d'une poule qui a couvé un canard.

Il n'est pas inutile d'évoquer l'époque où se situe la conception de L'Ouest-Éclair, la situation des partis et les questions posées devant l'opinion.

Deux événements marquent les premiers mois de cette année 1899: la mort de Félix Faure, et le vote de la loi de dessaisissement. Un troisième fait éclairera, vers la fin de l'année, la politique de cette période: la Haute-Cour. Vous êtes maintenant dans l'atmosphère où va s'agiter M. Emmanuel Desgrées du Loû pour doter la Bretagne d'un nouvel organe.

Le Dreyfusisme à relevé la tête et poursuit avec acharnement la campagne de révision. Il a, dans la Chambre criminelle, des complicités si évidentes, que le Parlement dessaisit cette Chambre de l'instruction pour la confier à toutes les Chambres réunies.

La Fatalité Dreyfusarde vient d'abattre Félix Faure, qui avait déclaré que la révision ne se ferait pas tant qu'il serait Président, après avoir fauché les principaux témoins à charge du procès Dreyfus, notamment deux témoins des aveux.

La Juiverie du monde entier, s'appuyant sur la Franc-Maçonnerie et le Protestantisme français, - sauf d'honorables exceptions -, aidée par [9] l'étranger qui nous jalouse et nous hait, marche furieusement à la conquête de cette réhabilitation du traître qui marquera son triomphe définitif.

La France est divisée en deux camps: D'une part la France saine d'esprit et de corps, consciente de ses traditions et de ses destinées;

De l'autre, les Juifs, les métèques, les déracinés, les tarés, l'étranger.

Le parti de l'étranger vient de remporter un sérieux avantage par l'avènement de celui qui a bénéficié de ce mot d'ordre donné au Congrès, par le Jacobin Clemenceau:

- “Je vote pour Loubet!”

    Ces circonstances vous dictent le langage que va tenir M. Emmanuel Desgrées du Loû visitant les presbytère de Bretagne en quête de concours pour son futur journal:

    - “Le catholicisme, le parti patriote, le parti français vont subir un rude assaut. Il leur faut ici un défenseur énergique, si nous ne voulons voir notre Bretagne entamée, voire conquise par le Bloc Judéo-Maçonnique.

    - “Mais nous avons des journaux qui nous défendent très bien.

    - “Ils se traînent dans des routines et des formules qui leur interdisent le prosélytisme. Ce qu'il nous faut, c'est un organe qui, par l'attrait de l'information intense, sèmera la bonne parole jusque dans les milieux encore réfractaires à nos idées. Il faut créer pour la Bretagne l'organe qui fera pour le catholicisme la besogne que fait dans le Midi pour le Bloc la Dépêche de Toulouse.”

    - “Vous avez peut-être raison.

      [10] Et les prêtres dénouèrent les cordons de leur bourse, sans se douter que M. Desgrées du Loû préludait à la reprise des biens religieux.

      Ceux qui n'avaient pas mieux offrirent leur concours moral et se mirent activement en campagne.

      De ce concours de pieux efforts devait naître l'Ouest-Éclair vers le 1er Août.

      Dès que le nouvel organe put donner de la voix, les religieux commanditaires s'aperçurent qu'il chantait faux et réclamèrent leur argent. Mais l'entreprise du Loû leur fit savoir que ce n'était pas au coin du quai qu’était la maison.

      Malheureux commanditaires! ils devaient assister à d'autres mues de ramage et de plumage.

      Avant toute démonstration, qu'on me permette ici une constatation où s’éclaireront le chemin insensiblement parcouru par les infortunes lecteurs de l'Ouest-Éclair, les aberrations auxquelles ils ont été conduits par les voies les plus détournées, les manœuvres les plus obliques.

      J’ai dit qu’au moment où naquit cette feuille, la France était nettement divisée en deux camps, qui d'ailleurs restent toujours en présence: le camp Judéo-Maçonnique, et le camp Catholique et National.

      Quels étaient les porte-drapeaux du premier ? M. Clemenceau dans la presse, et M. Fallières, qui devait présider la Haute Cour, au Parlement.

      Quels étaient les porte-drapeaux du second: Édouard Drumont, Cassagnac, Rochefort, Maurras, etc., etc.

      À qui vont, sans relâche, les louanges de l'Ouest-Éclair ? À MM; Clemenceau et Fallières.

      [11] Contre qui sont dirigées, sans relâche, les attaques de l'Ouest-Éclair ?

      Contre Édouard Drumont, les Cassagnac, Rochefort, Maurras, etc.

      Et nunc, erudimini. [Et maintenant, soyez instruits]

      Ces constatations ont suffi à l'édification du plus grand nombre.

      Ceux-là savent que l'Ouest-Éclair, sous ses dehors onctueux, n'a qu'une politique: comme le gendarme, il est pour l'état de choses.

      Et cette conviction s'est traduite en un mot qui court les rues de Rennes.

      Où qu'on voit les initiales qui désigne la feuille Rennaise:

      - “L’O.-E.? dit-on; ah! oui l’Ouest-État.”

        LES DIRECTEURS DE “L’OUEST-ECLAIR”

        Je dis les Directeurs parce que si M. Emmanuel Desgrées du Loû est le seul Directeur en nom, il n’est en réalité que le porte-plume de celui qui est l’âme du journal, l’abbé Trochu.

        M. Desgrées du Loû appartient à une vieille et très honorable famille conservatrice. Lui-même, tant que la République fut propre et libérale, appartint à la catégorie de ce qu'il qualifie aujourd'hui à tout propos et non sans mépris de réactionnaires; mais quand la République, définitivement conquise par la Juiverie et la Franc-Maçonnerie, étala les tares du Panamisme, de l’Humbertisme et du Dreyfusisme, il se sentit irrésistiblement attiré vers elle.

        L’histoire ne dit pas à quelle date ni sur quel chemin il reçu le coup de soleil.

        [12] Il s'était d'abord destiné au commissariat de la marine; mais après deux ans d'exercice, il abandonna pour le barreau, qu'il lâcha pour le journalisme.

        De son premier avatar, il n'a gardé qu’un goût prononcé pour les bateaux et la nage entre deux eaux. De son passage au prétoire il lui reste la vénération des formules, surtout quand elles sont creuses et sonores, et une foi dans les mots touchante tant elle est naïve.

        Naïve! est-ce le mot qui convient ?

        Cette espèce de don Quichotte bilieux et si terriblement moustachu n'est-il qu'une dupe ?

        Je serai assez disposé à penser qu'il est parvenu à se duper lui-même, à prendre pour œuvre pie sa besogne diabolique, si, encore une fois, le droit à l'erreur n'avait des limites, et si la confusion de M. Desgrées du Loû ne lui faisait des rentes.

        Je connais d'autre part un trait de sa vie - où il y a encore confusion, confusion de personnes dans la même famille - qui m'interdit de le juger exagérément candide. [annotation manuscrite de marge: Inouï!]

        Cette simple allusion le convaincra que je ne fais pas ici la guerre à sa personnalité.

        Bref, je crois que si M. E. Desgrées du Loû est dépourvu de sens critique, il ne manque pas de sens pratique.

        M. DESGREES DU LOU ET SA FAMILLE

        J’ai dit que M. Desgrées du Loû appartenait à une très honorable famille: il n'est donc pas indifférent de connaître l'opinion de cette famille sur [13] les avatars politico-sociaux du Directeur de l'Ouest-Éclair.

        Quand je publiai mes premières ripostes dans la Libre Parole, à la fin agacé par les incessants bourdonnement de la mouche Rennaise, je me permis, bien inutilement d'ailleurs, de blaguer le nom même de Desgrées du Loû.

        Cet innocent écart de plume nous valut les deux lettres très édifiantes qu'on va lire:

        [annotation manuscrite de marge: Papa a pardonné]

        Mon cher et honoré Monsieur E. Drumont,

        Sous le coup de la chaude et pénible émotion que je viens d'éprouver à la lecture de l'article intitulé “Desgrées du Loû - Chauve-Souris à Rennes”, paru hier, 18 courant, dans le journal La Libre Parole, dont j'aime à me dire le fervent et sincère admirateur, je ne puis différer une réplique dont, j'en suis sûr, votre loyauté proverbiale et l'élévation de vos sentiments n'auront garde de se formaliser.

        C'est d'ailleurs, pour bien mettre les choses au point et rendre justice à qui de droit que je me permets de vous adresser quelques observations, dictées par le cœur et par le culte de la vérité.

        Votre honorable collaborateur qui a signé l'article en question s'est proposé tout d'abord de flageller de main de maître le rédacteur en chef de l'Ouest-Éclair. Certes, son but a été vertement atteint, et je ne saurais le blâmer de la semonce trop méritée qu'il a infligée au pauvre Emmanuel Desgrées du Loû qui, hélas! comme tant d'autres, aux temps troublés des révolutions qui nous agitent, s’est laissé prendre au mirage décevant des utopies democratico-religieuses et, d'étape en étape, ou plutôt de chute en chute, en est arrivé à “tirer dans le dos” de ses coreligionnaires et à chanter en style dithyrambique les triomphes oratoires de l'illustre Clemenceau, pérorant à plaisir sous les halles de la cité rennaise.

        En cela, je n'oserais pas dire que votre honoré confrère [14] a dépassé son droit, alors surtout que l'Ouest-Éclair ne s'était pas fait faute de prendre à partie, et d'une façon peu loyale, les deux grands journaux qui se recommandent le plus à l'admiration et à la reconnaissance des catholiques sans épithète.

        Mais, en s'attaquant journaliste, E. Desgrées du Loû, dont parents et amis s'accordent, je crois, sans exception, à déplorer les agissements et déviations politiques ou d'économie sociale, votre collègue semble ne s'être pas aperçu que derrière le journaliste il y avait une famille, dont l’honorabilité et la considération pouvaient, du même coup, se trouver cruellement atteintes, et c'est cette honorabilité que je viens défendre auprès de vous, en accordant toutefois des circonstances atténuantes au signataire de l'article, qui, avant de prendre la plume, avait oublié sans doute de se renseigner sur ce que pouvait bien être cette famille, dont le nom lui a paru si bizarre et qu'il n'a pas craint de ridiculiser, en lui appliquant ce refrain grotesque:

        Faut-y qu’ son orgueil soye profonde,

        Pour s’être f... un nom comme ça!

        Mon Dieu, cher Monsieur Drumont, dans les temps de démocratie où nous vivons, personne assurément n’a droit de se targuer de ses titres et de sa naissance. Toutefois, l’histoire conserve des droits imprescriptibles et, moi, petit-fils du côté maternel, d’une Desgrées du Loû, je m'en voudrais, en pareille occurrence, de tenir la vérité sous le boisseau.

        Oui, cette famille Desgrées du Loû, connue et estimée en Bretagne de toute antiquité, n'est pas, croyez-le bien, la première venue.

        Sous Louis XV, vers 1771, si je ne me trompe, le comte Desgrées du Loû fut élu président de la Noblesse des États de Bretagne et, parmi les pairs qui, dans le courant des siècles, eurent les honneurs de cette même présidence, il en est peu qui puissent lui être comparés, si l'on considère le talent, l'énergie et l'habileté dont il ne cessa de donner des preuves dans l'exercice de cet haute magistrature, preuves qui ont été rappelées dernièrement par le marquis de Bellevüe, dans une monographie du comte [15] Desgrées du Loû, président de la Noblesse des États de Bretagne.

        Aussi, ce comte Desgrées fut-il tout naturellement désigné par ses collègues des Etats pour être à la tête de la délégation qui avait reçu mission de porter aux pieds du trône les doléances et revendications la province de Bretagne, et le P. Mottet, ex-oratorien de la maison de Rennes, dans la biographie de Mgr de Herce, s'est plus à décrire la brillante ovation qui fut faite la députation bretonne et à énumérer les attentions royales et les honneurs dont elle fut l'objet.

        Pour elle, on fit jouer les grandes eaux de Versailles et les voitures de la Cour furent mises à sa disposition.

        Ce comte Desgrées du Loû, héritier d'une longue suite de noble ancêtres, aurait pu rappeler au besoin à ses détracteurs et à ses rivaux que, jadis, un Desgrées, mais alors Desgrées tout court, guerroya aux côtés et sous la bannière du connétable Du Guesclin, qui le traitait de cousin et d'ami.

        Cela suffit bien je crois, cher Monsieur Drumont, pour vous édifier sur la valeur de cette noble maison Desgrées, qui a toujours joui, en Bretagne, de la plus haute et la plus méritée considération.

        Agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments bien dévoués, avec l'espoir que vous voudrez bien publier cette missive dans la Libre Parole, le plus tôt qu’il vous sera possible.

        Comte DE LA VILLIROUET


         

        Mon cher Maître,

        Permettez-moi de venir protester contre la forme d'un article paru hier dans la Libre Parole, sous la signature d'Albert Monniot, “Desgrées du Loû - Chauve-Souris à Rennes”.

        Que M. Monniot critique avec sévérité la politique pseudo-catholique de l'Ouest-Éclair, si désastreuse pour toute la Bretagne, il a mille fois raison, mais qu’il confonde dans la rigueur de la satire le rédacteur politique de ce journal et le nom Desgrées du Loû, c'est outrepasser ses droits de polémiste.

        [16] Le nom Desgrées du Loû, malgré les réminiscences montmartroises et le malgré le procès Dreyfus, n'en n'est pas moins un nom porté fièrement depuis mille ans. Cette famille a donné à la Bretagne à la France une série d'officiers, des présidents aux États, et elle est encore très noblement représentée aujourd'hui.

        Veuillez agréer, mon cher Maître, l'assurance de mes sentiments les plus distingués.

        Comte R. DE LAMBILLY.

        A ces deux lettres, plus sévères que l'étaient mes articles, j'ajoutais ce commentaire qui peut servir de conclusion à cette partie du débat:

        Quoi qu'il ne soit guère qualifié par ses traditions pour chanter les louanges du protégé de Cornélius Hertz et de Dreyfus, c'est le droit incontestable de M. Emmanuel Desgrées du Loû d'admirer Clemenceau, voire d'adorer Combes et sa séquelle; mais il doit au moins à ses origines, à ses attaches, de ne point tirer dans le dos de ceux qui défendent les principes chers à ceux de son nom, et surtout de ne point travestir leur pensée pour servir son nouveau maître…..”

        L’ABBE TROCHU

        Physiquement, c’est le Sancho de ce faux don Quichotte de Desgrées du Loû.

        Si celui-ci est long comme Carême, l'abbé est replet comme Gorenflot.

        On le dit intelligent.

        Il est surtout malin.

        Il s'appelle Félix, mais n'est pas très heureux dans ses entreprises; Trochu comme l'auteur du [17] fameux plan qui aboutit à la capitulation de Paris, et il est lui-même l'auteur des plans qui ont abouti aux capitulations successives de son journal devant le pouvoir.

        Mais il y a trop de rebondissements dans sa vie pour qu'on puisse le définir aussi laconiquement que son célèbre homonyme: “Trochu, participe passé du verbe trop choir.”

        Sa carrière sacerdotale prouve à quel point il est remuant: vicaire à Saint-Laurent de Rennes en 1892, à La Guerche en 1894, à Saint-Aubin de Rennes en 1895, à Tridéniac en 1896, à Saint-Sulpice de Fougères en 1898, chapelain des Frères de la rue du Manège, à Rennes en 1900, démissionnaire en 1906.

        Il faut rendre cette justice à l'abbé Trochu qu'il n'a pas attendu d'être l’âme de l'Ouest-Éclair pour s’inféoder à ces abbés dits démocrates dont les errements devaient être si formellement condamnés par le Saint-Siège.

        Déjà à La Guerche il avait fait venir l’abbé Naudet qu'il avait promené par la ville, drapeau en tête.

        Il le fit revenir à Rennes quand il traitait de “bon ami” le citoyen Bouzot, chef du parti socialiste, au temps où jetant le masque il souscrivait pour la Bourse du travail révolutionnaire, où s’épandait sournoisement dans les colonnes de l'Ouest-Éclair le suc vénéneux des plantes poussées dans le sillon, ce Sillon si énergiquement flétri par nos plus vénérés prélats.

        Ce doux ministre de paix, ce démocrate à tous crins s'est surtout manifesté comme un autoritaire [18] et un violent, et ses subordonnés ne se gênent pas pour proclamer c'est que c'est le plus mauvais patron de Rennes.

        Ce fut aussi l'avis de cet ouvrier parisien, venu à l'Ouest-Éclair pour monter une machine, et qui fut violemment poussé contre un mur au cours d'une discussion.

        Non moins violemment fut reçu ce lieutenant du 70e de ligne, venu à l'Ouest-Éclair pour demander l'explication d'un article visant le corps d'officiers de ce régiment, et qui se vit arracher son képi par l’onctueux abbé.

        Ce sont là minces traits de caractère direz-vous. En voulez-vous de plus significatifs ?

        Un moment vint où la scène rennaise parut insuffisante à la débordante activité de ce clerc d'affaires: le cadre de Paris convenait seul à ses vastes pensers.

        Il rêva de binage; non de l’humble binage qui double la peine sans augmenter les profits de nos vaillants curés de campagne; mais d'un binage fructueux qui lui permettrait de cumuler les bénéfices de sa charge à l'Ouest-Éclair avec l’appréciable revenu de l'administration d'un journal parisien.

        Eugène Veuillot venait de mourir: l'abbé Trochu parvint s'imposer comme l'administrateur qui assurerait à l'Univers les plus brillantes destinées. Immédiatement, il entreprit des réformes.

        Il y avait deux garçons de bureau à l'Univers, un vieux serviteur de trente ans et un jeune.

        Au premier, il donna son congé comme trop vieux, et comme il demandait trois mois d'indemnité [19] en raison de ses trente années de loyaux services:

        - Vous aurez un mois, lui dit l'abbé; vous n'avez pas droit à plus.

        Le vieux brave homme, qui était aimé de tout le monde et aimait chacun, partit donc, pour mourir quelques temps après.

        Quant on second garçon, l'abbé lui dit:

        - Vous êtes jeune, vous ferez la besogne de deux; mais vos appointements seront diminués de 30 francs.

        N'étant pas entré dans ces vues démocratiques et humanitaires, l'employé dut s'en aller.....

        Si l’abbé n’avait appesanti sa main de fer que sur les humbles, peut-être eût-il prolongé son règne; mais il revint aux oreilles du Directeur que son administrateur avait tenu ce propos ou l'équivalent:

        - Après les valets, les maîtres; après le congé du personnel, le congé du Directeur.

        Le lendemain, M. Pierre Veuillot mandait l’abbé Trochu, lui reprochait l'exagération de son appétit, et lui signifiait son congé.

        Pris à son propre piège, l'abbé ne songea plus qu'à tirer le meilleur parti de la situation.

        Et lui qui estimait qu’un mois d'indemnité était bien suffisant pour un vieux et loyal serviteur de trente ans, il exigea pour lui, nouveau venu, six mois d'indemnité.

        M. Pierre Veuillot n'avait garde de marchander; il était trop pressé d’éloigner ce zélé collaborateur. Il aligna 3.000 francs, dont il exigea quittance.

        Depuis cette peu glorieuse tentative, l’abbé Trochu [20] réserve à la clientèle de l'Ouest-Éclair les bienfaits de son humanitarisme et de sa débordante démocratie.

        .. J'aurais voulu terminer cette brève esquisse par quelques mots sur la situation de l'Abbé Trochu comme prêtre, indiquer par exemple, comme on me l'a demandé, où il dit régulièrement sa messe; mais les Rennais que j'ai consultés ne m'ont pas paru bien fixés sur ce point, et j'aime à ne parler que de ce que je sais.

        L'abbé Trochu a des aïeux, lui aussi, et il sert assez mal son pays pour qu'on les lui restitue: l'un d'eux, paraît-il, fut un des plus distingués guillotineurs de 1793.


         

        L’OUEST-ECLAIR”

        Cabrioles

        Avant d'aborder, dans la mesure où le permet le cadre de cette brochure, la discussion des campagnes de ce journal, j'éprouve quelques scrupules, et je suis tenté de plaider tout d'abord les circonstances atténuantes.

        Sans doute, dans toute l'action de ce journal s'accuse le ferme dessein de servir le Bloc en se couvrant du pavillon catholique, et cette continuité de l'effort pour servir le diable en priant Dieu sollicite les étrivières.

        Mais cette ligne d'inconduite fermement tracée s'agrémente de telles cabrioles, de telles sautes d'appréciation, qu’un peu déconcerté on est amené à se [21] demander s'il est convenable de prendre au sérieux ces argumenteurs capricants.

        Citons quelques exemples, pour solliciter l'indulgence de ce jury qu’est le public.

        Le 21 janvier 1901, à propos de l'élection Saint-Germain contre Maugère, l'Ouest-Éclair formule cette opinion décisive:

        Le coq de la journée, M. le Hérissé, chantera clair pendant la matinée, quitte à entrer en pleine mue après le résultat du scrutin. Personne n'en sera surpris. Les courants d'air de la politique ne tuent pas notre député, mais lui causent certaines extinctions de voix que le vésicatoire Maugère devrait guérir à perpétuité.

        Depuis lors, Le Hérissé est devenu pour l'Ouest-Éclairnotre sympathique député”, et c'est à l'Ouest-Éclair qu’il célèbre ses victoires électorales en sablant le champagne avec Desgrées du Loû.

        - C'est que Le Hérissé a évolué vers le Bloc, me direz-vous.

        Passons donc à d'autres genres d'exercices.

        On sait que Desgrées du Loû a plusieurs fois épuisé contre l'antisémitisme la série des clichés et lieux communs jetés dans la circulation par la Loge et la Synagogue. “Guerre de race, énergumènes, fanatiques, retour à la barbarie, humanité, justice, fraternité, zimbadaboum! en avant la musique!” il a ressassé tous les vieux airs de la guitare pincée au commandement du mystérieux chef d'orchestre dont a parlé Liebknecht.

        Vient une discussion avec le Juif Basch, et savez-vous quel sera son suprême argument ?

        - Ce que c'est que d'être fraîchement naturalisé!” s'écriera-t-il triomphalement. (6 mai 1901.)

        [22] Voulez-vous un exemple pris en dehors de la politique, dans le banal domaine des opinions courantes ?

        Le 26 Octobre 1901, Desgrées du Loû établit qu'à la chambre, sur 680 députés, il y en a environ 40 qui prennent la parole en séance publique. Il en conclut que si Pinault n'a pas parlé, ce n'est pas une raison pour ne pas le renommer, puisqu'il a fait comme tant d'autres.

        Or, en Avril 1902, il reproche à M. Le Gonidec de ne pouvoir parler, et il en conclut qu'il faut combattre.

        .. Ne vous ne vous hâtez pas de conclure à une responsabilité mitigée: ces dialecticiens que vous pourriez juger en goguette feront preuve par ailleurs d'une sûreté de pied qui leur permettra de longer l'orthodoxie sans l’entamer apparemment, de pérégriner sur les lisières sans créer d'accident de frontière.

        [Suite]

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